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Politique ou barbarie
Les ennemis intimes de la démocratie. Un livre de Christian Todorov. Par Valère Staraselski

Ayant émigré de la Bulgarie socialiste, Tzvetan Todorov déclare aujourd’hui : « je me suis aperçu depuis qu’un certain usage de la liberté peut représenter un danger pour la démocratie. » Et de poursuivre : « Les menaces qui pèsent sur elle viennent non de l’extérieur… mais plutôt du dedans… »

Quelles sont-elles, ces menaces ? Si, pour Todorov, l’expérience communiste a relevé du messianisme politique, les agissements des Etats-Unis et l’ultralibéralisme offrent, en quelque sorte, une réelle parenté avec celle-ci. Il cite Flahaut : « Chacune à sa manière, l’idéologie communiste et la doctrine qui en a pris le contre-pied sont tributaires du mythe prométhéen. » Oui, l’ultralibéralisme que Todorov caractérise comme étant une tyrannie des individus met en danger la démocratie. Et davantage encore. Ainsi, par exemple, selon lui, la catastrophe de Fukushima est due in fine « à la logique néolibérale qui regarde l’humanité comme une masse indifférenciée d’individus, eux-mêmes réduits à leurs seuls intérêts économiques. » Il rappelle que « la séparation radicale des aspects économiques du tissu social et leur construction en un domaine autonome » trouvera son aboutissement dans la Richesse des nations d’Adam Smith (1776). Et du triomphe de cette idéologie, Todorov dresse le tableau suivant :
« Aujourd’hui, rassurés par l’idéologie ultralibérale, les dirigeants politiques se mettent encore plus volontiers au service des puissances d’argent… Le résultat cette fois est, d’un côté, la constitution d’oligarchies politico-économiques, et, de l’autre, la mise à l’écart des perdants, véritables déchets du système, condamnés à la fois à la pauvreté et au mépris : ils sont la cause de leur malheur et, pour les secourir, l’on ne doit en appeler ni à l’Etat ni à la solidarité collective. Le culte des surhommes convient bien à la logique ultralibérale. Ce changement est, en un sens, plus fondamental encore que celui imposé par la Révolution française. Cette dernière se contentait de remplacer la souveraineté du monarque par celle du peuple ; l’ultralibéralisme, lui, met la souveraineté des forces économiques, incarnées dans la volonté des individus, au-dessus de la souveraineté politique, quelle qu’en soit la nature. Ce faisant, il contrevient – paradoxalement – au principe fondateur de la pensée libérale, qui est la limitation d’un pouvoir par un autre. »

Aussi ce qu’il applique aux régimes totalitaires, ne convient-il pas comme un gant à l’actuel règne destructeur de l’argent : « Si l’on définit la barbarie comme le refus de considérer que les autres sont des êtres humains semblables à nous, on peut voir dans ce monde régi par le seul pouvoir une incarnation assez parfaite de la barbarie » ?

Entre le zoo « tout Etat » et la jungle « tout individu », dont nous entretenait Jean Ferrat, il y a une autre voie à inventer, à construire pour la dignité et l’émancipation humaines. Et Les ennemis intimes de la démocratie de Todorov nous rappelle que cette voie, la politique, se confond en toute occasion avec la démocratie.

Les ennemis intimes de la démocratie, Tzvetan Todorov. Robert Laffont, 259 pages, 20 €.

Article paru dans L’Humanité du 11 mai 2012


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