Clark Ashton Smith (1893-1961) est davantage connu pour son amitié avec Lovecraft et pour ses contes fantastiques que pour sa poésie or, Clark Ashton Smith est avant tout un poète et parmi les plus grands.
Jean Hautepierre, poète lui-même, déjà traducteur d’Edgar Poe, a su conserver dans notre langue, la magie et la subtilité des poèmes du poète américain. Il a choisi une cinquantaine de « poèmes cosmiques » pour nous emmener dans l’univers étonnant de Smith et a réussi à résoudre la plupart des problèmes complexes que pose la traduction de poèmes, problèmes qui ne sont pas seulement d’ordre linguistique mais aussi d’ordre ontologique comme Georges Steiner l’a déjà démontré.
C’est à partir de 1936 que Smith abandonne l’écriture de contes fantastiques pour explorer d’autres formes d’art, peinture, sculpture notamment et renoue pleinement avec la poésie qui constitue l’axe de son identité créatrice.
« Smith, indique Jean Hautepierre, affectionne particulièrement certains thèmes comme celui des ombres qui, vues à travers le prisme de son art, prennent vie, indépendamment même des objets auxquelles le jour les assigne. Quelle est la véritable nature de ces êtres muets et sans visage, sources d’inquiétude en cela même que nul ne les comprend ?
La destinée de l’être humain – et au-delà, de tous les êtres humains ou non, terrestres ou non -, cette énigme à la fois familière, éternelle et absolue, est un vaste sujet de méditation pour Smith, poète très marqué par la réflexion philosophique, et qui adhère à une vision manifestement panthéiste. Que l’on partage ou non celle-ci, il est clair qu’un texte comme son ode à la matière, par exemple, montre que Smith, de même qu’Edgar Poe dans Eurêka – et peut-être sous l’influence de celui-ci -, a réfléchi à la signification et au destin de l’Univers… De ce panthéisme on retrouve un écho dans ses magnifiques tombeaux, avec lesquels Smith atteint les sommets de cet art, si délicat et si délaissé depuis la fin du XIXème siècle, qu’est la poésie funéraire… »
Depuis Le mangeur de hachisch, ou l’Apocalypse du mal jusqu’au Chant du nécromant, le voyage poétique où nous conduit Clark Ashton Smith fait se côtoyer l’abîme et le sublime, l’horreur et la beauté, l’imaginal et les recoins les plus sombres de la psyché.
Extrait de Le mangeur de hachisch, ou l’Apocalypse du mal :
« Inclinez-vous car je suis l’empereur des rêves ;
_ Je me couronne du soleil brillant des millions de couleur
_ De mondes secrets, incroyables,
_ Et je prends leurs cieux qui s’étendent
_ Pour me vêtir quand je m’élance,
Trônant sur le zénith qui monte, et j’illumine
L’horizon infini qui s’enfuit dans l’espace.
Ainsi que des monstres rampants qui rugissent de satiété,
L’océan aux crêtes de feu monte sans cesse, monte,
Entraîné par l’envie de lunes maléfiques
A me suivre toujours ; des sommets surmontés
Des pics du plus aigu diamant, et des gueules
De volcans aux langues de lave et où le soufre se consume,
Usurpent, mais en vain, le tonnerre des cieux… »
Extrait de Celui qui marchait parmi les étoiles :
« Une voix me cria, dans les rêves de l’aube :
« Ne perds pas un instant : les toiles de la vie, de la naissance et de la mort
Sont balayées, tous les fils de la terre
Vont se rompre bientôt ; dans l’espace rayonne
Ton ancien chemin, celui des soleils,
Dont l’éclat de toi fait partie ;
Et la profondeur des abîmes
Est là aussi au même instant
Est là aussi au même instant,
Eux dont l’obscurité parcourt
Le mystère de ton esprit.
Va en avant, sain et sauf marche sur la flamme
Des astres par lesquels tu vins dans les vieux jours ;
Sans crainte, à travers l’étendue
Dont ne t’écrasa pas l’immensité jadis.
Les chaînes du Temps ont été brisées,
Et tombent les terrestres liens faits de bonheur et faits de larmes,
Et s’élargit le rêve étroit aux sublimités de l’espace. »
A la fois poésie et méta-poésie, l’œuvre de Clark Ashton Smith est révélatrice d’une réconciliation opérative sans cesse renouvelée, élargie, inclusive de ce qui se veut exclu, à la marge, impossible à penser.
Cette belle édition, illustrée de six œuvres d’El Jicé, propose une formidable expérience poétique pour le lecteur.
Clark Ashton Smith, celui qui marchait parmi les étoiles, traduction et direction de Jean Hautepierre, Collection Les manuscrits d’Edward Derby, Editions L’œil du Sphinx.
Les Editions de L’œil du Sphinx, 36-42 rue de la Villette, 75019 Paris, France. www.oeildusphinx.com