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Climat : géo-ingéniérie risquée
Par Sylvestre Huet

Big Billou, le fondateur de Microsoft, passe du plantage informatique au plantage du climat. Riche à milliards, issus du racket de centaines de millions d’utilisateurs d’ordinateurs, Bill Gates fait partie des « philanthropes » ne sachant que faire de leur argent. Il vient d’en trouver un usage : subventionner des initiatives soutenant la « géo-ingénierie climatique ». C’est ainsi que, dans quelques mois, un ballon installé dans la haute atmosphère au-dessus de Fort Sumner (Nouveau-Mexique, Etats-Unis), devrait y injecter des particules sulfurées censées réfléchir la lumière solaire et ainsi refroidir la Terre.

Bill Gates n’est pas seul dans cette aventure. D’autres richissimes autoproclamés « visionnaires » – présentés ainsi par nombre de gazettes – emboîtent le pas de la géo-ingénierie climatique. Sir Richard Branson est aussi de la partie. Logique : sa fortune repose sur le kérosène de l’avion low-cost. Il veut aussi envoyer des touristes très friqués faire un tour à 100 km d’altitude pour un petit frisson cosmonautique – loisir très polluant, très cher et sans intérêt technologique.

L’idée semble simple et bonne. La Terre se réchauffe ? Ce changement climatique est provoqué par nos émissions massives de gaz à effet de serre ? C’est un problème car nous ne voulons pas réduire notre usage massif du charbon, du pétrole et du gaz ? Refroidissons la Terre en rejetant les photons du Soleil vers l’espace. Comment ? Avec d’immenses miroirs spatiaux. En peignant en blanc tous les toits et les déserts. En envoyant des milliers de navires automatisés injecter dans l’air des aérosols d’origine marine… Ou en injectant des milliers de tonnes de particules réfléchissantes dans la stratosphère, comme le soutient Bill Gates.

Episodes dramatiques au Sahel

Ces idées séduisent les partisans de l’action, persuadés qu’à tout problème posé par l’usage des techniques d’autres techniques opposeront une solution. Elle fait se dresser les cheveux sur la tête des climatologues. Car les méthodes proposées sont si simples et si brutales qu’elles pourraient bien se révéler remèdes pires que le mal. Elles reposent sur l’ignorance plus que sur le savoir. Et négligent de vérifier si ce qui est bon pour certains ne serait pas mauvais pour d’autres.

Prudents, bien plus que nos milliardaires mégalomanes, une équipe de climatologues britanniques écrit dans Nature Climate Change [1] qu’il faut de nombreuses études régionales pour « informer les décideurs politiques afin de développer une gouvernance mondiale consensuelle » avant toute action de géo-ingénierie climatique.

Secheresse-au-sahel photo IRD Patrick BlanchonCe propos vient en conclusion d’un article démontrant le risque de toute action irréfléchie sur le climat planétaire. Il porte sur l’histoire des sécheresses qui ont accablé le Sahel dans les années 70 et 80. Episodes dramatiques, avec 250.000 morts et 10 millions de réfugiés. L’agriculture sahélienne dépend en effet pour l’essentiel des pluies de la mousson, durant les mois d’été.
Les mécanismes ayant provoqué ces sécheresses demeurent l’objet de recherches intenses. Ils pourraient être liés à des oscillations multidécennales des gradients de températures dans l’océan Atlantique, qui déterminent en partie la force de la mousson africaine. Mais, pour expliquer les sécheresses des années 70 et 80, les spécialistes font également appel à la pollution en aérosols industriels du ciel de l’hémisphère nord, singulièrement au-dessus de l’Europe. Cette hypothèse, plausible mais non démontrée, n’est pas alternative mais complémentaire des oscillations naturelles de l’Atlantique. L’affaire se corse avec la prise en compte de l’influence possible des oscillations du Pacifique, dites El Niño-La Niña.

L’équipe dirigée par Jim Haywood apporte un élément nouveau : les éruptions volcaniques. Trois des quatre années les plus sèches du siècle au Sahel, – 1913, 1983 et 1984 – suivent directement les éruptions du Katmai (Alaska, juin 1912) et d’El Chichon (Mexique, avril 1982) qui ont injecté d’énormes quantités d’aérosols dans la stratosphère de l’hémisphère nord. A l’inverse, Jim Haywood et ses collègues notent l’absence de sécheresse après l’éruption d’Agung (Bali, Indonésie) en 1963 dans l’hémisphère sud. Un fort El Niño en 1983, en même temps que l’éruption d’El Chichon, mais un Pacifique en position neutre lors de celle de Katmai. Et ajoutent que la méga-éruption du Pinatubo, en 1991, a injecté les aérosols dans toute la stratosphère, sud et nord.

Baisse de 0,7 à 0,8°C des températures moyennes

Après avoir étudié par des simulations informatiques les conséquences de ces éruptions, les auteurs estiment donc qu’« une éruption volcanique survenant dans l’hémisphère nord, de la magnitude de celle Simulation de la mousson africaine en reponse à une éruption volcanique dans l’article de Nature climate change d’El Chichon, peut provoquer une sécheresse au Sahel ». Le lien avec la géo-ingénierie ? Les aérosols – avec lesquels nos apprentis sorciers veulent contrecarrer le réchauffement climatique en réfléchissant les rayons solaires – sont similaires à ceux émis par les volcans.

Aussi, l’équipe de Haywood s’est lancée dans des simulations du climat du XXIe siècle, dont certaines incluaient l’effet d’une injection massive d’aérosols artificiels – équivalent à la moitié de l’éruption d’El Chichon chaque année durant cinquante ans, entre 2020 et 2070 – soit dans la stratosphère sud, soit dans celle du nord. Le résultat est tout sauf encourageant.

Certes, les simulations montrent un effet refroidissant de 0,7 à 0,8°C durant cette période sur la température moyenne de la planète… qui vient en déduction du réchauffement provoqué par nos émissions de gaz à effet de serre. Mais si ces injections massives sont faites dans l’hémisphère nord, elles se traduisent par des sécheresses catastrophiques au Sahel. En revanche, si elles sont réalisées dans l’hémisphère sud, elles boostent les moussons africaines et la production agricole de la région. Yaka le faire ? Oui, si l’on souhaite déclencher une guerre avec le Brésil, car cette injection au sud provoque un autre effet : des sécheresses non moins catastrophiques dans le Nordeste brésilien ! On comprend que la conclusion générale soit « on ne touche à rien tant qu’on n’y voit pas plus clair ».

Des conséquences inattendues ailleurs, allant à contre-courant des objectifs

Pour Béatrice Marticorena du Laboratoire inter-universitaire des systèmes atmosphériques (LISA, CNRS, université Paris-Est Créteil et Université Paris-Diderot), les scientifiques américains, « pragmatiques », voient dans cette mode de la géo-ingénierie « un moyen de faire financer des recherches sur le rôle climatique des aérosols ». D’où parfois les soupçons ou les rumeurs de liens supposés de tel ou tel scientifique avec les groupes industriels, les milliardaires ou les idéologues à l’œuvre. Pour la climatologue, les résultats actuels des simulations du climat montrent « l’extrême complexité des rétroactions climatiques dont les conséquences sont souvent contre-intuitives. Une même température moyenne, obtenue par des moyens artificiels, peut correspondre à un cycle hydrologique très différent de l’actuel ». Elle souligne que la mousson africaine est l’un des phénomènes les moins bien compris. Les simulations du climat se contredisent à son sujet, certaines prévoyant de meilleures moussons en climat réchauffé et d’autres de pires que maintenant. Cette incertitude et ces contradictions interdisent de prendre pour définitif le résultat des simulations de l’équipe de Haywood.

Toute action sur le climat risque donc d’avoir, outre le résultat direct recherché, « des conséquences inattendues ailleurs, allant à contre-courant des objectifs. Ce ne peut donc pas être un substitut à l’action politique volontaire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre », souligne Béatrice Marticorena. Dans une revue détaillée des recherches conduites sur le sujet, Olivier Boucher, du Laboratoire de météorologie dynamique, notait aussi que les aérosols artificiels pouvaient diminuer « la couche d’ozone stratosphérique » et que leurs effets sur la photosynthèse des plantes demeuraient « incertains » [2]. S’il semble utile de maintenir un effort de recherches sur la géo-ingénierie climatique, elle doivent s’accompagner « d’une réflexion éthique », réclame-t-il. Big Billou sera-t-il sensible à cet appel ?

Article paru sur le blog Sciences au carré. Avril 2013.

Notes :

[1Jim Haywood et al, « Nature climate change », publié online le 31 mars.

[2« La Météorologie n°78 », août 2012.


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