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« Columbo : la lutte des classes ce soir à la télé »
La critique de Laurent Etre

Dans un ouvrage à paraître début octobre aux éditions Textuel, le sociologue spécialiste des mouvements sociaux Lilian Mathieu s’intéresse au… lieutenant Columbo !

Le crime étant toujours une rupture dans un certain ordre social, le polar qui s’en inspire constitue un moyen efficace et original d’interroger les fondements moraux d’une société, la légitimité des règles qu’elle se fixe, la perception de celles-ci par les individus. Et c’est sans doute pour cela que les sociologues s’y intéressent. Emboîtant le pas notamment à Jacques Dubois (Le Roman policier ou la modernité, 1992) et Luc Boltanski (Énigmes et complots, 2012), Lilian Mathieu nous livre une réjouissante, mais très sérieuse, analyse de classe du fameux lieutenant Columbo. Lancée en 1968 aux États-Unis, diffusée à partir de 1972 en France, la série policière a remporté, en France comme aux États-Unis, de francs succès d’audience. Or, selon Lilian Mathieu, cela pourrait tenir essentiellement au fait que Columbo met en scène, au travers de la résolution de chaque enquête, les mécanismes sociaux de la domination et une « revanche » des subalternes. En effet, l’intrigue a toujours lieu dans les hautes sphères, dans cette bonne société qui cumule tous les capitaux : économique, bien sûr, mais aussi culturel, social (le carnet d’adresses), politique… Et face à ces gens qui disposent de tous les moyens pour imposer leurs vues et maquiller leurs crimes, la charge de débusquer la vérité repose sur les épaules d’un policier négligé, dont la crédibilité est fréquemment mise en doute par ses interlocuteurs avant même que le dialogue ne s’engage (dans l’épisode Réaction négative, Columbo est carrément confondu avec un clochard). Mais c’est aussi sa naïveté d’homme ordinaire, se posant les questions simples que tout le monde se pose, qui permet à Columbo de déjouer les stratagèmes les plus sophistiqués. Un détail suffit pour démasquer le meurtrier, par exemple un laçage de souliers aux pieds d’une victime (Exercice fatal). Ainsi, « ce que démontre le lieutenant au terme de chacune de ses enquêtes, c’est que, contrairement à ce qu’ils croient, leur richesse, leur culture ou leur puissance ne font pas des criminels des humains supérieurs aux autres », analyse Lilian Mathieu. La revanche de classe dont il est question n’est donc « pas seulement une victoire du pauvre sur le riche, ou de la culture populaire sur la haute culture », mais aussi « celle de la vie quotidienne du plus grand nombre (…) sur les fastes et les méfaits des 1 % d’une classe dominante ». Une réflexion qui contribue de façon originale, mais sans tomber non plus dans un aveuglement spontanéiste, à attirer notre attention sur les ressources dont les dominés disposent pour s’émanciper.

Columbo : la lutte des classes ce soir à la télé, de Lilian Mathieu. Éditions Textuel, 2013, 13,90 euros.


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