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Comment redéfinir l’internationalisme économique ?
Une tribune de Quynh Delaunay sur l’Europe, les nations et la mondialisation

L’expansion mondiale du capitalisme constitue la réponse à ses difficultés d’accumulation à l’intérieur des frontières nationales. Elle prend la forme d’une délocalisation des activités industrielles vers les pays à bas salaires. La nécessité de collecter l’épargne ouvre à l’international les circuits financiers, donnant à la finance le pouvoir de piloter la nouvelle «  division internationale technique et sociale du travail  ». Les capitaux spéculatifs se lancent à la recherche des placements les plus rentables, fragilisant les économies nationales. L’activité économique se construisait dans un territoire national avec un degré d’intervention étatique variable suivant le rapport de forces entre les groupes sociaux. La mondialisation capitaliste érode les frontières nationales et affaiblit les pouvoirs des États. Elle confronte de façon brutale des sociétés inégales. La concurrence qui, dans la théorie économique, devait jouer dans le sens d’une meilleure performance technologique, se résume actuellement à la recherche des zones de bas salaires, constituant un frein au progrès technique. Quelles que soient les performances de ses entreprises, la France ne pourra, sur ces critères, être compétitive qu’en baissant ses coûts de production, directs et indirects. Alors qu’il y suffit à peine à entretenir la force de travail et son renouvellement, le niveau de ses salaires apparaît démesuré, comparé à celui des pays en voie de développement. La part de marché de ses entreprises s’amenuise, son potentiel de recherche et d’innovation s’effrite. Son tissu industriel se délite. La France s’appauvrit. Elle est devenue une puissance moyenne dont on n’écoute plus la voix. Deux options existent aujourd’hui :

-  Accepter la mondialisation telle qu’elle est imposée par les capitalistes, en infléchissant les moyens de la concurrence : pilotage par le crédit (taux d’intérêt différenciés), rôle de la monnaie (création d’une monnaie commune). En méconnaissant le caractère matériel sous-jacent de la division internationale du travail (secteurs économiques – agriculture, industrie, services –, politique de recherche et d’innovation, qualifications, niveau de salaires directs et indirects, à maintenir en France), cette stratégie combat le capitalisme de façon rhétorique. On ne peut mobiliser les masses américaines contre l’hégémonie du dollar sans remettre en question leur niveau de vie, ce qu’aucun président américain n’oserait faire. Les conflits d’intérêts des capitalistes, entraînant ceux des peuples, empêchent, pour l’instant, l’existence de régulations mondiales. Le capitalisme n’est moribond que dans les rêves éveillés. S’il produit des effets destructeurs sur les sociétés qu’il pénètre, ces dernières sont prêtes à accepter les conditions d’exploitation les plus abominables comme un passage obligé d’une amélioration (réelle) de leur vie. Il ne faut pas projeter ses modes de pensée et ses aspirations sur ces sociétés : leurs cultures sont très loin de la participation à la politique et à la construction de projets collectifs.

Redistribuer les profits pour satisfaire les revendications est juste et nécessaire, mais insuffisant sans une stratégie économique à long terme. Cela alimenterait les importations de produits de plus en plus fabriqués ailleurs, contribuant à l’affaiblissement de la France.

-  Deuxième solution – écartée pour l’instant comme inadaptée : remettre l’État en marche pour construire une « politique économique », en délimitant un territoire stable et relativement homogène. Le monde ayant changé d’échelle, c’est en termes de grandes aires économiques et politiques qu’il faut raisonner. Ces aires doivent avoir deux volets, à savoir la proximité matérielle (infrastructures, coopérations économiques, niveau et mode de vie) et la proximité culturelle (civilisation, institutions). Les facteurs idéologiques priment dans une démarche commune. Cette politique doit se faire avec l’Europe. Ce sera longtemps une Europe des nations, avant d’être une Europe-nation. Avec des échanges négociés et contrôlés, elle ne sera ni autarcique ni inamicale. Elle sera solidaire des autres peuples. Aujourd’hui, l’Europe est capitaliste. La France l’est aussi. Mais les luttes sociales ont pu donner une orientation progressiste à son cours, à divers moments de son histoire. L’Europe démocratique est un combat long et difficile, car les peuples, sous une culture commune, ont développé des variantes et atteint des niveaux différents (richesses, conscience, aspirations). Elle est une nécessité, sous peine de devenir un appendice des États-Unis.

L’État nation demeure un point d’appui dans la construction de l’Europe. Tout en tenant compte de l’expérience et des aspirations des travailleurs et de la population, à travers leurs organisations représentatives, une politique économique commune (système productif et financier, régions, recherche, politique sociale, marché intérieur, institutions) est indispensable. Elle devra se mobiliser à son échelle.

L’internationalisme économique reste à définir. Une autre mondialisation est possible, à condition de produire des repères, de fixer des étapes, pour que les peuples puissent intervenir suivant leur compréhension et leur rythme.

Par Quynh Delaunay, sociologue.

Tribune parue dans l’Humanité du 12 novembre 2010


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