Une histoire française, dont l’action se déroule entre 1766 et janvier 1789, est désormais disponible en poche. Quelle a été la genèse de ce roman ?
Le déclencheur a été un discours de Louis XV en lit de justice réaffirmant les principes de la monarchie absolue alors que vingt-cinq ans plus tard la révolution démarrait. On trouve dans cette période ce que j’appelle des constantes. Je n’en citerai qu’une : il y avait ceux qui ne juraient que par le Marché et ceux qui prônaient la régularisation de l’économie par l’Etat !... La France, vieille nation, est faite de tensions qui, s’affrontant dans les institutions, sont en définitive créatrices de ce qu’on appelle aujourd’hui la citoyenneté. Il y a alors un très haut degré politique dans ce pays qui a inventé depuis Clovis la nation civique contre la nation ethnique.
Depuis quelques années le mot nation est employé par la droite de manière un peu forcenée, qu’en pensez-vous ?
Notre période est celle d’une destruction intense par un capitalisme généralisé. Il est visible qu’il manque des repères possibles et forts pour les plus fragilisés et que ces derniers sont et seront de plus en plus nombreux. Ainsi que le rappelait Pierre Manent : « L’Etat est de moins en moins souverain et le gouvernement de moins en moins représentatif. Les instruments politiques de la nation démocratique sont de plus en plus fonctionnels et de moins en moins politiques ». Ajoutons à cela, la remarque de Stéphane Rozès : « Si le travailleur ne retire plus de fierté de sa fonction, il se replie facilement sur celle d’être français ». Enfin, le système consumériste impose sa culture singulièrement avec « la tyrannie du présent », cet « éternel présent » évoqué par Hobsbawm dans L’Âge des extrêmes. Cette autre face, pour lui, de « la perte d’autonomie économique et monétaire du pays, du relâchement du lien social, de la montée de l’incivisme et de l’incivilité, et surtout de la poussée de l’individualisme hagard et du multiculturalisme ». Tout cela, le discours, je dis bien le discours, de la droite le prend en charge de manière offensive alors qu’il fait, selon moi, défaut à gauche.
Comment ça ?
Eh bien parce que nous avons à faire à la gauche libérale et une « deuxième gauche », Aragon disait « la petite gauche », qui véhicule majoritairement, selon moi, du gauchisme politique et culturel qui donne le la. Du reste, cela se manifeste dans le fait que les couches populaires, le peuple, ont disparu de l’écran. Or, le peuple a bien évidemment une histoire et l’on sait dès lors qu’on ignore les racines, il y a un retour du refoulé. Aujourd’hui, ce retour s’appelle notamment Nation. Et la droite l’a bien compris ! Dans les années 30, après le désastre allemand – l’écrasement de la gauche désunie tout entière au profit des nazis – l’Internationale communiste a fini par agir. Les messages de Thorez à Staline portant une ligne nationale et d’union sont à cet égard significatifs. Ils seront du reste publiés pour l’anniversaire du Front populaire, l’année prochaine… Le PCF, on le sait, a joué, dans un contexte international inédit, un rôle majeur pour que la France puisse rester la France.
N’est-ce pas un peu sévère ?
Le problème c’est qu’on ne peut pas s’en tenir essentiellement à la discrimination et ne plus porter la dimension de classe. Or, aujourd’hui, construire une alternative au capitalisme destructeur suppose de dépasser la logique des extrêmes constituée par le nationalisme comme par le communautarisme. Je suis assez d’accord avec Fidel Castro sur l’échec du premier communisme politique. Pour lui, les communistes n’ont notamment pas su intégrer la nation, la religion, l’Etat. Gramsci ne dit pas autre chose… Une histoire française nous rappelle que notre nation s’est fondée par un combat pour des valeurs universelles. Quant à moi, je m’en tiens à Marc Bloch : « l’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent : elle compromet, dans le présent, l’action même. »
Entretien réalisé par Pierre Chaillan
Une histoire française, Valère Staraselski, De Borée, 608 pages, 8,90 €.