Chère Christiane Demontès !
En effet, permettez-moi d’être familier avec vous, je tiens sûrement ça de mes vieux amis, Jacques Prévert et Boris Vian ; je suis familier avec toutes celles et tous ceux de ma propre famille. Quant au point d’exclamation, il s’impose de lui-même, naturellement. Ou, plutôt, ce sont les circonstances qui le réclament. Ne voyez dans ce début de lettre aucune ironie de ma part, j’ai cela en horreur. Comme j’ai en horreur, pareillement, la langue de bois — dont on fait, depuis toujours, les triques. Et je n’aime ni les triques ni les matraques… Mais venons-en, tout bonnement, à ce qui nous préoccupe aujourd’hui.
Depuis quelque temps, j’ai laissé s’installer autour de moi, sans réellement réagir, une rumeur montante, une rumeur de plus en plus persistante : l’annonce de la fermeture du Centre d’arts plastiques de « votre » commune. J’ai, tout d’abord, cru à un piège tendu par l’adversaire. J’ai donc laissé courir. Des amis m’avaient pourtant prévenu, mis en garde. Je n’arrivais cependant pas à croire à cette décision, puisqu’il s’agit bien d’une décision — et que vous avez prise, directement. Je vous l’avoue, chère Christiane, madame le maire, je ne vous comprends pas. Qui a bien pu vous influencer ? Cette décision est non seulement mesquine, et cruelle à la fois, mais je la trouve stupide. Elle relève, surtout, de la pure et simple bêtise. Peut-être s’agit-il, pour vous, de faire table rase du passé ? De balayer, en un éclair, devant la porte de votre prédécesseur, Michel Denis. Certes, le personnage est assez douteux, et je suis très loin de partager ses visions du monde où nous sommes. Avec d’autres, je l’ai même régulièrement combattu. Mais il savait, lui, que l’action du Centre d’arts plastiques de Saint-Fons devait perdurer, s’inscrire dans la durée. Il avait compris que, créé il y a une vingtaine d’années par le talentueux Jean-Claude Guillaumon, à l’initiative du maire socialiste de l’époque, Franck Sérusclat, le Centre d’arts plastiques de Saint-Fons, également véritable lieu de ressources, était un outil spécifique d’intégration et de pédagogie en direction des populations les plus défavorisées. Et, sur la commune, ces populations ne manquent pas ! Là encore, vous le voyez, je m’exclame ! Oui, Christiane Demontès, votre adversaire, Michel Denis, avait aussi compris que le Centre d’arts plastiques de Saint-Fons avait acquis, avec les années, une profonde notoriété régionale, puis nationale.
Vous n’êtes pas sans savoir, madame, que l’année 2009, qui vient à peine de commencer, sera notamment marquée par le cinquantième anniversaire de la création du ministère de la culture, sous la présidence de Charles de Gaulle, par l’écrivain André Malraux. Souvenez-vous du décret du 24 juillet 1959 « portant organisation du ministère chargé des affaires culturelles », signé de la main même de Malraux.
« Le ministère chargé des Affaires culturelles a pour missions :
- de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ;
- d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel ;
- de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent ».
Tout un programme, me direz-vous. Programme qui, en ces temps de crise, de planète malade et d’extrême confusion, ne demande qu’à être poursuivi, voire accompli. L’urgence de cette époque où nous vivons, j’ose le croire, exige, chère madame, que toute la place soit faite, désormais, aux arts et à la culture. La France n’est plus un « cœur », actuellement. Elle est un petit pays dont la grandeur tient certes aux traditionnelles valeurs de la République : laïcité, liberté, égalité et fraternité. Mais sa grandeur réside, pareillement, dans son histoire, sa langue, son éducation, sa recherche et sa culture. La France d’aujourd’hui n’est rien sans tout cela. À ce propos, et à propos de l’affaire qui me tracasse tant, je voudrais encore citer André Malraux, de mémoire : "La classe vraiment riche n’a pas besoin des Maisons de la culture". Cela peut paraître excessif, mais cela est juste, en vérité… Ce sont nos villes, Christiane, qui ont le plus besoin d’invention et d’imagination. Nos villes sont pauvres, elles méritent l’excellence — qui n’est jamais un supplément d’âme. Nos villes sont pauvres, et nous nous devons de les enrichir par l’art et la culture.
La politique est une chose vraiment sérieuse, elle ne peut pas être prise à la légère. Voilà tout ce que je voulais vous dire, aujourd’hui, avec mes mots qui sont des armes. J’attends maintenant une réponse. J’attends une réponse, parce que j’espère ne pas m’être trompé sur votre compte en appelant à soutenir votre candidature l’an dernier. J’attends donc, et avec une certaine impatience, de vos nouvelles…
Saint-Fons, le 14 janvier 2009
Thierry Renard est Directeur de l’Espace Pandora à Vénissieux