La situation de crise sanitaire d’une ampleur inouïe que l’on connaît aujourd’hui avec l’épidémie foudroyante Covid-19 due au coronavirus Sars-Cov-2 exige une mobilisation de tous. Il y a eu des retards, il y a eu des insuffisances concernant les matériels à mettre à disposition des soignants en première ligne, et qui sont à très grands risques d’être contaminés, mais le temps n’est pas aux polémiques. Il n’est pas trop tard pour une mobilisation générale contre le virus. Je voudrais aborder ici le problème des tests diagnostiques et de la recherche.
Pour avoir des estimations de la dynamique de l’épidémie, il n’est ni utile ni nécessaire de faire des tests diagnostiques sur l’ensemble de la population, mais il est indispensable de faire des « coups de sonde » sur des échantillons particuliers de la population. En premier lieu, il faudrait tester régulièrement tous les personnels soignants des services de réanimation, qui sont à très grands risques d’être contaminés et, au-delà, au minimum des échantillons importants de soignants hospitaliers et de médecins.
Si on n’estime pas régulièrement le taux de contamination dans les services de réanimation, et chez les soignants plus généralement, on ne pourra pas savoir si leurs conditions d’exercice actuelles sont vraiment suffisantes pour empêcher la diffusion du virus et pour la protection indispensable de ces soignants afin d’éviter de décimer ou simplement d’affaiblir ces équipes soignantes qui sont en première ligne.
Ensuite, il faudrait tester des échantillons de la population générale. Par exemple, on a fermé les écoles et les universités. Très bonne mesure. Mais on ne sait rien de l’étendue de l’épidémie chez les enfants. Heureusement, seule bonne nouvelle, aucun cas grave n’a été détecté chez des jeunes enfants au niveau mondial. Mais ces enfants sont suspectés de pouvoir transmettre la maladie. Estimer l’étendue de l’épidémie chez les enfants permettrait de mieux calibrer les mesures les concernant. Et, bien sûr, il faudrait tester des échantillons représentatifs de la population générale. Tout ceci est indispensable si on veut avoir une estimation la plus exacte possible de la dynamique de l’épidémie en France afin de tenter de mieux la maîtriser.
On nous dit que les kits diagnostiques ne sont pas disponibles en quantité suffisante. Mais, grâce au travail remarquable fait par les chercheurs chinois, même si ces kits ne sont pas encore disponibles à l’échelle industrielle, ils peuvent être répliqués par les nombreux laboratoires de recherche, publics et privés, spécialisés en biologie moléculaire dans de très bonnes conditions de fiabilité. Les chercheurs chinois ont très rapidement mis à disposition de la communauté des chercheurs en accès libre l’ensemble des séquences du virus, des réactifs et de la méthodologie nécessaires à ces tests diagnostiques. Il faut se rappeler que, lors de l’identification du virus de l’hépatite C, une entreprise américaine s’était dépêchée de déposer une demande de brevet pour tout verrouiller.
À situation exceptionnelle mesures exceptionnelles. Pour la synthèse des réactifs nécessaires à ces kits, on peut s’adresser aux compagnies pharmaceutiques opérant en France et qui ont sans aucun doute les équipements nécessaires. Il est relativement simple de répliquer un test diagnostique de ce type, test qu’on appelle PCR, par une entreprise pharmaceutique. C’est dans les circonstances actuelles que l’on peut regretter l’absence aujourd’hui en France d’un pôle public du médicament. Mais les entreprises pharmaceutiques actuelles peuvent mettre leur savoir-faire industriel dans la production de ces kits diagnostiques basés sur des amorces oligo-nucléotides d’une vingtaine de nucléotides très simples dont les chercheurs chinois ont donné les séquences.
Pour la réalisation des tests, si on n’a pas assez de laboratoires de biologie médicale et hospitalière en mesure de les effectuer, il faut mobiliser les laboratoires de recherche de biologie moléculaire. L’Inserm et le CNRS doivent se mobiliser rapidement à ce sujet. On devrait pouvoir monter très rapidement une structure de type formation aux tests diagnostiques sous la responsabilité d’un spécialiste de virologie moléculaire des coronavirus, comme Bruno Canard et d’autres chercheurs marseillais, ou les virologistes de l’Institut Pasteur, ou d’autres, et diffuser ces tests avec une fiabilité maximale, en attendant qu’ils soient disponibles commercialement en quantité suffisante par les entreprises spécialisées. Il n’est pas très difficile pour des chercheurs spécialisés en biologie moléculaire d’effectuer ces tests PCR avec les contrôles positifs et négatifs indispensables pour assurer leur fiabilité. L’Inserm, le CNRS, l’ANRS, les entreprises pharmaceutiques devraient, dans le cadre de cette mobilisation exceptionnelle de la nation, proposer une initiative de ce type afin de fournir les tests diagnostiques et les équipes pour réaliser ces tests qui manquent cruellement aux médecins aujourd’hui.
Les organismes de recherche, publics et il faut l’espérer privés, les chercheurs, se sont mobilisés pour les recherches de médicaments ou de vaccins, pour les études épidémiologiques et de santé publique, ils peuvent se mobiliser pour les tests diagnostiques et, au-delà, pour les tests sérologiques de détection d’anticorps. De plus, il ne faut pas leurrer la population. Pour la mise au point de médicaments, il ne faut pas attendre des miracles immédiats des essais cliniques qui sont actuellement lancés dans le monde, avec des molécules qui n’ont pas été développées contre ce virus mais contre d’autres types de virus. Une de ces molécules, le remdesivir, du laboratoire américain Gilead, pourrait effectivement avoir une certaine efficacité dans la mesure elle a été déjà testée avec un certain succès sur des virus proches mais pas sur l’homme. En revanche, d’autres molécules comme celles développées contre le virus du sida ont peu de chances d’être suffisamment actives, car le virus du sida est très éloigné du Sars-Cov-2. Un axe de recherche important aujourd’hui dans le domaine des antiviraux est de développer des molécules à large spectre qui pourraient être efficaces contre toute une famille de virus. Mais c’est beaucoup plus difficile à identifier.
Il faut savoir que les molécules antivirales les plus efficaces à ce jour sont toujours très spécifiques de la cible virale contre laquelle elles ont été développées, parce que, pour avoir la puissance thérapeutique nécessaire, elles doivent se lier avec une très grande affinité à leur cible propre. Ceci nécessite un travail en cours de recherche fondamentale d’élucidation des structures des protéines cibles du coronavirus et de nombreux mois de chimie médicinale, pour parvenir à des molécules suffisamment puissantes.
On a besoin pour le développement de molécules efficaces contre le coronavirus d’une implication totale des entreprises pharmaceutiques en collaboration étroite avec la recherche académique. Les grandes entreprises pharmaceutiques ont été les principales bénéficiaires des milliards du crédit d’impôt recherche (CIR). Il est en retour indispensable qu’elles se mobilisent totalement dans la recherche thérapeutique et vaccinale contre le coronavirus, avec également le concours d’entreprises de biotechnologies spécialisées. Il ne faudrait pas que se renouvelle la triste expérience des recherches thérapeutiques contre le VIH virus du sida, avec une absence totale de molécules anti-VIH développées en France, alors que c’est en France, à l’institut Pasteur, que le virus VIH avait été découvert.
Richard Benarous, ancien directeur du département maladies infectieuses à l’Institut Cochin et ancien directeur scientifique d’entreprise de biotechnologies
Texte paru dans l’Humanité du 18 mars 2020