Bernard Lubat a reçu le ruban rouge tant convoité. Peut-il l’accepter sans se déjuger ?
« La réalité de l’artiste est la possibilité des autres hommes. » Joë Bousquet.
Légion d’honneur ? En quel honneur… Accepter, refuser ? Dans les deux cas, semble-t-il, nécessité de selfs’pliquer. Cette distinction pose problème (comme toutes les solutions), quoi qu’on en dise et médise, méritée ou pas, elle reste hautement symbolique… suscitant fort courroux : être ou ne pas être récupéré, récupérable ? (Tout dépend de quel point de vue on se déplace ! comme disait mon grand-père.)
En l’honneur d’Uzeste Musical – cette « luttopique » des classes de première classe, cet acte déconcentralisé à la base des bases –, c’est ainsi que je l’accepte.
Hommage aux camarades amis(e)s et collègues vivants et disparus qui, contre toute atteinte, vents et chamarrés, font naître et renaître l’Uzeste Musical depuis trente-cinq ans, tous les ans, tous les mois, tous les jours, lui apprennent à grandir sans grossir, à s’improviser sans cible, humour chevillé au corps, pensée critique intacte.
J’ai l’honneur ainsi d’être l’entraîneur-joueur d’une incroyable équipe d’œuvriers créateurs artistes artisans intellectuels syndicalistes enseignants militants bénévoles habitants retraités publics et techniciens du spectacle, ensemble, tous ensemble, collectivités territoriales, partenaires institutionnels, anciens et nouveaux élus, contrats dictions compris(es).
« Être ne suffit pas à l’homme, il lui faut être autre. Ainsi s’exerce la souveraineté de l’esprit. » Aragon.
Quant aux rapports poïélitiques avec l’Uzeste Municipal (de droite ou de gauche et à part une rare exception), le mystère reste rentier… L’ Uzeste Musical aura sans doute toujours à lutter contre cette célèbre et énigmatique « paparano-cacafouillante » qui se bégaye ici comme ailleurs à l’égard de la création artistique contemporaine vitale vivante.
« Aux soleils de la lutte la servitude fond. » Bertolt Brecht.
Ainsi d’ici d’en, pas du pur, plutôt du vrai ; de l’humain de l’humus de l’humeur de l’humour de l’humide. Sur le marché, l’Uzeste Musical ne vaut rien. Grain de sable, sa liberté n’a pas de prix, une vraie légion d’erreurs… de celles qui « laissent des traces, non des preuves ».
Avec et par l’Uzeste Musical, je suis devenu ce citoyen d’art et d’essai qui dérange, qui se dérange (à gauche à droite au centre en haut en bas devant derrière) qui cherche ce qu’il trouve (des emmerdes), qui cherche des histoires, qui les raconte pour payer le prix qu’elles lui coûtent.
« Si nous n’avons plus d’artistes, toute la société perdra courage, et sans courage, il n’y a pas de politique. » Marie-José Mondzain.
P. S. : Sous un gouvernement de gauche, pour les mêmes raisons, j’aurais accepté la distinction et quant à la musique qui me joue, « radicalmement » désagréable à l’oseille, elle ne plaît ni au prince ni au peuple. Ah ! le fric… cette vieille drogue dure, qu’on en manque ou qu’on s’y vautre… nuit gravement à la santé.
Se battre pour sortir la création artistique contemporaine de la marginalité, même si cette lutte est éperdue d’avance, paradoxale, avant-gardiste attardée, anti-systèmes dogmes chapelles mondes finis… Quand la République sait parfois reconnaître ses « petits »…
« Il faut avoir le courage et l’opiniâtreté de présenter au spectateur ce qu’il ne sait pas qu’il désire. » Jean Vilar.
Texte paru dans l’Humanité du 9 janvier 2011