Je vous ai vus enlacés dans le vent
Mouillés par la langue rugueuse du désir
Joyce Mansour, Déchirures
Je voudrais qu’on me balaie les os. Je voudrais qu’on m’étreigne avec force.
Je voudrais qu’on me tienne longtemps serré dans les bras. Je voudrais qu’on m’ouvre les yeux encore une fois, qu’on m’alimente en bonté et en tendresse.
Je voudrais qu’on me lave nu devant tout le monde, dans l’eau d’une fontaine, sous le soleil de midi. Je voudrais qu’on me peigne, qu’on me soigne, que l’on prenne grand soin de moi.
Je voudrais qu’une bouche se pose sur mes lèvres, délicatement. Et je voudrais qu’après de cette même bouche une langue sorte et retrouve la mienne. Puis je voudrais que nos langues se délient et se parlent inévitablement. Je voudrais que nos dents s’entrechoquent.
Je voudrais qu’au moins deux mains me caressent, que de longs doigts effleurent ma peau, mon sexe, je voudrais sentir en moi monter le désir et la tourmente du désir. Je voudrais voir naître et grandir la passion des plaisirs attendus.
Je voudrais qu’on me déchire avec empressement, qu’on me retourne avec goût et avec chaleur, non sans une réelle complicité. Je voudrais qu’on me prenne par la taille et qu’on m’entraîne dans un lit bien trop grand, un lit prêt à se défaire et à se refaire à tout moment.
Je voudrais qu’on me froisse, qu’on me plante, qu’on m’écorche même un tout petit peu. Je voudrais qu’on me griffe avec les ongles. Et surtout que l’on me prenne au piège et qu’on me garde prisonnier. Je voudrais que l’on me pince du bout des doigts le bout des seins, que l’on me tienne longtemps éveillé. Je voudrais qu’on me prive de mon inestimable liberté.
Je voudrais qu’on perce tous mes secrets, qu’on m’attire dans des eaux troubles, qu’on arrose jusqu’au seuil de mon jardin. Je voudrais qu’on m’abandonne à mes rêves et à mes fantasmes. Je voudrais qu’on me laisse ainsi, épanoui et blessé.
Je voudrais qu’on m’appelle par mon nom, qu’on m’accompagne sur la route et qu’on m’empêche de penser tout le temps, de m’agiter en vain ou de devenir fou.
Je voudrais que l’on ouvre toutes les portes de ma vie et qu’on me pose, tel un oiseau de compagnie, tel un animal domestique, sur le rebord de la fenêtre de la chambre à coucher.
Je voudrais qu’on me tire vers la sortie, qu’on m’apaise enfin, qu’on m’améliore et qu’on m’augmente. Je voudrais trouver l’issue la plus durable.
Je voudrais qu’on me renverse une bonne fois pour toutes. Je voudrais bien aussi être traversé par un air neuf durant tout l’été. Je voudrais, pour terminer, qu’on me transperce de chaque côté. Et je voudrais ensuite pouvoir dormir longtemps dans ma salle de bain.
Je voudrais être encore réduit, raccourci, condensé.
Je voudrais rester laconique et précis.
Saint-Julien-Molin-Molette, nuit du 27 au 28 juillet 2012 ;
Vénissieux, le 13 juillet 2013