La revue Progressistes a régulièrement traité les enjeux liés à la coopération et au partage des savoirs si nécessaire face aux défis globaux. En particulier 2 contributeurs de la revue que je tiens à citer ici y ont beaucoup travaillé : Sébastien Elka et Clément Chabanne.
L’enjeu du climat est pour nous central. Afin de lutter contre le changement climatique tout en s’y adaptant, les États doivent dès aujourd’hui investir des systèmes énergétiques et informationnels complexes. Pour y parvenir, le transfert international des savoir-faire et technologies doit s’imposer face aux thuriféraires de la concurrence féroce.
Qu’il s’agisse de réduire la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre, de prévoir les conséquences du réchauffement ou de s’y adapter et d’en protéger les populations, le défi climatique est affaire de technologie et de savoir-faire, mais aussi de ressources, très inégalement réparties sur la planète.
Dans les pays déjà industrialisés, il s’agit de rénover profondément les réseaux énergétiques, les systèmes industriels et agricoles, les logements existants. Dans des tissus économiques et sociaux complexes et interdépendants, c’est un exercice difficile qui implique de combiner des changements d’organisation, des investissements lourds et des nouvelles technologies pas toujours prêtes. Au-delà de la lutte contre les causes du réchauffement, il importe aussi de se préparer à en affronter les désormais inévitables conséquences, d’adapter les systèmes agricoles et d’anticiper sur la montée des eaux et la fréquence accrue des événements météorologiques extrêmes.
Dans les régions du monde en retard d’industrialisation, la question se pose différemment. Leurs systèmes énergétiques s’appuient principalement sur les énergies fossiles, voire le bois et le charbon, simples à acheter, à stocker et à transporter. Les réseaux électriques, nécessitant des savoirs complexes et des équipements coûteux, s’avèrent souvent défaillants et limités à quelques zones urbaines. Dans ce cadre, une alimentation énergétique décentralisée, avec des petites unités au plus près des besoins, permettrait d’envisager des réseaux plus simples et potentiellement plus fiables.
Parallèlement, la diversité des milieux et climats impacte l’efficacité de certaines énergies (éolien, solaire, géothermie…), une île australe n’ayant pas les mêmes potentiels qu’une zone saharienne. La même hétérogénéité se retrouve du côté des besoins, qu’il s’agisse du chauffage, rafraîchissement ou isolation des bâtiments, mobilité, production agricole ou industrielle.
Tout cela montre que si la problématique du réchauffement climatique et la nécessité de sortir des énergies carbonées sont mondiales, les solutions à apporter – donc les technologies à mettre en œuvre – peuvent varier localement. Or ces enjeux diversifiés se heurtent aux inégalités de développement comme aux politiques industrielles des firmes et pays dominants. Mais la répartition des cartes évolue. Ainsi, le Brésil déploie une politique énergétique originale, faisant la part belle aux agrocarburants de canne à sucre, avec toutes les ambiguïtés d’une production de bon rendement énergétique mais qui alimente la déforestation et les injustices sociales. Non loin de là, le Chili et la Bolivie explorent le potentiel photovoltaïque de leurs territoires d’altitude, très ensoleillés, et exploitent les réserves de lithium – métal léger indispensable aux batteries – de leurs lacs salés. Au nord, l’Islande exploite la géothermie à un niveau sans équivalent.
Face à l’urgence du réchauffement climatique, les technologies et savoir-faire disséminés sur le globe doivent pouvoir être employés par tous les pays à la hauteur de leurs besoins. Le sujet est trop important pour laisser la propriété industrielle et les stratégies financières des grandes firmes bloquer l’accès de ceux qui en ont besoin au meilleur du savoir humain. D’autant que nous sommes tous liés par une pollution qui n’a pas de frontière.
Il en va d’ailleurs de même pour les exigences de valorisation de la recherche publique, qui ne doivent pas s’opposer à l’essor des nécessaires coopérations. Des organismes comme le ECN (Centre néerlandais pour la recherche sur l’énergie), le Fraunhofer ISE allemand ou le CEA-Liten (Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies renouvelables) français apportent à des États moins avancés leur assistance technologique. Toutefois, il faut bien constater qu’on oscille souvent entre déclarations creuses, accompagnement intéressé de partenaires industriels nationaux et quête de financements externes pour remédier au désengagement des États. Les politiques d’aide au développement financent en partie ces transferts de technologie, mais en pratique les sommes concernées sont insuffisantes.
La coopération qui a présidé depuis des années aux travaux du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat), sous l’égide des Nations unies, a montré tout l’intérêt qu’il y avait à développer une approche coopérative multilatérale. Ne devrait-on pas aller plus loin et coordonner une véritable action internationale d’ampleur en faveur de l’amélioration des systèmes énergétiques et de préparation des régions vulnérables aux conséquences du changement climatique ? La majorité des États dispose de capacités, même faibles, de recherche publique, de ministères et d’agences dédiées à ces sujets, et le réchauffement climatique est l’une des premières préoccupations d’ampleur mondiale. Au lieu de mettre tous les acteurs et territoires en concurrence, saisissons cette opportunité historique d’unir l’humanité. Coopérons.
Alors « coopérons » comme je dis, comme toutes les bonnes idées , elles sont déjà appliqués mais à l’échelle vraiment embryonnaire. Ainsi en est il du dispositif « mécanisme technologique ».
Le Mécanisme technologique a été créé dans le cadre du processus de la BUCCIN (Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques) pour aider les pays à améliorer le développement et le transfert technologiques. Il est doté d’un organe, le « Comite éxecutif Technique » qui répond aux demandes des pays en développement concernant l’aide technique sur les questions de technologie climatique. C’est une très bonne idée mis en place depuis 20 ans et inscrite dans l’accord de Paris de 2015. Chaque année elle émet un rapport dans le même esprit que les rapports du GIEC et recense l’état de la diffusion des technologie, les niveau de coopération, et pointent aussi les écarts de développement, les inégalité d’accès aux technologies et émets des recommandation. Ainsi dans le dernier rapport de 2022 elle souligne -comme dans chaque rapport- l’importance clé de l’accès au financement pour assurer un transfert de technologie efficace et massif. Comme toujours il y a des expressions dans ce rapport euphémisant le problème car disons le clairement, la finance aujourd’hui reste frileuse à prendre en main cet enjeux climatiques et investir dans des projets dans les pays du en développement. Si le climat est d’un intérêt crucial pour l’avenir de l’Humanité, il faut se doter d’institution financière, avec la Banque Mondiale, le FMI, qui aurait pour seul critère d’attribution du crédit, les projets en faveur du climat et de l’accès à l’énergie pour tous. Or cela reste un tabou de remettre en question ce fonctionnement et changer les critères actuels.
De plus cette structure de l’ONU autour du dispositif du « mécanisme technologique » a un budget Lilliputien, à peine quelques dizaines de millions d’euros pour traiter un problème à l’échelle mondiale ! Que dit l’AIE (Agence international de l’énergie) dans son rapport de 2022 ? sans forte coopération, nous allons avoir un retard de plusieurs décennie, 20 à 30 ans avant que le monde soit neutre en carbone : on y arriverait en 2080 au lieu de 2050. C’est écrit noir sur blanc. Et pourtant l’AIE c’est l’OCDE donc pas suspecté d’être spécialement gauchiste. Même eux ils soulignent le problème !
Ce rapport affirme que 14 millions d emplois supplémentaire serait en jeu , il est aussi questions 2 millions de morts prématuré par la pollution évité d’ici 2030 si ce scenario de coopération forte que prône l’AIE est engagé en comparaison avec la tendance actuelle.
Il faut dire qu’il faudrait jusqu’à 8 000 GW (Giga Watt) de capacité renouvelable supplémentaire d’ici 2030 à travers le monde, c’est à peu près 80 fois la puissance totale en éolien et solaire en Allemagne qu’ils ont construit en 20 ans avec des moyens considérables financiers et industriels que vous connaissez très bien. C’est immense.
Pour le nucléaire autre énergie bas carbone, qui a l’avantage d’être pilotable et donc très importante si on veut développer les énergies renouvelable intermittentes comme vous savez, là aussi les prévisions sont énormes : en Asie notamment les plans chinois et indiens prévoient plusieurs centaines de réacteurs d’ici 2050. Se pose sur ce sujet particulier, en plus des transferts de technologies, toute l’infrastructure nécessaire pour un pays « nouvel entrant » (qui commence avec cette énergie) pour maitriser la filière et l’exploiter dans des conditions acceptables : une autorité de sureté indépendant, du personnel formé etc … La coopération existe déjà à travers l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique, agence Onusienne rien à voir avec l AIE qui émane de l OCDE) , mais on comprend bien qu’avec un monde qui verra le parc nucléaire multiplié par 5 selon les scénarios dans les 50 prochaines années, la question de la sureté va devenir crucial. Il est essentiel alors de renforcer l’AIEA et pourquoi pas aller lui donner des pouvoirs analogue à travers le monde avec l’ASN en France : le pouvoir de demander l’arrêt d’une centrale en cas de manquement aux règles de sureté, n’autoriser que certains modèles de réacteurs avec les standards les plus surs etc etc un peu comme cela se fait dans l’aviation où ce n’est pas le pays qui autorise si un avion est apte à voler, mais une autorité internationale … ce sera un débat difficile mais on ne peut pas en rester à une AIE dans la version que nous connaissons … La France qui dispose du 2eme parc nucléaire mondiale et forte d’une expérience de 40 ans d’exploitation, montré en exemple à travers le monde, a une carte évidente à jouer dans une telle coopération.
Et ajoutons aussi que l’essentiel des transferts de technologie se fait actuellement entre pays riches mais plus rarement entre pays riche et pauvre ; Si des pays émergeant ont beaucoup bénéficié de ces transferts, comme la Chine, l’Afrique du Sud, le Brésil, il reste que l’Afrique reste la grande oubliée de ces échanges, ainsi que de grands pays comme l’Inde en Asie. Il faut changer de vitesse et faire en sorte que les transferts de technologies bénéficient aussi aux pays en voie de développement particulièrement les pays les moins avancés et que la législation sur les brevets et plus généralement les DPI (Droits de Propriété Intellectuel) évoluent
Sur ce point de la propriété intellectuelle, il faut savoir que tout projet industriel en Afrique est soumis à l’approbation des puissances du Nord qui se sont réservé un droit de veto sur l’utilisation de nombreuses techniques et innovations. Une fois cette autorisation accordée par les propriétaires de DPI (Droits de Propriété Intellectuel), il faut payer des frais d’utilisation de ces droits. Des frais qui peuvent être rédhibitoires pour les acteurs économiques locaux. Selon la Banque mondiale, ces frais auraient « explosés » dans les dernières décennies, passant de 5,5 millions de dollars en 1960 à plus de 3 milliards par an aujourd’hui. C’est donc un transfert de valeur direct de plusieurs milliards chaque année qui a lieu, via les DPI, de l’Afrique vers les pays du Nord ! Concrètement, les grandes entreprises qui monopolisent les droits de propriété intellectuelle ont la capacité d’interdire à un pays entier de s’engager dans le développement d’une filière industrielle. A l’heure de la lutte contre le changement climatique c’est une situation qui n’est pas acceptable.
J ai déjà été un peu long je vais m’arrêter là…
Les sources si vous voulez en savoir plus (c’est en anglais parfois) :
-le rapport de l ONU ( CCNUCC) autour des mécanisme technologique :
https://unfccc.int/ttclear/misc_/StaticFiles/gnwoerk_static/TEC_documents/f6cb095702554785b53f09b73db063b7/e17ce3e0ef0e4c6ab0c1d78633503a1a.pdf
-le rapport de l AIE
https://iea.blob.core.windows.net/assets/49ae4839-90a9-4d88-92bc-371e2b24546a/THEBREAKTHROUGHAGENDAREPORT2022.pdf
-l article de Sebastien Elka :
https://revue-progressistes.org/2015/11/29/transferts-de-technologie-et-cooperations-internationales-sebastien-elka/
-l article de Clément Roll :
https://revue-progressistes.org/2020/11/09/un-continent-sous-domination-imperialiste-le-role-des-droits-de-propriete-intellectuelle-clement-chabanne/
La vidéo de cette table-ronde :
https://www.youtube.com/watch?v=jxMFxrmxOnc&t=17s