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Feuille de route
Où Thierry Renard évoque Vénisieux, le communisme, Aragon et Cassou....

A Guy Fischer

Les paroles de bienveillance les pensées de bienveillance exprimées où que ce soit sur terre en ce jour, ou sur une autre planète errante, ou sur une étoile fixe par leurs habitants comme nous habitons la nôtre,
Les actes encore à venir, les pensées encore à venir de qui que ce soit, pourquoi pas vous,
Tout cela prend, a pris, prendra forme et visage des identités dont il est émanation

Walt WHITMAN, Feuilles d’herbe

et toute la maison froide était chaude comme un épi de maïs sur la plaque chauffante,
quand j’étais jeune.

Peter HANDKE, Pourquoi la cuisine ?

Quand j’étais plus jeune, je n’avais sans doute pas la même vision. Tout était beaucoup moins précis qu’aujourd’hui. Je m’agitais sans cesse, mais autrement. Je ne songeais guère aux lendemains. Je vivais libre, certes, mais sans une réelle conscience de ma liberté.
Puis, le temps a coulé sur les pages de mon livre.
L’expérience de quelques aînés et ma propre expérience ont fini par m’aider, en ouvrant toutes grandes les portes de ma destinée.

L’été, le plus souvent, nous assassine.
Et, pourtant, c’est la meilleure saison, la seule envisageable lorsque l’on se tient dans la misère ou la pauvreté.
L’été est là, cette fois.
Il nous expose son point de vue, nous impose ses lois et nous fait subir son châtiment. Mais nous aimons tellement ce moment, qui est l’une des promesses les plus convoitées et les plus intégrales.
L’été est là, qui se consume…
La vie est un fleuve, et notre ville grandit sur l’une de ses rives et sous un soleil de plomb. Le cœur est sec, maintenant. Mais nous aimons cette ville qui nous le rend bien.
Nous aimons la ville où nous avons été jeunes.

Voilà, j’ai parlé de Vénissieux, j’ai prononcé son nom, un nom sonore, un nom de connivence. J’ai prononcé le mot que nous connaissons tous.
VENISSIEUX.
La ville a été malade, qui panse ses blessures et soigne ses allergies.

Ici, il y a des colères nègres et des peuplades qui refont le monde, réinventent l’amour. Ici, les âmes ne sont pas grises, elles sont bleues.
Nous sommes au pays des heures brèves, et toutes les ethnies se valent et se mêlent. Ce n’est pas une illusion, c’est l’éclatante réalité.

Certes, mon angélisme peut faire sourire. Il est d’un autre temps, d’un temps où déjà cette ville existait. Vénissieux n’est pas un nom parmi les autres, c’est le nom d’une ville ô combien singulière, belle et rebelle, soleil et ombre à la fois.
Mon cœur est désormais réchauffé.
L’été et la ville m’ont comblé.

L’été. C’est aussi la saison de tous les rêves de bonheur et des gros bouquets d’utopies. Les fleurs et la lumière inondent les jardins. L’asphalte attend la pluie. Le temps est presque suspendu.
Nous n’avons rien fui d’important. Jamais !
Nous avons repoussé, avec force, la solitude. Nous n’avons pas renoncé à nos plus folles passions. Nous avons continué la route, avec courage. Moi, j’ai grandi ici. Et c’est ici que j’ai découvert l’autre nom de l’espérance. C’est ici, OUI, que j’ai compris ce que le mot COMMUNE voulait dire.

En France, sans doute bien plus qu’ailleurs, reste vivante l’idée que les pouvoirs publics gardent une haute responsabilité en matière de politique culturelle. Cette conception, émotionnelle presque, entre le peuple et son imaginaire national permet d’autant mieux aux expressions locales et régionales de s’épanouir en toute crédibilité et en toute légitimité.
En France, malgré toutes sortes de dérives ou de menaces à certaines époques, les pouvoirs établis et les choses de l’esprit ont continuellement partie intimement liée.

Avec cette courte prose, qui inaugure peut-être une autre manière d’appréhender la chose publique, j’ai surtout voulu montrer que s’il existait plusieurs vérités, en matière de politique culturelle notamment, je comptais bien les conserver toutes, même si toutes, c’est sûr, ne sont pas identiques…
Attention, prenons tout de même garde au relativisme.

— Pourquoi, me direz-vous, cette sortie de route, cette façon de parler d’une chose puis d’une autre, puis encore d’une autre, sans avoir l’air d’y toucher ?
Ma dialectique est simple, rarement forcée. Je mêle toujours tout. Les mots et les images. Les mains et les visages. Les idées personnelles et les pensées plus profondes. Les murmures et les cris. Surtout, les griefs et les chants. Les querelles et les aveux.
C’est ainsi, mon COMMUNISME est transparent. Il va où le vent et ses pas le conduisent. Et ses paroles flottent dans l’air, en été comme en hiver.

J’ai relu récemment Trente-trois sonnets composés au secret, et de mémoire, par Jean Cassou (Jean Noir), et présentés par Louis Aragon (François La Colère). Vibrant témoignage, poèmes de circonstances… Nous sommes en 1941, pendant les années sombres de l’occupation nazie. J’ai aimé ces textes-là, foudroyants, et j’ai beaucoup aimé les pages offertes, pour l’occasion, par Louis Aragon. D’une part, parce qu’il y rend un généreux hommage à Cassou et, d’autre part, parce qu’il nous y dévoile tout son art poétique.
Ce livre, dans son entier, est bouleversant.
Voilà où se situe mon utopie :
… et puisqu’il faut rêver, rêvons la mort des rêves.
Ou, peut-être, encore ici :
Les poètes, un jour reviendront sur la terre…

Les poètes ne meurent jamais, et nous sommes intacts, presque, déclarés sains et saufs. Nous sommes de ceux pour qui ni la misère des opprimés, ni la colère de ceux qui luttent, ni l’espoir d’un avenir supérieur, ne sont des choses ternes.
Les poètes ne meurent jamais…

Quand nous parlons au bien et au mal, nous sommes émouvants, nous libérons nos sentiments.
Quand nous parlons du passé et du futur, c’est à pleine voix que nous chantons…

La prochaine fois que nous nous rencontrerons, j’aurai sûrement quelque chose à vous dire.

Saint-Fons, nuit du 9 au 10 juillet 2011 ; Vénissieux, le 11 septembre.


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