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God save Irina Book !
Jacques Barbarin s’entretient avec Irina Brook, la nouvelle directrice du Théâtre National de Nice

Voilà, c’est dit. C’est Irina Brook qui va succéder à Daniel Benoin, au Théâtre National de Nice. Les spectateurs niçois la connaissent bien puisque depuis Une bête sur la lune. Nice n’a pas arrêté de programmer ses spectacles et ne c’est pas moi qui vais m’en plaindre.

Irina Brook est la fille du grand metteur en scène anglais Peter Brook [1] et de Natasha Perry. Attirée par le théâtre de son père, elle part aux Etats-Unis à dix-huit ans. Elle devient comédienne, notamment dans le Off Broadway, comme sa mère. Elle participe à de nombreux tournages de films pour le cinéma et la télévision, principalement en Angleterre.

Abandonnant son activité d’actrice au milieu des années 1990, elle revient à Paris pour monter ses premières mises en scène, dont le très remarqué Une bête sur la lune qui gagne cinq trophées lors de la Nuit des Molières 2001 dont celui de la meilleure mise en scène. [2]

Au risque de faire un petit peu pédago, il est bon de rappeler ce qu’est un Centre Dramatique National, comme Nice, et 33 autres en France. C’est un label donné à une institution théâtrale lié à la notion de théâtre public. Ils sont dotés de moyens (lieux, matériels, personnels, financiers) indispensables à leurs fonctionnements et garantis par leurs tutelles selon un plan triennal aux objectifs révisables annuellement : ils se doivent de remplir une « mission de création théâtrale dramatique d’intérêt public ».

Irina Brook. En fait ce n’est pas du tout innocent que je sois là, le TNN est le seul théâtre qui ait montré tous mes spectacles depuis le début ! J’ai des théâtres qui ont suivi lorsque c’était des « gros trucs », comme avec Vidy [3] ou avec des stars comme Romane Bohringer, des théâtres qui ont repris la « nouvelle Irina », c’est-à-dire la petite compagnie, mais Nice est le seul théâtre qui a suivi tout ! Donc je suis pleine de gratitude envers ce théâtre.

Justement, en voyant votre travail, j’ai l’impression de voir un théâtre de liberté. N’y a-t-il pas une antinomie avec le fait d’être à la tête d’une structure aussi importante ?

Justement, c’est exactement ça qui m’a toujours empêché de postuler pour un théâtre. Cela fait des années qu’on me pousse à le faire parce que c’est le chemin normal : j’ai toujours refusé pour ces raisons de liberté. Et cette année ça a été vraiment très intéressant avec cette idée du Théâtre de Nice qui vraiment sortait du lot à cause de cette relation avec la ville, le public, et c’est pour moi une vraie aventure ! Par rapport aux territoires des CDN, c’est un peu un électron libre et ça me plaît beaucoup parce que moi aussi je suis un peu hors le réseau normal, institutionnel. J’ai eu des inquiétudes, des hauts et des bas, mais j’ai toujours eu des gens de ma compagnie qui m’accompagnent dont deux vont me rejoindre le 1er janvier, qui jouaient dans Tempête !. On s’est dit que même avec la soi disant lourdeur d’une grosse institution on pouvait encore faire plus d’action territoriale, pour les jeunes. Il ya les moyens, il y a le lieu, voir comment inciter les gens à venir au théâtre.

Au moment du départ de Daniel Benoin, il y a eu une période disons assez "ombrageuse", un peu pleine de bruit et de fureur. Où en sommes-nous ?

Maintenant tout va formidablement bien. On a une belle entente avec Daniel. Je suis extrêmement bien reçue par la ville, par M. Estrosi, et envoyée avec un énorme enthousiasme par le ministère. Donc je ne peux pas demander mieux. Après on verra, par la suite, mais c’est vraiment un beau début.

Comptez-vous travailler avec des comédiens de façon permanente ?

Tout d’abord il y a les deux personnes dont je vous ai parlé, ils vont arriver la semaine prochaine. Je pense que ce que je vais préparer avec eux sera complètement hors-norme. Plus que des comédiens permanents, ce sont des choses que l’on va inventer sur mesure, une façon d’envoyer des personnes proches dans des endroits retirés, lointains, pour voir comment rameuter le public qui ne va pas au théâtre, comment découvrir ce qui se passe dans des villes ou des villages, lire ce qu’on nous envoie, avoir vraiment un trio de personnes avec ces complices pour comprendre vraiment ce qui se passe.

Ce que je trouve dans le théâtre anglais - tout au moins dans celui que je vois ici- c’est qu’il y a ce que j’appellerai une "british touch" notamment rapport à Shakespeare où il y a une manière allègre, voire impertinente -ce qui ne me dérange pas - de s’en emparer : je pense à vous dans Tempête, dans En attendant le songe ou même Dan Benett, qui a signé un Hamlet dans lequel le fils de Gertrude en prend « plein la gueule », et ça me réjouit parce que je trouve, au fond, que Hamlet n’est rien d’autre qu’un "poseur" et qu’il n’a que ce qu’il mérite ! Donc l’on atteint plus les gens par l’humour et le rire.

Etrangement, ça prouve ce que je dis toujours, c’est que Shakespeare appartient à tous aussi bien au français qu’aux anglais. Partout dans le monde tout le monde le sait, tout le monde revendique Shakespeare comme le sien : en Géorgie, en Russie, aux Etats Unis, mais les français n’ont toujours pas admis que Shakespeare est leur auteur à eux. Et pourtant c’est bien ça le cadeau de Shakespeare à tous les metteurs en scène du monde, c’est qu’il se laisse tirer dans tous les sens et permet les inventions de chaque metteur en scène et qu’on n’a pas besoin de le défendre, il se défend très bien tout seul. Il y a une idée au centre de toute l’intelligentsia théâtrale française c’est que le rire, c’est mal vu, l’humour c’est pas possible. Et si on fait du bruit, on rit, on s’amuse, c’est qu’il y a quelque chose qui n’est pas valable dans le travail. Et ça c’est quelque chose que je revendique dans mon coté anglo-saxon : en Angleterre, en Amérique, on peut rire dans une pièce sans que cela soit mal vu. Ici le public est formidable, et on l’a vu avec l’accueil de Tempête ! : c’est vrai qu’il y a beaucoup de légèreté, mais cela n’enlève pas la profondeur.

Avez-vous déjà des idées de programmations sur votre première saison, c’est-à-dire 2014-2015 ?

Pour le moment, c’est un peu tôt, mais j’ai beaucoup de pensées là-dessus. J’aimerai garder ça pour le début de l’année. Mais il y a certains repères qui m’intéressent autour desquels je vais construire des moments différents de l’année. Je pense que vraiment le moment est venu qu’un grand théâtre en France ait un « moment » international consacré à Shakespeare, avec des compagnies venues de partout, donc j’aimerai vraiment amener ça à Nice ? Et mon parcours un peu « à part » tout à coup a un aspect vraiment naturel avec Nice. Je me rends compte que mes origines sont anglo-russo-franco-grecque, bref un mélange absolument niçois, et que mon parcours théâtral, qui est de jouer à Salzbourg, à Spoletto – je suis un peu italienne d’adoption- toutes ces connexions que j’ai dans le monde, tout ce travail que j’ai fait qui semblait éparpillé, qui ne semblait pas me mettre sur un parcours compréhensible en France, avec Nice, devient quelque chose de très logique et de très cohérent Donc je peux amener ce cosmopolitisme que j’ai toujours eu et qui est la chose la plus naturelle pour moi.

Entretien réalisé par Jacques Barbarin.

Texte paru dans le blog www.ciaovivalaculture.com

Notes :

[1Et aussi cinéaste : le premier « Brook » que j’ai vu c’était en 1967 à Londres, Lord of the flies. 12 films dont 5 adaptations de ses mises en scène, y compris le cultissime Marat-Sade. Dans la série « cultissime », son livre L’espace vide

[222 mises en scène entre 1996 (la version anglaise de Une bête sur la lune) et 2011, Pan ou l’enfant qui ne voulait pas grandir.

[3Le théâtre de Vidy-Lausanne


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