Le poète polonais Ceslaw Milosz (1911-2004), qui reçut le prix Nobel de littérature en 1980, a eu cette phrase presque définitive en affirmant qu’un seul vers valait des milliers de pages en prose. Ce à quoi sa compatriote la romancière Olga Tokarczuk, prix Nobel 2019, réagit vivement en se déclarant prodigieusement agacée par ce propos. Pourtant, pour qui lit de la poésie donc pour qui aime découvrir et redécouvrir des poèmes, l’affirmation de Ceslaw Milosz semble tomber sous le sens. Pour qui en fait l’expérience, la poésie revient à ce pouvoir formidable de dire beaucoup avec peu, le plus avec le moins, ce moins qui s’apparente le plus souvent à du dépouillé. Sobriété et concision, en quelque sorte, au service de l’éclat du vrai.
On sait que le genre poétique est certainement le plus contraint qui soit. Mais aussi que les formes poétiques, longtemps et toujours très codifiées, visent à cette force du dire, à ce pouvoir de l’expression, à ce jaillissement de l’image qu’elle soit figurative ou bien mentale. Alexandrins, décasyllabes, strophes, quatrains et tercets pour le sonnet, rimes, assonances et allitérations, bref, toute cette prosodie n’est que contraintes appelées métriques, inventées pour dire avec sûreté et de manière imparable, l’évidence du vrai.
Le poème japonais de dix-sept syllabes réparties en trois vers appelé haïku en est un pur exemple. Cette sorte de flash scriptural relève d’un exercice des plus impressionnants. Dans Haïkus, assemblages et autres détournements, Rémi Boyer en offre de multiples exemples. Et il réussit. Lisons plutôt, au chapitre Fukushima : Cadavre qui dort/Dans l’attente d’un geste/De vraie tendresse. Chapitre Saisons cachées : Cafés et places/Par le vent violent du nord/ D’un seul coup vidés. Chapitre Jazz : Fraîche subversion/Le pouvoir de l’art pauvre/A travers le temps. Chapitre Femmes : Dans l’ombre du tram/Elle croisa les jambes/ La vie s’éclaira. Chapitre Révolutions : Qu’importe la nuit/Le feu de la rébellion/Ne cesse de couver. Chapitre Ombres lumineuses : Réel retrouvé/Un chat dort paisiblement/Sur un ventre rond. Chapitre Eveil : Au coin d’un jour gris/La perfection du banal/Subjugue l’esprit.
Des illustrations de Marc Bernol ponctuent ces séries de Rémi Boyer. Mais aussi six intermèdes écrits en une langue inventée où le sens des sons vient avant le sens des mots, langue nommée Eshuti. Manière de rappeler que les mots, c’est d’abord de la matière.
Haïkus, assemblages et autres détournements, Rémi Boyer. 78 p, Edition Unicité, 13 euros.