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Hasta siempre !
Par Pedro Da Nobrega

La révolution cubaine fête donc ses 50 ans !

50 ans et toutes ses dents, serait-on tenté d’écrire même si l’oligarchie médiatique continue à en caricaturer la réalité, ne pardonnant pas à ce petit pays et ce grand peuple de continuer à tenir tête à l’Empire malgré toutes les adversités.

Comment expliquer donc cette ténacité qui lui a permis de traverser autant d’épreuves tout en restant debout, sans remettre en question les choix fondamentaux nés de l’insurrection des « barbudos » ?

Il importe pour bien en saisir la portée de procéder à un petit rappel historique, car les idéaux de la révolution ne sont pas nés en 1959. Evoquer d’abord la figure tutélaire de l’indépendance cubaine, le poète José MARTI, dont Fidel CASTRO parlait en ces termes dans la célèbre plaidoirie lors de son procès sous la dictature de BATISTA, publié sous le titre L’Histoire m’acquittera :
« Mais José MARTI n’est pas mort, il vit dans son peuple rebelle, dans son peuple digne, dans son peuple fidèle à son souvenir. Des cubains sont morts en défendant ses doctrines, des jeunes gens, en un merveilleux sacrifice, sont venus mourir auprès de sa tombe, ils donnèrent leur sang et leur vie pour que l’Apôtre continue à vivre dans l’âme de sa patrie. Cuba, que serait-il advenu de toi, si tu avais laissé mourir ton apôtre ? »

Le gouvernement de 100 jours également qui dès 1933, sous la houlette de António GUITERAS HOLMES, instaurera le salaire minimum, la journée de 8H et la semaine de 48H, le droit de vote des femmes, la nationalisation de l’électricité, des baisses importantes sur les produits de première nécessité, l’autonomie universitaire, la réforme agraire et aussi l’abrogation de l’amendement PLATT, qui consacrait depuis l’indépendance en 1901 la mise sous tutelle états-unienne de Cuba. Ce gouvernement sera renversé par le dictateur BATISTA.

La révolution cubaine plonge donc ses racines dans l’histoire cubaine et ne relève pas d’un modèle importé mécaniquement. C’est assurément une des raisons de sa longévité et de l’attachement du peuple cubain à ses valeurs, malgré toutes les difficultés endurées dans son combat contre la toute puissance de l’impérialisme états-unien.

Il n’est pas inutile de rappeler quelle était la situation de CUBA, après toutes les années de la dictature BATISTA :
· En 1958, 8% des propriétaires, dont les latifundiaires yankees, possédaient plus de 70% des terres.
· En 1959, lorsque triomphe la Révolution, la dette extérieure se monte à 788 millions de dollars. Le déficit de la balance commerciale avec les Etats-Unis atteignait la somme de 603,4 millions de dollars.
· Cette crise permanente de l’économie cubaine avait pour effet premier que 549 000 personnes sur un total de 2 204 000 travailleurs potentiels étaient au chômage. Les chiffres du chômage montaient nettement si l’on y ajoutait les travailleurs saisonniers : environ 700 000 coupeurs de canne pour qui la « morte saison » était celle de la faim et de la misère : la récolte sucrière leur assurait du travail à raison de trois mois par an, en moyenne.
· En 1958, Cuba comptait 6 547 000 habitants. Les dépenses de cette année au titre de la sécurité sociale se chiffraient à 114,7 millions (aujourd’hui, le chiffre est de plus de 4,5 milliards).
· En 1958, 8 209 personnes travaillaient dans la santé publique (aujourd’hui : plus de 500 000), et les dépenses de l’Etat au titre de la santé publique se montaient à 22,7 millions de pesos (aujourd’hui, cette somme correspond aux frais engagés pour une commune moyenne). Le taux de mortalité infantile était de 78,8 pour mille (aujourd’hui, avec une population qui a quasiment doublé, ce taux est de 5,3).
· L’espérance de vie ne dépassait pas 55 ans (de nos jours : 77 pour les hommes et 78 pour les femmes).
· En 1958, il y avait deux millions d’analphabètes et de semi-analphabètes, soit en gros le tiers de la population. Les plus de quinze ans avaient un degré moyen d’éducation correspondant à moins de trois années de primaire. Quinze pour cent seulement des jeunes âgés de 15 à 19 ans suivaient un enseignement quelconque. Les dépenses publiques au titre de l’éducation se montaient à 77 millions de pesos (l’équivalent des dépenses d’une commune de taille moyenne d’aujourd’hui).

C’est aussi cette mémoire collective qui explique la fierté de bien des cubains envers ces réalisations de la Révolution. Si ces données nous permettent de mettre la réalité de la société cubaine en perspective, on ne saurait l’appréhender sans tenir compte des contextes historiques et géopolitiques dans lesquels elle a évolué.

En effet, l’avènement de la Révolution Cubaine se fait dans un monde bipolaire où la logique des blocs conditionne l’ensemble des relations internationales. C’est d’autant plus vrai pour Cuba, soumise jusqu’alors à un modèle économique et social néo-colonial sous l’influence omnipotente de l’impérialisme états-unien aggravé par la proximité géographique. C’est-à-dire que son développement tant social qu’économique va rester tributaire de ces rapports de force internationaux. En butte très vite à une politique d’agression permanente de la part des U.S.A. qui ne peuvent accepter une expérience d’émancipation à leurs portes lourde de dangers par l’exemple qu’elle peut représenter pour les autres peuples d’Amérique Latine, elle va devoir se construire sous la menace permanente et quotidienne de la première puissance mondiale et cette situation de guerre larvée va induire une militarisation de la société sans rapport avec ses aspirations mais condition de sa survie. Cette situation, illustrée par le monstrueux blocus illégalement imposé par les U.S.A. et ses innombrables agressions contre Cuba, va peser sur la structuration de la nouvelle société cubaine et induire des raidissements qui continuent aujourd’hui à la brider. Elle va limiter sans conteste l’expression du potentiel d’initiatives et de création qui demeure cependant une des plus grandes richesses de la Révolution.

Ce contexte l’amène donc dès ses premières heures à se tourner vers le camp soviétique afin de construire des alliances lui permettant de faire face à l’agression impérialiste. Mais cette orientation va induire des choix de développement économique qu’elle ne maîtrise pas toujours. Pour équilibrer ses échanges économiques avec le COMECON, elle se voit contrainte de perpétuer dans l’agriculture, sa première ressource, la monoculture du sucre, limitant de ce fait les bénéfices de la réforme agraire et la soumettant encore à une situation de dépendance économique qui va également conditionner un processus d’industrialisation rapide. Cela n’empêchera pas la société cubaine de connaître un essor sans précédent, avec une amélioration notable de tous les indicateurs socio-économiques, due aussi à des choix d’investissement forts dans les domaines de l’éducation, la santé et la recherche et à des valeurs égalitaires et de solidarité qui irriguent la société.

Ces valeurs illustrent aussi une des caractéristiques majeures de la Révolution Cubaine, celle d’un internationalisme militant pour lequel l’île n’hésitera jamais à consacrer des ressources et des forces importantes. Le plus vibrant hommage à cette constante internationaliste de la Révolution cubaine sera prêté par une des plus grandes figures mondiales de la lutte pour l’émancipation des peuples, Nelson MANDELA, qui réservera sa première visite officielle à Fidel CASTRO, en tant que représentant du peuple cubain qu’il tient à remercier pour sa contribution décisive à la chute de l’apartheid. Raúl CASTRO, déclarait justement à Salvador de Bahia (Brésil) le 17 décembre 2008, faisant référence à la contribution cubaine à la lutte des angolais contre l’Afrique du Sud de l’apartheid :
« Nous avions dit aux Angolais : « Nous ne remporterons d’ici que les restes de nos morts. » C’est ce que nous avons fait, les rendant à leurs foyers, dans les communes du pays. Cuba compte quatorze provinces et cent soixante-neuf communes, et seules deux communes n’ont pas eu de morts auxquels rendre hommage. Au cours d’une cérémonie solennelle dans toutes les communes du pays, donc, le 7 décembre, nous avons enterré les Cubains tombés durant cette mission internationaliste.
Nous avons dit aux Africains qu’ils n’avaient pas à nous remercier, au contraire, que nous payions une petite partie de la grande dette que notre peuple a envers l’Afrique, car le gros de la richesse de mon pays – à cette époque, le café, le sucre, entre autres produits – était obtenu par de la main-d’œuvre servile africaine. »

Le million de personnes, pauvres pour l’essentiel, ayant recouvré la vue grâce aux équipes médicales cubaines dans le cadre du plan « Milagre » ou les milliers d’étudiants, originaires pour beaucoup de pays du Sud, suivant les cours dans des universités cubaines en sont d’autres illustrations.

Mais la dépendance économique évoquée plus haut ne manquera pas d’avoir des effets dévastateurs lors de l’écroulement du bloc soviétique, obligeant Cuba à instaurer des mesures drastiques pour assurer sa survie et à devoir opérer des choix douloureux, parfois même contraires à ses valeurs, comme la légalisation de la circulation des devises étrangères, dont le dollar, lors des premières années de développement du tourisme.

Car cette brutale évolution contraint donc Cuba à devoir repenser toute sa logique d’échanges dans un laps de temps très court, avec un besoin urgent en devises, puisque sa dépendance énergétique l’oblige à se fournir sur le marché mondial où la monnaie de référence reste le dollar. La seule option possible pour faire face à l’urgence sera le développement du tourisme qui permet d’augmenter de façon significative l’apport en devises sans investissements démesurés ni trop longs à réaliser. Mais cet essor de la fréquentation touristique, par l’instauration d’une économie à deux vitesses, entre ceux qui sont payés en devises et ceux qui le sont en pesos cubains, va créer des inégalités et entraîner des tensions et des frustrations dans un peuple éduqué dans des valeurs égalitaires. Elle peut constituer un facteur de perturbation dans l’organisation de la société cubaine dans la mesure où des cadres de haut niveau, qu’il s’agisse d’ingénieurs ou de médecins par exemple, peuvent être tentés d’abandonner leurs métiers pour exercer des emplois plus modestes dans le tourisme mais qui leur donnent accès aux devises donc aussi à plus de biens de consommation. Car une des autres incidences non négligeables de ce boom touristique est de confronter le peuple cubain à d’autres modes de consommation qui peuvent générer des attentes nouvelles, à fortiori dans une population dont 70 % aujourd’hui est née après 1959 et confrontée pendant les années 90 à de sévères restrictions.

Lutter contre l’influence des dérives consuméristes et pour la maîtrise du développement touristique, y compris concernant ses impacts environnementaux, dans les ressources en eau et en énergie ainsi que dans le traitement des déchets, constituent assurément des batailles importantes à mener aujourd’hui par la Révolution. Comme aussi une évolution du modèle de production agricole qui réponde mieux aux besoins du marché intérieur.

L’évolution du rapport de forces en Amérique Latine a constitué une bouffée d’air essentielle pour aider le peuple cubain à répondre aux nouveaux défis que l’avenir de la Révolution lui impose de relever. Du fait de ces changements intervenus en Amérique Latine mais aussi dans la géopolitique mondiale, Cuba a pu développer ses relations commerciales. Le Venezuela, la Chine, le Brésil, le Canada, entre autres, bravant les diktats de l’empire, ont augmenté leurs investissements dans l’île, ce qui se traduit par des taxes annuelles de croissance frôlant les 10 % ces dernières années.

Grâce au développement de ces nouvelles relations commerciales et à l’ingéniosité de son peuple, la situation très dure vécue par le peuple cubain pendant ce que l’on a nommée la « période spéciale » a pu être dépassée. Les dernières catastrophes naturelles qui ont frappé l’île ont constitué encore une rude épreuve pour le peuple cubain mais ne le détourneront pas des ces objectifs.

Maîtriser son développement, répondre aux aspirations d’une population ayant du traverser des périodes difficiles, développer une nouvelle politique d’alliances et de partenariats qui la rendent moins vulnérable tout en restant attentive à l’évolution de la politique états-unienne à son égard, voici quelques-uns des enjeux essentiels pour Cuba.

Mais y répondre est d’abord l’affaire des cubains qui entendent y faire face en toute indépendance et sans renier les valeurs fondatrices de la Révolution. Car, n’en déplaise à l’oligarchie médiatique, les dernières mesures du gouvernement cubain n’annoncent nul reniement. Comme le précise Lázaro BARREDO, directeur de Granma, organe officiel du Parti Communiste de Cuba, le gouvernement met simplement en œuvre “des mesures correctives des décisions prises lors des moments les plus critiques de la crise économique au début des années 90, quand a débuté ce que nous avons appelé la ”période spéciale”, conséquence de la chute du bloc socialiste, de la disparition de l’U.R.S.S. et du durcissement des mesures criminelles de blocus imposé par les U.S.A.. Il nous a fallu à l’époque adopter des politiques de restriction à la consommation, pour éviter que ne se creusent des inégalités sociales dans notre société construite sur des valeurs égalitaires ”.

Une île et une révolution, faite de « palma y de sol » pour reprendre les paroles du grand chanteur cubain Carlos PUEBLA, qui, au-delà de l’opinion que chacun peut avoir, auront fait et font encore rêver des générations de militants et sont restés un repère pour tous les peuples d’Amérique Latine.

C’est d’ailleurs une des grandes voix brésiliennes de la théologie de la libération, le théologien FREI BETTO qui l’affirme : « Que l’on n’espère pas néanmoins que Cuba retire de l’entrée de La Havane deux affiches qui nous font honte à nous, latino-américains qui vivons dans des îlots d’opulence encerclés par une misère omniprésente : « Chaque année meurent 80 000 enfants victimes de maladies curables. Aucune d’elles n’est cubaine. »- « Cette nuit encore, 200 millions d’enfants dormiront dans les rues du monde : Aucune n’est cubaine. »

Le Président brésilien, LULA DA SILVA, déclarait également, lors du retrait de Fidel CASTRO de la direction de l’Etat : « J’aurais pu craindre que, dans une situation difficile, survienne un événement déstabilisateur... Les Cubains disposent de la maturité nécessaire pour résoudre leurs problèmes, sans besoin d’ingérences ni Brésiliennes, ni Américaines. »

La contribution actuelle du peuple cubain aux processus en cours en Amérique Latine montre que les idéaux de la Révolution ne se sont pas éteints. C’est bien pour l’ensemble de ces raisons, pour tout ce qu’ils ont apporté à la communauté humaine, que Cuba et son peuple méritent le plus grand respect et la solidarité la plus active.

21 janvier 2009


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