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Henri Krasucki 1924-2003.
Extraits du livre de Christian Langeois

Christian Langeois évoque les débats du milieu des années 80...

La direction confédérale semble alors divisée entre
des responsables tels que ceux qui sont intervenus au
Comité central de mai, partisans d’une opposition plus
résolue vis-à-vis du gouvernement socialiste, et ceux qui,
tel Henri Krasucki, sont plus nuancés en raison de la
conscience qu’ils ont de la faiblesse du mouvement revendicatif
et du rôle qu’ils entendent faire jouer à la CGT.
En novembre 1985, le XLIIe congrès ne va-t-il pas s’intituler
 : « De la lucidité et de la combativité » ?

Jack Potavin : « C’est l’époque du fameux slogan : “C’est
pas à l’Élysée, c’est pas à Matignon, c’est pas dans les salons,
que nous aurons satisfaction”, lancé par les copains de
Renault-Billancourt et Georges Marchais.
[...] Il avait une
dimension publique, il sort toujours encore, il est juste,
mais il était en réponse au débat intérieur dans la CGT.
[...]
« Il n’a pas cédé. Ce qui amène, au congrès de la CGT
suivant, des camarades à mettre en place un dispositif
de rayure pour le mettre en difficulté, le faire battre.
[...]
Nous, on avait averti Henri de l’opération. Il m’a dit qu’il
allait appeler Georges Marchais. Il y a eu une discussion,
dans la nuit, orageuse, entre Marchais et Krasucki. Henri
lui a dit : “Je t’avertis, si tu fais ça, moi, je mets tout sur la
table.” Dans la nuit, le “contrordre” est arrivé, l’opération
bloquée. Le lendemain matin, c’était réglé
 [1]. »

Si Henri Krasucki, pour sa part, respecte la fonction de
secrétaire général du PCF, l’incompréhension, le manque de dialogue, d’échanges, de confiance s’installent durablement
entre Georges Marchais et le secrétaire général de la CGT.
À tel point qu’Henri n’est informé qu’après coup
de la manifestation violente et spectaculaire de SKF à
Ivry-sur-Seine.
L’affaire fait du bruit. Le Canard enchaîné titre : « Les
boulons continuent de voler entre le PC et la CGT. »

« [...] La prudence de Krasu et de ses fidèles est compréhensible
 : toute l’opération SKF a été montée sans eux.
Trois membres du Comité central du PC, connus comme
incondi tionnels de Marchais, ont minutieusement programmé
l’assaut de l’usine
 [2]. »
Dans son style habituel, à la fois bien informé (par qui ?)
et approximatif, Le Canard livre ainsi au grand public les
divergences entre la CGT et le PCF, et surtout entre Krasucki
et Marchais.

Dès le lendemain de la manifestation et de ses conséquences,
Henri écrit de sa main le communiqué de presse [3] :
« À SKF, des hommes et des femmes courageux luttent
depuis dix-neuf mois pour une entreprise, une activité,
leur emploi. La décision subite de les expulser par la force
a été prise au plus haut niveau du pouvoir. C’est eux qui
sont agressés. Mais lorsqu’ils se rebiffent avec toute une
population, les porte-parole du gouvernement les traitent
d’émeutiers, et se déchaîne toute une campagne pour
dénaturer leur action, ses raisons, ses buts.

_« Je souhaite que les négociations aboutissent enfin à
une solution positive. [...]

« La trique en guise de citoyenneté à l’entreprise ne
peut qu’entraîner des tensions. Il ne faut pas s’imaginer que les travailleurs vont seulement protester puis se laisser
faire. À force de se heurter à un mur de refus, à une froide
volonté d’imposer l’austérité à tout prix, le mécontentement
grandit. Il peut devenir colère et exaspération. [...]
« La CGT est indépendante de tout mais pas des travailleurs,
ni de leurs intérêts : elle est là pour les défendre.
À sa manière : ferme, unitaire, pour rassembler et aboutir.
Il est vain d’espérer ni la faire taire ni la paralyser. »

Michel Daveau, son accompagnateur : « Quand j’allais
le chercher à Fabien [4], c’était souvent le mardi, on était
tout seuls, les camarades ne venaient même plus nous
voir. On était comme des pestiférés. Pour eux, Henri était
un traître qui était en train de porter un coup au Parti. [...]
Quand il ressortait, il était blanc, il ne disait rien, ce n’était
pas le genre. [...] Très tendu, sombre, sa casquette, son truc
sous le bras, son écharpe rouge, comme ça dans l’ascenseur,
il me regardait, je ne lui parlais pas, je n’insistais pas
parce que là, il était encore dans son truc, dans la bagarre
qu’il y avait eu. »

Lydia Brovelli, secrétaire de la CGT : « Je pense qu’il ne
disait rien à personne quand il se passait quelque chose de
grave avec le Parti, qu’il le vivait très mal. Personne n’avait
suffisamment sa confiance pour qu’il puisse s’ouvrir de ça.
Il devait le vivre comme une immense humiliation
 [5]. »

(...)

1989, un troisième mandat de secrétaire général

La Carmagnole succède àL’Internationale et à La Marseillaise,
le 26 mai 1989 lors de la clôture du XLIIIe congrès.
Henri Krasucki y est élu pour un troisième mandat.
Devant la baisse qualifiée d’énorme de ses adhérents, une
perte de 1,219 million d’adhérents, soit 60,45 % de moins
entre 1977 et 1987, il invite clairement et fermement les
militants à modifier en profondeur leur pratique syndicale.
Fidèle à sa voie « médiane » entre les « durs » et les partisans
d’une plus grande ouverture, il souligne « que tout le monde
doit être à l’aise dans la CGT et qu’y adhérer ne suppose pas
une adhésion à toutes ses idées de transformation sociale ».

S’il reste à la tête de la CGT, y assoit même son autorité
au point de présenter ses idées sur le « syndicalisme
moderne »
, il est placé sous la surveillance de la direction
du PCF. Trois membres du bureau confédéral siègent dorénavant
au bureau politique du Parti. Il est clair que ce qui
apparaît ainsi comme un partenariat privilégié de la CGT
avec le PCF est contradictoire avec le document d’orientation
et la détermination d’Henri Krasucki à promouvoir
« un bouleversement de taille » de la pratique syndicale afin
qu’elle soit « plus démocratique et plus proche des salariés ».
Henri Krasucki est donc amené à partager le pouvoir.
Louis Viannet se trouve en fait numéro 2, responsable de
la politique revendicative dont on connaît l’importance.
Henri Krasucki, responsable de l’Europe à la FSM, lui laisse davantage de champ. S’il devait prendre la présidence de
la FSM, dont le congrès est prévu en 1990, il pourrait être
amené à passer la main, disent certains.
Devant l’expression des préoccupations d’André
Deluchat [6] sur l’unité d’action avec les autres syndicats et
la proposition d’une démarche unitaire de tous les syndicats
pour la syndicalisation, Henri reste fidèle à sa position
de 1978 : « Il n’est pas raisonnable de nous proposer l’illusion
et le retour aux vieilles pratiques. Chacun doit
assumer ses responsabilités. » [7] De son côté, Louis Viannet
affirme : « Ce n’est pas en nous mettant dans la situation
de l’agneau bêlant à la cantonade “Unité, unité” que nous
ferons avancer d’un pouce cette question. »
 [8]
Malgré de nombreuses interventions évoquant la
convergence des objectifs de la CGT avec ceux de la liste
communiste lors des élections européennes, dont celle
de Georges Séguy [9], lui-même candidat sur la liste du PCF
conduite par Philippe Herzog, le secrétaire général ne
franchit pas le pas, il reste dans une position équilibrée.
La CGT ne donne pas de consigne de vote.

En août 1989, sans changer sur le fond aucune de ses
positions, Krasucki inaugure une politique « de la main
tendue » vis-à-vis des autres organisations syndicales. Les
grèves chez Peugeot et aux Finances, comme précédemment
en Corse et à la Météorologie nationale, ont été
conduites dans une unité presque sans faille. L’effet automatique
de ce regain unitaire à la base est l’effacement des
« coordinations » qui, l’année précédente, tenaient encore
le haut du pavé [10].

En octobre, il commente une intervention critique
d’Anicet Le Pors au Comité central : « Dans les interventions
des camarades dont je ne partage pas toutes les idées,
il y a des choses qui m’intéressent. Je ne suis pas prêt à
traiter de manière conflictuelle ce qui me paraît seulement
différent et ce sur quoi il n’y a pas à nous presser d’avoir
un avis. »
 [11]

Avec l’aimable autorisation des Editions du Cherche-Midi

A lire sur le site : un entretien avec Christian Langeois et une critique du livre Mineurs de charbon à Auschwitz.

Notes :

[1Entretiens avec Jack Potavin, 10 novembre 2010

[2Le Canard enchaîné, 12 juin 1985.

[3ICGTHS 7 CFD 249

[4Entretiens avec Michel Daveau, 28 février 2011 : le siège national du
PCF est place du colonel Fabien, d’où le raccourci « Fabien ».

[5Entretiens avec Lydia Brovelli, 3 mars 2011.

[6Membre du bureau confédéral de la CGT de 1982 à 1995, militant du
Parti socialiste puis du Parti de gauche.

[7Le Monde, 27 mai 1989.

[8Ibid.

[10Michel Noblecourt, Le Monde, 5 décembre 1989

[11Anicet Le Pors, Pendant la mue le serpent est aveugle, Albin Michel,
1993.


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