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Henri Malberg et Henri Krasucki
Par Christian Langeois

Le 13 juillet dernier, disparaissait le dirigeant communiste Henri Malberg. Christian Langeois lui rend hommage en revenant sur ses rencontres avec lui lors de l’écriture de sa biographie d’Henri Krasucki...

Dès les prémices de mes recherches biographiques sur Henri Krasucki, dès que j’ai compris que les dizaines de cartons de ses archives à l’Institut d’histoire sociale CGT me seraient indispensables, mais de faible apport pour saisir un tant soit peu la réalité du petit juif polonais arrivé à Belleville à l’âge de quatre ans, j’ai souhaité rencontrer Henri Malberg.

Je connaissais Henri Malberg, longue silhouette élégante pour l’avoir croisé dans les couloirs de Fabien, les lettres circulaires qu’il m’adressait régulièrement pour soutenir l’Humanité, et plus confusément dans son implication politique à Paris, à la Fédération communiste dans la tourmente de la fin des années 70. Un coup de fil explicatif, laconique, et la voix douce et paisible m’accorde très rapidement un rendez-vous, enchanté de pouvoir évoquer, en mars 2010, son camarade Krasu.

Son élégance est frappante, à l’image de celles de ses camarades du quartier qu’évoque Samuel Radzinski, résistant MOI, déporté à Auschwitz, avec une malice amère : « nous n’avions rien, mais nous étions les mieux habillés de la classe, presque trop bien habillés pour jouer dans la cour, de vêtements fabriqués qui par un père, qui un oncle tailleur. » Les lunettes sur le front, songeur, ses premières phrases évoquent, encore impressionné, plus de soixante après, les leçons de « grande musique » de Krasu dans un vieux local de l’impasse de la Rance et les soirées « opéra ».

Repères historiques aidant, nous bâtissons un portrait de groupe, dans lequel, privilège et limite du genre biographique les deux Henri occupent la place centrale, mais pas eux seuls. Ses longues amitiés, parfois chahutées par la politique, partisane ou non, vont me permettre d’obtenir la confiance d’acteurs de la résistance des jeunes juifs parisiens, encore marqués par la discrétion voire le secret. Me recommandant de lui, ce que les intéressés vérifieront, j’obtiendrai des entretiens dont un permettra à une jeune résistante de 86 ans d’évoquer pour la première fois son adolescence.
Différence d’âge minime mais suffisante, les deux Henri ne font connaissance qu’après la Libération.

A son retour des camps, outre l’urgence de se doter d’une formation professionnelle, Henri Krasucki est devenu membre de la direction parisienne, comme du comité national de l’UJRF. A Paris, la transformation de la JC en UJRF ne s’accompagne pas d’un recul de l’activité politique : manifestations, participation active et enthousiaste aux campagnes électorales, vœux pour le secrétaire général du PCF, Maurice Thorez, à l’occasion du meeting organisé pour son 45e anniversaire.

Pourtant, les distractions prennent à cette époque une grande place. Tous les samedis, en plein cœur du très politique 19e arrondissement, sont organisés des bals et, tous les dimanches, des séances de cinéma où les films américains tiennent une bonne place. Mais y a-t-il, pour ces jeunes, dont les plus âgés ont connu la Bellevilloise, une telle distance entre la politique et la culture ? Malberg est précis, « Nous emmenons 147 JC des 19e et 20e à la Comédie-Française pour La terre est ronde d’Armand Salacrou. [...] A la suite de chaque spectacle, à sept ou huit, on se raccompagnait, se rattrapait et on revenait, on se baladait pour parler jusqu’a 2 heures du matin, gorgés de culture. Le TNP, les C.E... » C’est aussi le moment où la troupe des Espoirs de l’avant garde, avec des centaines de jeunes surtout issus du 11e arrondissement, proposant théâtre, chorale, et toutes sortes de spectacles, se trouve en concurrence avec la non moins renommée troupe Guy Môquet surtout implantée dans le 19e, qu’anime notamment Henri Krasucki. Sans jamais évacuer la dimension politique, les fêtes de la jeunesse peuvent prendre une forme clairement ludique. Lors de la première nuit de la Jeunesse, des Vaillants et des Vaillantes, Henri Krasucki n’est pas encore rentré, le 2 décembre 1944, au Vél’d’Hiv, le plateau fait rêver aujourd’hui : Joséphine Baker, Serge Reggiani, Charles Trenet, Jacques Hélian et son orchestre, Aimable et son accordéon pour le bal de minuit à l’aube. A la cinquième et dernière Nuit de la Jeunesse, le 10 novembre 1948, la partie music-hall est maintenue. Louis Daquin présente les vedettes de son film Le Point du jour, et 30 000 jeunes clament : « Nous défendons la paix. » Henri Krasucki et Henri Malberg sont au premier rang lorsque le rond-point de la Villette devient place Stalingrad le 19 aout 1945, puis quand l’ancienne station de métro Aubervilliers-Boulevard de la Villette le 10 février 1946 marque à son tour l’héroïsme de l’Armée rouge.

Si Henri Krasucki fut le premier ouvrier à devenir responsable de la politique culturelle et des rapports avec le monde intellectuel au PCF en 1964, il en sera de même en 1966 pour Henri Malberg à la fédération communiste de Paris.

Il n’est donc pas étonnant que ce soit Henri Malberg qui rende hommage, au nom du Parti communiste français à Henri Krasucki, au cimetière du Père Lachaise, le 28 janvier 2003.

Henri Malberg aimait Henri Krasucki comme un frère ainé. Selon lui, ce qui marque le plus chez Krasu, c’est le courage, la force de l’engagement. Il souligne la fierté de Krasucki d’être resté fidèle à l’idéal de toute une vie. Militer, s’engager, prendre sa part dans la grande tâche commune, croire qu’on peut changer le monde, combattre dans le quotidien, un regard fixé comme un avenir possible, défendre les travailleurs, faire face à la facilité et la résignation, se battre et croire que le monde peut être meilleur…
N’est-ce pas ce même langage que nous pourrions utiliser pour rendre hommage à Henri Malberg ?

Christian Langeois est l’auteur de la biographie d’Henri Krasucki (Cherche Midi éditeur 2012).


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