Un avertissement utile devant la puissante campagne de promotion du livre "Hexagone".
Depuis 2009 et le succès colossal de son Métronome, Lorànt Deutsch publie à un tempo soutenu des livres pour amateurs d’histoire, qu’une poignée d’universitaires attaquent pour ses approximations et sa fidélité aux canons d’un roman national traditionaliste, mais aussi pour une collaboration littéraire et tendancieuse avec Patrick Buisson, inspirateur de l’extrême-droitisation du discours sarkozyste.
Sorte de guide historico-touristique bien pensé, Hexagone, son nouveau livre, arpente l’histoire de France via des routes, voies et chemins connus ou oubliés, dans un épais parfum de polémique. Quoique communicative, la passion de Deutsch pour l’histoire distille en effet une idéologie dissimulée sous un apolitisme et des raccourcis qui demeurent l’apanage des courants conservateurs. « Ils ont transformé les églises et les synagogues en mosquées », caricature ainsi Deutsch à propos des « houles musulmanes » stoppées en 732 à Poitiers par Charles Martel. Son évocation de « milliers de familles musulmanes venues d’Afrique du Nord » [1] fait écho au discours identitaire et s’ajoute à une série d’anachronismes, par exemple lorsqu’il évoque un « choc des civilisations » au VIIIe siècle ou l’ « équilibre de la terreur » à l’âge du fer.
L’esprit des historiens maurrassiens Pierre Gaxotte et Jacques Bainville, référencés en bibliographie aux côtés d’auteurs plus consensuels, habite manifestement les rares passages consacrés à la France contemporaine. « L’armée française, écrasée partout, ne peut plus se battre », tranche Deutsch au sujet de juin 1940, légitimant l’armistice demandé par un Pétain oublieux des ressources de l’Empire français. La seule « résistance » française dont il est question ici a d’ailleurs trait au siège de La Rochelle, en 1628, alors que les combattants des années noires ont sillonné les régions de France, par exemple le long du « chemin de la Liberté » emprunté par un certain Jean Moulin, peut-être trop républicain pour apparaître dans ces pages.
En filigrane, Hexagone présente aussi un Lorànt Deutsch royaliste, convaincu que l’histoire digne de ce nom est celle des têtes couronnées, des grands aristocrates et des saints. Soit une variante poussiéreuse de l’Hexagone autrefois raillé par Renaud.
Article paru dans Marianne le 26 Octobre 2013.
Pour plus de précisions sur les assertions de Lorànt Deutsch lire sur le site "historiens de garde" : Lorànt Deutsch, la croix et le croissant et les contradictions de Lorànt Deutsch .
Hexagone, de Lorànt Deutsch, Michel Lafon, 463 p., 18,95 euros.
[1] Et même « des centaines de milliers », dans un autre passage du livre ! Note de La faute à Diderot