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Histoire de plage
Politesse, noblesse des pauvres, par Valère Staraselski

Dans son dernier roman, Jean Teulé place dans la bouche de Louis XIV ces mots, prononcés à l’encontre du mari récalcitrant de La Montespan, sa maîtresse : « Eh bien quoi ! Je baise sa femme, que lui faut-il de plus ! » L’impolitesse caractérisée – voire la vulgarité – a souvent fait bon ménage avec le pouvoir et l’argent. On objectera que l’expression « jurer comme un charretier » infirme ce propos. Or, il n’en est rien puisqu’on ne parle pas de la même chose sauf à confondre, semble-t-il, colère et impolitesse… Et d’abord qu’entend-t-on par « politesse », ce mot dont l’origine est italienne et sur lequel le Grand Robert nous apprend qu’il désigne le « caractère de ce qui est propre et net » ? On peut s’en tenir à Balzac pour qui « la vraie politesse consiste à s’oublier réellement » (Le Lys dans la vallée) … La politesse comme dignité de soi et non comme aplatissement devant l’autre… De la sorte, lorsque sortant de l’eau, j’ai entendu cette dame âgée sur cette plage du mois d’aout déclarer le plus naturellement du monde dans une conversation : « la politesse, c’est la noblesse des pauvres », il m’est repassé en mémoire le souvenir de mille petites ou grosses impolitesses subies. À commencer par ce spectacle maintenant quotidien de jets de détritus par terre, en toutes occasions, dans la rue, sur les routes, par la portière de sa voiture, montrant par là qu’on est un parfait « exemplaire » de l’homo-consommateur, le nec plus ultra d’une régression certaine : être dédié à la consommation pour la consommation, être injection-déjection… Et là, sous le soleil exactement, avisant la petite dame âgée prête au bain, me sont aussi revenues les sempiternelles épreuves de force des transports en commun : et je te passe devant, et je crache conséquemment un truc à faire vomir un wagon entier, et je m’assois jambes bien écartées car l’autre n’a qu’à aller se tasser ailleurs ! Carrément, pour cette dernière avanie, dans l’esprit de ces trop nombreux conductrices et conducteurs de ces si ridicules jouets appelés « 4x4 », véhicules du plus mauvais goût et qui polluent tant, esprit dont la devise «  j’emmerde le monde et j’en suis fier » résume si bien, si j’ose dire, l’essence.
Fort heureusement, ces impolitesses flagrantes (et je ne parle pas du bruit !) sont encore le fait d’une minorité. Mais chacun est à même de constater que le « vivre comme des porcs » fait de plus en plus d’émules et que les couches populaires n’y échappent pas. L’école – qui accomplit une tâche immense – n’a pas la capacité à elle seule d’enrayer les effets d’une société de consommation « horizon-indépassable » indépassable ; il n’y a plus de service national de rattrapage, aucun service public n’est en mesure aujourd’hui de remettre la consommation à sa vraie place de moyen et non de seule fin. L’addiction à la consommation en Occident et dans les pays émergeants trouve sans doute explication dans le manque, la malnutrition, voire les famines et la peur afférente qui ont régné jusqu’à il y a quelques décennies et qui touchent encore trop d’entre nous. Cependant, on ne saurait s’en accommoder non seulement eu égard aux désastreuses conséquences écologiques mais également pour ce qu’elle fait de l’Homme. À savoir, un être calmant son angoisse à coups de produits consommés, un être inhibé, privé du sens commun, une sorte d’eunuque intellectuel à qui il ne resterait plus que la déjection façon canine et des accès de violence comme preuves d’existence…
M’étant assis au soleil afin de sécher, j’observai la petite dame âgée qui enfilait son bonnet de bain tout en songeant que l’inexistence d’intervention des pouvoirs publics en la matière trouvait sa source dans le fait qu’ils se fichaient comme de l’an 40 du civisme, de la politesse, puisque à leurs yeux seules les affaires – et leur corollaire libéral « le tout sécuritaire » – comptent. La permissivité – dont Pasolini ne manquait jamais de rappeler qu’elle conduit droit à la vulgarité – est l’huile qui graisse les rouages d’une société où les marchands sont aux commandes… Ni la politesse, ni le civisme ne sont chose secondaire. Métaphore : dans un film de Satyajit Ray, un homme politique promet à sa bien-aimée que, s’il est élu, il arrêtera de fumer. Une fois élu, il ne tiendra pas parole et, suite logique, il perdra son mandat…
« C’est bien par le règlement des petites choses que l’on accède à celui des grandes », écrit à peu près et à juste titre Aragon dans l’un de ses romans. Voilà, je crois que cette parole de la petite dame âgée entendue cet été sur une plage, nous ferions bien d’y réfléchir un peu.

Valère Staraselski


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