Une fois le livre en main, j’ai hésité à le lire. En effet le sous-titre de l’ouvrage, une nouvelle histoire, m’inquiétait. Heureusement, l’auteur est un historien, avec à l’actif plusieurs travaux de références sur le nazisme, réalisateur pour la BBC, ce qui m’incita à ouvrir le volume et à dépasser ma crainte d’un texte avec au mieux des redites, une compilation, et au pire des arrangements avec l’histoire et donc la tentation de le flanquer là, par terre sur une pile de rebus.
Comme beaucoup de livres sur la tragédie hitlérienne, sa lecture est éprouvante. Non pas que le livre soit écrit dans une langue tarabiscotée, mais parce que la spirale de la descente aux enfers, une spirale où nous ne passons pas de cercle en cercle vers l’horreur, une spirale aspirante avec laquelle nous déboulons dans un abîme de sadisme et de négation de l’Humanité, ne peut que nous étreindre.
L’auteur fait le choix classique de la chronologie, mais il sait convoquer l’Histoire et articule parfaitement son propos. Une cohérence part du fait majeur de la fin de la « grande guerre », avec la légende du « coup de poignard dans le dos », avec comme bras armé de cet attentat le communisme, invention des juifs, le judéo-bolchevisme.
A n’en pas douter les nazis fonctionnaient dans une espèce de monde parallèle, où tout s’articulait autour de croyances simples, voir simplistes, afin que la race élue baigne dans un bonheur parfait en piétinant les cendres de celles inférieures. Laurence Rees nous donne à voir l’incongruité de leurs délires quand ils s’emmêlent les pieds dans le tapis des races. Ainsi les Roms et Sinté, races inférieures s’il en est, descendaient, découvrent-ils, d’une migration de souche indo-européenne, les aryens. Alors il aurait fallu faire le tri entre ceux de sang pur et ceux de sang mêlé. Qu’à cela ne tienne, on ne s’embarrassera pas de ce genre de détails et tout ce petit monde sera destiné à la chambre à gaz.
L’auteur permet de bien cerner que l’Holocauste est composite, mosaïque dirais-je. En premier ce sont les communistes et les opposants qui seront ciblés, puis les Juifs, mais aussi les Tsiganes, Roms, Sinté, francs-maçons, témoins de Jéhovah, et les Slaves. On découvre un plan qui n’a pas abouti du fait du redressement de l’armée rouge dès 1942, celui de l’élimination de 20 millions de Slaves, oui, 20 millions.
Nous passons en revue l’ensemble des pays occupés confrontés à la volonté exterminatrice des nazis. Leur attitude diffère mais surtout selon les pays le taux d’élimination des Juifs varie dans des proportions effarantes allant de moins de 10% à plus de 90%. Bien évidemment cela renvoie à la situation politique mais aussi sociale de chaque pays et au degré de collaboration auquel chacun se soumettra ou non. C’est ainsi que les pages sur la France ne sont pas glorieuses, puisque notre pays dès 1938 entame une politique de rejet migratoire et de quotas. Daladier préparera le terrain des Pétain, Laval et consorts. « Si dérangeante soit-elle, la vérité est que les autorités françaises décidèrent de persécuter les juifs parce qu’elles le désiraient, non parce qu’on leur imposa ». Voilà qui est bien vrai et qui nous hérisse le poil. Mais dans le même temps je ne peux que regretter que l’auteur qui fait montre de lucidité à cet égard, prenne un peu de distance avec la réalité de Pétain, notamment lorsqu’il souligne que « Pétain consentit à un armistice avec l’Allemagne le 22 juin, six jours après avoir été nommé Premier ministre ». D’abord il sera nommé Président du Conseil (nous sommes sous la Troisième République agonisante) et l’arrêt des combats est un leitmotiv dès le début de l’invasion, c’est Pétain qui court après l’Allemagne afin de solliciter l’armistice, projet qu’il nourrissait préalablement.
Est-ce que ce genre d’erreur porte ombrage à la qualité du travail ? Non, mais justement un livre de cette facture devrait être mieux traduit, mieux relu par un éditeur de renom, Albin Michel.
Ce livre est un complément heureux avec le grand KL de Wachsmann dont nous avons parlé voici quelques semaines. Il aborde la question sous une autre facette, celle du mécanisme et des errements, des interrogations qui conduisirent à cette abomination. Son mérite est aussi de montrer que rien n’était écrit d’avance. Le racisme initial est bien le poison mais rien ne permettait d’estimer qu’il aboutirait à cela. D’ailleurs le terme Solution finale, au rang des célèbres euphémismes, a un contenu évolutif. La déportation vers Madagascar (invention française du début du 20ème siècle, revendues par les Français aux Polonais dans les années trente et reprise par les nazis dès l’invasion de la Pologne en septembre 1939) est aussi une solution finale, pour des centaines de milliers de juifs polonais.
Le travail de Laurence Rees montre qu’il n’y eut pas de plan d’élimination de masse dès le début et met en évidence le cheminement des faits et des idées qui conduisit à ce carnage. Cela interpelle sur les situations que nous vivons, avec les politiques anti- migratoires actuelles qui voient le jour ici ou là. Si rien n’est fait pour s’opposer à ce qui ne parait pas encore comme une monstruosité, alors de glissades en dérapage, on peut arriver au pire.
Holocauste. Une nouvelle histoire, de Laurence Rees. Albin Michel