En ces temps si troubles et si troublés où d’obscures forces se réclamant de la pensée ou de la politique jettent un épais voile sur l’histoire, sur l’action de grandes femmes et de grands hommes, de grands responsables comme Marcel Cachin et bien d’autres, je veux vous remercier et vous féliciter sincèrement, Monsieur le Maire, cher M. Michel Raoult d’avoir, avec la famille, les petits-enfants de Marcel Cachin, pris l’initiative d’organiser cette cérémonie et d’installer ici une stèle avec le bas relief à l’effigie de Marcel Cachin.
Ce faisant, vous accomplissez un acte qui va droit au cœur des équipes de l’Humanité, dont Marcel Cachin a été le directeur quarante années durant, aux militants du Parti communiste dont il a été l’un des fondateurs, mais évidemment, bien au-delà, car Marcel Cachin parlait et représentait la gauche, défendait et faisait vivre les valeurs de la République.
D’ailleurs la diversité des participants, des élus présents ici en témoigne et je veux les en remercier toutes et tous.
Vous comprenez toutes et tous, vous comprenez vous les petits-enfants de Marcel Cachin que j’assiste à cette cérémonie à vos côtés avec beaucoup d’émotion à plusieurs titres.
● Comme breton, puisque Marcel Cachin est toujours resté attaché à cette Bretagne qu’il a défendu sans cesse avec passion dans toutes ses activités, jusqu’à fonder l’association des bretons émancipés, devenue la société des bretons d’Ile-de-France.
● Comme directeur de l’Humanité, dont la longue histoire est presque pour moitié marquée par le travail de Marcel Cachin tant dans son contenu que dans la défense inlassable de son existence.
● Comme militant de gauche et militant communiste, tant en étudiant la vie de Marcel Cachin, une activité ouverte au service exclusif de la justice sociale, au service de l’unité populaire et l’unité de la gauche, je me retrouve très souvent dans sa démarche, dans sa manière d’être.
Il a symbolisé, déjà en son temps, un communisme ouvert, non doctrinaire ancré dans la vie et les réalités.
Marcel Cachin portait en lui le souci de l’autre.
Il portait en lui l’Humanité.
Il vouait toujours un grand respect aux autres, à la pensée des autres et faisait preuve d’une grande tolérance.
Sorti de sa condition par l’éducation laïque, il refusera l’anticléricalisme de son courant politique.
J’ai toujours été marqué par cette note qu’il a écrit à l’âge de 40 ans dans ses carnets, je le cite : « Pourquoi voulez-vous qu’étant incroyant je déteste les religions et les croyants… Je ne puis en vouloir à un monde qui ne diffère de moi que par une manière autre d’arranger ses idées dans son cerveau ».
Il aimait les gens du peuple et il était aimé.
Il développait une multiplicité d’activités, de réunions, de meetings, de travaux d’écriture et pourtant il prenait le temps, dans chaque déplacement, de visiter la ville ou le village, de parler avec les élus locaux, les autorités de l’Etat, de discuter avec les habitants, les salariés comme les paysans, les petits artisans. Chaque rencontre avait pour lui une haute valeur humaine et politique. Et vous venez de le dire merveilleusement, M. le maire en relatant le fait qu’il venait dans le public, à la réunion du conseil municipal, puis prodiguait ses conseils sur des décisions à prendre.
Vous le savez, il écrivait chaque jour ce que l’on a appelé : « ses carnets ». Il y notait en style télégraphique ses réflexions, décrivait des situations. Aux paysans bretons, à l’ouvrier en Gironde, ou des étudiants de Paris, il portait un regard, une attention, une analyse particulière.
Un jour, il écrit, je le cite : « Ouvriers, deux francs par jour, ouvrière, dix-huit sous, vie chère, pas de viande, pas de vin, on mange du lard et des légumes retenus sur les salaires. Il y avait deux cent personnes à la rencontre. Nombreux ouvriers, espagnols misérables, femmes aux yeux noirs profonds, brunes, chevelures superbes. Les paysans sont pauvres, des bergers. En ce moment, la neige qui s’attarde sur les montagnes rend les bergers fort malheureux ». Voilà la note de ce jour là, véritable fresque d’une France en souffrance, description qui dit aussi l’humanisme de Marcel Cachin.
Il se révolte contre les injustices, son engagement à défendre le monde du travail, des retraités, son refus de cette discrimination entre les hommes et les femmes, sa défense des ouvriers immigrés… espagnols.
Oui je crois qu’il était :
Un homme humain jusqu’à la tendresse.
Un homme si fidèle à la cause du peuple que François Mauriac qui était loin de partager ses idées politiques déclarera le jour de son décès, je cite : « Toute une vie donnée à la classe ouvrière, cela commande le respect ».
De fait Marcel Cachin a participé, a contribué à une partie de l’histoire de France. Plusieurs fois parlementaire, député, sénateur, membre de la commission administrative permanente, de la SFIO, membre du comité directeur, puis du bureau politique du Parti communiste de 1920 à 1958, directeur de l’Humanité durant 40 ans.
Brillant élève de l’école de la République, il était ami avec les plus grands intellectuels, créateurs, hommes et gens de lettre et des arts de l’époque. Il fait ses études de philosophie à Bordeaux où il rencontre Jules Guesde. Là il participe à l’un de ses meetings parce qu’il est révolté par la fusillade de Fourmies. Dès lors, il s’engage au Parti ouvrier français.
Marcel Cachin a ceci de fondamentalement commun avec Jean Jaurès qu’ils sont tous deux venus au socialisme après avoir rencontré Jules Guesde.
En 1905, il sera l’un des ardents artisans de l’unification du socialisme français, qui reste avant cette année là éclaté en plusieurs formations.
Ce souci de l’unité des forces du travail salariées et paysannes, du rassemblement de toute la gauche fut chez lui une obsession qui l’anima toute sa vie et qui sans aucun doute l’amena à se rapprocher progressivement de Jaurès, lequel, on le sait parvint à rassembler les différents courants en créant la SFIO.
Ce rapprochement allait d’ailleurs au-delà du seul attachement à l’unité populaire. Il marquait chez les deux hommes, le sentiment profond qu’il n’y avait pas d’émancipation possible sans la relier à l’héritage républicain et aux valeurs issues de la révolution française et des lumières.
En d’autres termes, l’action vers le socialisme ne pouvait être séparée de la défense de ce que la République avait produit de meilleur, les valeurs, en particulier l’égalité des droits pour tous.
Et c’est quand cette combinaison fertile marqua l’Histoire que Cachin fut le plus à son aise, comme dans son élément.
Il en fut ainsi de la poussée vers le Front populaire, comme de la Libération, deux périodes marquées par de grandes conquêtes sociales et par l’intervention populaire, rassemblée, qui les imposa.
Au plus fort de la menace de la première guerre mondiale, Marcel Cachin est l’une des personnalités les plus proches de Jaurès. Les deux hommes font partie avec Longuet et Bracke de la délégation de « la dernière chance » de la SFIO, qui demandait à être reçu par le Président du Conseil. En vain… Jean Jaurès est assassiné au retour de l’entrevue. C’est Marcel Cachin qui signera dans l’Humanité du lendemain l’éditorial sur la mort du grand homme, et à sa place…Il est intitulé : « La dernière démarche de Jaurès était pour la paix. »
Marcel Cachin, comme la quasi-totalité des membres de la SFIO, fera sien l’engagement dans l’Union Sacrée pour la guerre « patriotique ». Il participera à ce titre à plusieurs missions internationales, dont une en Russie, alors qu’éclate la Révolution. Elle va le marquer en profondeur.
Il y voit en particulier les soldats russes abandonner les armes et fraterniser avec les forces révolutionnaires. Puis, il prend ses distances avec l’Union sacrée et s’engage fortement pour la tenue de la conférence de la paix de Stockholm.
C’est lui, pourtant profondément enraciné dans la culture française, qui symbolise le choix majoritaire des délégués en faveur de l’adhésion à la troisième internationale, adhésion qui a, on le sait, donné naissance au parti Communiste Français. Pour lui, cette adhésion n’est pas une conversion au « socialisme russe », mais bel et bien la continuité d’un engagement. En premier lieu, celui du socialisme et du communisme. La SFIO s’est embourbée dans l’union sacrée pour la « guerre patriotique » qui s’est révélée être en fait une atroce boucherie. C’est le fiasco de la politique de la collaboration des classes et il n’est pas concevable pour Marcel Cachin de poursuivre dans cette voie.
Pour lui, la période nouvelle qui s’ouvre, la fin de la guerre et l’émergence d’une révolution vers le socialisme est source d’une nouvelle espérance.
Cela le conduit à militer avec enthousiasme et lucidité vers ce qui deviendra le choix majoritaire à Tours.
Je dis bien avec insistance « lucidité » ! Car il mesure le chemin à parcourir : A son retour de Russie, en aout 1920, il écrit ces mots qui font réfléchir, beaucoup réfléchir : « En fait, ce qu’on appelle communisme, ici, est un collectivisme d’Etat puissant : ce n’est ni du socialisme, ni du communisme, mais seulement de l’Etatisme exaspéré. Le seul grand résultat obtenu, c’est la disparition complète du patronat, du capitalisme, de l’exploitation de l’homme par l’homme. Là-dessus, il faut bâtir. »
Cela me fait croire que Marcel Cachin, tout en approuvant les conditions de l’Internationale communiste, se prononce pour un communisme ouvert, en mouvement perpétuel, ancré dans les réalités et non imposé de l’extérieur.
D’ailleurs, il sera en difficulté dans les années qui suivront et la bolchevisation du Parti communiste, jusqu’au tournant impulsé par Maurice Thorez au début des années 30. Avant ce tournant, il perd, dans les années 1920 sa place politique centrale, tout en restant la principale figure parlementaire communiste, une figure extrêmement respectée par les militants.
A propos de son engagement il est encore d’une frappante lucidité. Il écrit franchement dans l’Humanité en 1934 : « On a bien voulu constater la fidélité de ma vie déjà longue à un seul but qui est le socialisme. Ce but, je me suis efforcé de le poursuivre en effet avec persévérance. Ce fut mon seul mérite. Mais il me faut croire que c’est vraiment un mérite tant est grand le nombre de ces anciens compagnons partis avec moi sur la même route qui ont trouvé l’étape trop longue ». C’est en creux une critique de ce que lui, le fondateur de ce parti, a du subir ou accepter sans condamner ceux qui « ont trouvé l’étape trop longue ».
Mais lui, Marcel Cachin se dit persévérant. Il ne lâchera jamais sur la question fondamentale de l’émancipation humaine, tout étant en constante réflexion, en évolution. Il y a là sans doute là la marque de Jean Jaurès dont Marcel Cachin dit : « Jean Jaurès fut pour moi plus qu’un ami, presqu’un père. C’était un homme admirable, incapable de la plus petite mesquinerie, de ma moindre rancune… »
Cette période est celle, et permettez moi d’y insister, vous comprendrez pourquoi, où il débute son long parcours à la tête du journal l’Humanité, qu’il a profondément marqué de son empreinte.
A l’Humanité, Marcel Cachin est en vérité dans son élément. Comme Jaurès, il est profondément journaliste. Il sait écrire. Il écrit merveilleusement bien et il aime écrire. « Il est né avec un crayon dans les doigts », disait son épouse Marguerite. D’ailleurs ses carnets montrent qu’il aime noter, garder ou ramener de l’information, de la connaissance. Il répétait inlassablement aux journalistes : « Il faut que chaque article soit lisible par l’ouvrier et le haut cadre ».
Il poursuivra avec détermination l’œuvre du fondateur, son illustre prédécesseur Jean Jaurès. D’emblée, il dessine les contours d’une presse politique de masse : « Pour faire pénétrer chez les ouvriers un journal comme le notre, un journal de militants est insuffisant. Ce qui est nécessaire, c’est un grand journal populaire où, tout en réservant une place au socialisme, au syndicalisme, au corporatisme, nous puissions donner plus de place pour ce qui intéresse les travailleurs, tous les travailleurs, avec la mentalité qu’ils ont à l’heure actuelle, leurs besoins dont ils doivent trouver le reflet dans leur lecture quotidienne. »
A de nombreuses reprises, l’action de Marcel Cachin fut déterminante pour sauver l’Humanité de la faillite. A la fin des années 1920, la combinaison des poursuites contre les militants communistes de l’époque, les mesures de rétorsion contre l’Humanité, avec la fermeture de la Banque ouvrière et paysanne, et la ligne sectaire du Parti communiste, place l’Humanité dans de grandes difficultés jusqu’à l’asphyxie financière.
C’est à ce moment là que Marcel Cachin prend deux initiatives concomitantes.
Le 7 septembre 1930, il organise une réunion à Bezons, des diffuseurs-militants et crée les Comités de défense de l’Humanité qui se poursuit par la création de la Fête de l’Humanité.
Nous allons donc cette année, les 10, 11 et 12 septembre prochains, fêter le 80ème anniversaire de la création de la Fête de l’Humanité et des Comités de diffusion de l’Humanité. Ce sera aussi l’occasion de rendre hommage et se remémorer l’action et l’œuvre de Marcel Cachin.
La première fête de l’Humanité de Bezons, marque également le début du grand souffle de l’Union qui culminera au Front populaire.
De 1934 à 1936, Marcel Cachin signera près du tiers des éditoriaux de l’Humanité. Avec Paul Vaillant-Couturier, rédacteur en chef, il formera un tandem créatif, porteur d’une nouvelle politique d’alliance et de rassemblement. Tous les deux, ils agiront pour que l’ Humanité d’alors rompt avec « la phraséologie » et le dogmatisme rébarbatif ». On sait aujourd’hui que Marcel Cachin était pour la participation au gouvernement du Front populaire.
Directeur de l’Humanité, Marcel Cachin a formé une multitude de journalistes de talents. Comment ne pas évoquer avec émotion les lignes qu’écrira Gabriel Péri, chef du service de politique étrangère de l’Humanité, quelques minutes avant d’être fusillé par les nazis : « Sans doute, est-ce parce que Marcel Cachin a été mon bon maitre que je me sens fort pour affronter la mort. »
La longue histoire du journal de l’Humanité, dont on dit souvent qu’il est le journal de Jaurès est indissociable de la vie de Marcel Cachin, dont il ne faut pas oublier qu’il est devenue un journal communiste parce que son épouse Marguerite, reçut les titres de propriété et les fonds de l’un des principaux acteurs de la Commune de Paris, Camélinat.
On le qualifiait souvent de « vieux lutteur », ce qu’il était effectivement. Du militant bordelais qu’il fut au grand parlementaire, au journaliste, au directeur de l’Humanité, au dirigeant socialiste puis communiste, il n’a jamais baissé les bras, malgré les pressions, les tracasseries, l’arrestation et l’emprisonnement par les nazis.
Il fut un travailleur, un lutteur infatigable, un grand militant de l’émancipation humaine, sans se laisser impressionner, ni à l’intérieur des vicissitudes de son propre parti, ni de celles venant de l’extérieur.
Marcel Hamon, son ami, qui fut Résistant et député de ce département a écrit de lui dans le journal régional Bretagne Nouvelle cette phrase magnifique, je le cite : « Le militant qui fut tant de fois injurié, et des plus bassement, frappé, emprisonné, était incapable de nourrir le moindre esprit de vengeance, incapable de se départir d’une parfaite correction et de la loyauté la plus absolue à l’égard de ceux-là même qui lui faisaient du mal ».
Forcément, Mesdames et Messieurs, chers amis, chers camarades, quelles que soient nos opinions, la connaissance de la vie si riche, si droite, si fidèle à la belle cause du peuple, la connaissance de l’histoire de la vie d’hommes comme Marcel Cachin nous donne encore plus le désir, l’envie, le devoir peut-être, de poursuivre sa belle œuvre, ses engagements, par-delà les difficultés, les déceptions parfois.
C’est comme un devoir pour nous à l’heure où la morale semble s’évanouir dans la vulgaire politicaillerie, à l’heure où ce système capitaliste en crise qu’ont combattu Marcel Cachin et ses compagnons de toutes leurs forces, broie les hommes et détruit la nature. A l’heure où est en jeu l’avenir de la planète et peut-être même celui de la civilisation elle-même. A l’heure où, comme vous l’avez dit, M le Maire, M le Sénateur, Mme la Députée, les droits sociaux et démocratiques sont si bafoués. A l’heure où des éléments du programme du Conseil National de la Résistance et du Front Populaire, pour lequel s’est battu Marcel Cachin, sont démolis.
Par-delà nos opinions et nos engagements n’est-il pas urgent de se lever ensemble pour défendre et faire vivre les valeurs de la République : Liberté, Egalité, Fraternité, qui constituent déjà par elles-mêmes tout un programme du progressisme à la française.
A l’heure où tant de périls menacent, comme l’ont fait Jaurès, Cachin et bien d’autres, c’est à la grande unité des forces sociales et progressistes, des forces de gauche, qu’il faut travailler pour inventer les chemins neufs d’un avenir progressiste.
Oui, commémorer, réfléchir à l’œuvre de tels hommes d’Etat, nous oblige nous aussi, dans les conditions totalement nouvelles d’aujourd’hui, nous oblige à réinventer ensemble, les voies, le chemin d’un nouveau progressisme français, européen et mondial, combinant la justice, la justice sociale et la justice écologique, la démocratie, la paix.
Voilà pourquoi M le Maire et à vous toute la famille de Marcel Cachin, une nouvelle fois, je vous félicite et vous remercie, avec beaucoup de mes amis ici, Gérard Lahellec, Félix Leyzour, Daniel Paul, ainsi que Roland Leroy et Marie-George Buffet pour l’acte que vous accomplissez.
Faire vivre, comme vous le faites, Marcel Cachin non seulement vous honore, mais constitue un acte de grande portée car pour paraphraser Jean Jaurès, vous êtes de ceux qui : « Savent reconnaître dans le présent la force accumulée des grandeurs du passé et le gage des grandeurs de l’avenir ».
Intervention prononcée le 29 mai 2010 lors de l’auguration d’une stèle en hommage à Marcel Cachin à Lancerf en Plourivo, en présence des petits enfants de Marcel Cachin, du maire de Plourivo et de nombreux autres élus
Patrick Le Hyaric est directeur de l’Humanité et député au Parlement européen