En m’appuyant sur mon nouveau livre qui vient de paraître, Pour que l’homme ne soit pas l’avenir de la femme (L’Harmattan), je voudrais insister, même brièvement mais avec force, sur l’opposition actuelle, que je trouve dramatique, entre deux féminismes dont le second, je le dis clairement, me scandalise. Il s’agit, bien entendu, d’affirmer et de revendiquer l’égalité de la femme et de l’homme, contre une tradition ancestrale qui a proclamé l’infériorité de la femme par rapport à l’homme et l’a fait appliquer socialement dans les lois, les fonctions et les mœurs, et ce malgré les valeurs mises en avant par la Révolution de 1789 en France, mais dont le principe universaliste de l’égalité des droits en excluait curieusement les femmes, avant que les choses évoluent à partir de la fin du 19ème siècle, après l’irruption de Marx et de ses idées sur la scène politique. Sauf que cette égalité, quand son idéal a envahi les consciences, se présente aujourd’hui sous deux manières, qui définissent donc deux féminismes, dont l’antagonisme est facile à définir.
Le premier, auquel j’adhère pleinement, est celui d’une égalité femme-homme dans la différence. Il a été au cœur des luttes des femmes inspirées par les idées marxistes au début du 20ème siècle et menées par des femmes comme Alexandra Kollontaï et Clara Zetkin, qui étaient intégrées au mouvement ouvrier et militaient pour une révolution communiste, y compris en Russie, et qui s’appuyaient aussi sur la reconnaissance des inégalités de classes inhérentes au capitalisme, qu’elles entendaient aussi abolir, au-delà leurs seules revendications de femmes. Ce mouvement a duré longtemps, il a obtenu des succès en France comme le droit de vote obtenu à la Libération, en 1946, grâce au CNR animé largement par les communistes, et il a été partagé ou soutenu par bien des femmes (et hommes) progressistes dans de nombreux domaines que je ne rappellerai pas car il sont connus. Mais je signale l’important apport intellectuel de Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe, important car il résume bien la subtilité de ce premier féminisme : il s’agit bien d’assurer une égalité stricte de
la femme et de l’homme dans l’accès aux diverses fonctions sociales, politiques comprises, donc, et en ce sens précis, une égalité fondée sur l’admission de l’identité, ici, de leurs capacités intellectuelles par rapport à celles des hommes, contre le mythe à la fois faux et réactionnaire de leur infériorité. Mais ce qui est original chez elle, c’est la reconnaissance d’une différence féminine spécifique qu’elle défend en s’appuyant sur la biologie, par exemple dans le domaine de l’affectivité, mais que je ne développe pas davantage.car l’important c’est le commentaire positif qu’elle en fait, en particulier à la fin de son livre : cette différence donne du prix à la vie de couple en lui évitant l’ennui (quel intérêt d’avoir son double en face de soi une vie entière ? – Y. Q.) et, tout autant, elle est capable de nous faire comprendre, contre les néo-féministes actuels, que l’amour peut comporter une admiration à l’égard de l’autre qui n’est en ien une soumission ou une aliénation. Et ce fut bien son cas s’agissant du couple étonnant et constant, fût-il « libre », qu’elle forma avec J.-P. Sartre jusqu’à la mort de celui-ci (voir La cérémonie des adieux) ; elle ne lui témoigna aucune trace d’hostilité sous le prétexte qu’il était un homme et même un homme dont elle reconnaissait et admirait la supériorité !
L’autre féminisme récent, le néo-féminisme donc, n’est pas dans ce registre où le respect de l’homme est présent. Il veut une égalité dans l’identité, refuse toute idée de différence et, surtout, ce qui m’est profondément désagréable sur le plan éthique (je ne dis pas vraiment moral encore que…), il aspire à ce que la femme devienne identique à l’homme, refusant toute idée de « féminité ». Dit autrement : c’est un féminisme masculiniste, si je peux m’exprimer ainsi, et je le peux si je me réfère à l’exemple spectaculaire et caricatural de Virginie Despentes dans King Kong Théorie (dont je crois avoir parlé sur ce blog). Je vais le rappeler tant il est significatif de cette dérive que je dénonce – et ce indépendamment de son œuvre littéraire à succès, que je n’aime pas non plus d’ailleurs. En priorité, il y a chez elle, et ce à partir d’une expérience de vie douloureuse qui pourrait (je dis bien : pourrait) l’excuser, la volonté d’une revanche sur l’homme et le désir d’être comme lui, y compris, et c’est cela qui est grave et me choque, dans ses défauts. Ayant exercé occasionnellement le métier de prostituée, elle se vante d’avoir soumis l’homme, dans son activité sexuelle, à la même soumission qui lui avait été imposée par celui-ci et elle avoue en avoir tiré une très grande jouissance liée à un sentiment extrême de puissance. A partir de là, elle exprime le droit total d’être masculine (elle reconnaît à la fin de son livre que c’est finalement un trait de son caractère qu’elle déniait jusque là), sans se soucier de savoir si cette caractéristique, la « masculinité » donc, n’impliquerait pas des défauts humains détestables comme la volonté de puissance, justement, la violence dans les rapport sociaux, qu’ils soient de travail ou de commandement (voir les « harcèlements » dont elles sont victimes), le goût effréné du pouvoir, la rivalité, l’ambition politique poussée à l’extrême, la cupidité, l’orgueil, le narcissisme, et j’en passe. Ce sont là autant de défauts humains qui alimentent, au minimum, les tares de notre société et, plus largement, notre histoire depuis longtemps, même s’ils ont aussi une origine historique liée aux sociétés de classes et aux types d’humanité qu’elles engendrent, ce que je crois aussi… mais dont les « néo-féministes » ne semblent guère se soucier, tant elles sont autocentrées sur la question du « genre » pris en lui-même et, en quelque sorte, « abstraitement » – autre différence considérable avec l’autre féminisme. Le souci « éthique » ou « moral » qui a toujours habité le féminisme classique paraît ici bien restreint ou étroit, et il peut expliquer les dérapages de V. Despentes, à nouveau, quand, dans le même livre indiqué, elle se refuse à condamner la prostitution, y voyant un « travail comme un autre » et étant admis, selon elle, que « tout travail est dégradant » (je la cite), chose que je n’ai jamais lue nulle part jusqu’à présent…et qui ne relève pas d’une option progressiste en politique ! Elle souffre visiblement d’un déficit de « sens moral » dans les valeurs dont elle se réclame et elle ne contribue pas à rehausser l’image de ce féminisme à mes yeux. Et je ne m’attarderai pas sur l’apologie qu’elle a faite des « tueurs de Charlie » dans un article de Libération, dont peu nombreux sont celles ou ceux qui s’en sont indignés ! J’ajoute seulement, pour élargir rapidement mon questionnement critique, que ce nouveau féminisme s’intègre plus largement à un mouvement culturel venu des Etats-Unis, la « Cancel culture » (détournée de sa signification originelle,plutôt bonne), qui fait des ravages avec ses bouleversements qu’il réclame dans l’ordre de la sexualité, des identités de genre, de la procréation, de la relation filiale, etc., nous rapprochant ainsi du « transhumanisme » qui veut non « réparer » l’homme (ce que fait très normalement la médecine) mais le « transformer » ou l’« augmenter » artificiellement et d’une manière irresponsable, tournant le dos à l’humanisme tout court avec sa valeur moralement inestimable, fondée sur le respect inconditionnel de l’humain.
Je conclus, sans détailler l’ensemble de ma réflexion. Je récuse donc l’idéal pseudo humain du féminisme actuel, et je soutiendrai toujours le premier féminisme, quitte en approfondir les exigences concrète dans l’ordre de l’égalité – car tout n’est pas acquis – et à l’étendre à d’autres pays ou cultures de la planète où il est bafoué : pensons en particulier, mais pas seulement, aux régimes islamistes, avec leur religion rétrograde hostile aux femmes, qui ne sont guère critiqués par les néo-féministes : au nom ici de la « différence » ? C’est bien pourquoi j’ai donné le titre indiqué d’emblée à mon livre : je ne veux pas voir les femmes acquérir les défauts des hommes, et je préférerais voir les hommes se féminiser, ou, si l’on préfère, voir tous les êtres humains acquérir ou adopter les qualités des femmes, dans la plus exigeante égalité sociale pour elles, par ailleurs.
Pour que l’homme ne soit pas l’avenir de la femme. Yvon Quiniou. L’Harmattan.