Le 18 novembre 1946, le journal anglais The Times publie une interview du secrétaire général du P.C.F., vice-président du Conseil, Maurice Thorez. Il y évoque la possibilité d’une " voie française vers le socialisme " différente du modèle de la révolution bolchevique d’octobre 1917 en Russie. A partir de 1956, ce texte devient une référence majeure du discours communiste français.
Les élections du 10 novembre ont souligné une fois de plus le caractère national et démocratique du Parti communiste français, profondément enraciné dans les couches populaires, à la ville et à la campagne.
Les travailleurs, les républicains font confiance au Parti communiste français parce qu’il a été et qu’il demeure le parti de la clairvoyance et du courage. Seul, avant la guerre, il a dénoncé et combattu la prétendue non-intervention et la capitulation de Munich, c’est-à-dire la politique de concessions qui a encouragé les agresseurs fascistes. Il a été, sur le sol national, l’organisateur et le dirigeant de la lutte armée contre l’envahisseur allemand et contre la trahison vichyste. Il est, depuis la Libération, l’initiateur et le conducteur de l’effort populaire pour la reconstruction de la France. Tout le monde sait qu’à l’appel du Parti communiste, les mineurs français ont, depuis un an, doublé notre production de charbon qui dépasse de quinze pour cent les chiffres d’avant-guerre. En même temps, grâce à l’initiative des ministres communistes, les ouvriers, les fonctionnaires, les paysans, les vieux travailleurs, les mères ont obtenu des avantages substantiels.
Enfin, l’opinion démocratique française approuve nos positions en matière de politique extérieure, notamment sur les problèmes de la sécurité et des réparations. Nous n’admettons pas l’idée émise par certains de rendre à l’Allemagne une position économique dominante en Europe. Nous demandons l’internationalisation de la Ruhr et le rattachement de la Sarre à notre système économique. Nous voulons la liquidation du fascisme et le désarmement effectif de l’Allemagne. Nous estimons nécessaire, indispensable, l’entente entre nos grands alliés anglais, américain et soviétique. Nous repoussons toute politique de blocs et d’orientation exclusive sur l’un quelconque de nos alliés, notre gratitude allant également à tous.
Nous souhaitons le resserrement des liens d’amitié et d’alliance entre la Grande-Bretagne et la France. Je suis d’une province arrosée de trop de sang britannique pour ne pas mesurer le prix de l’amitié franco-anglaise. L’accord devrait résulter d’une juste solution de la question allemande. Nous ne comprenons pas qu’on nous refuse le charbon de la Ruhr et que l’on compromette ainsi le relèvement de notre pays.
Nous avons répété expressément au cours de notre campagne électorale que nous ne demandions pas au peuple le mandat d’appliquer un programme strictement communiste, c’est-à-dire reposant sur une transformation radicale du régime actuel de la propriété et des rapports de production qui en découlent. Nous avons préconisé un programme démocratique et de reconstruction nationale, acceptable pour tous les républicains, comportant les nationalisations, mais aussi le soutien des moyennes et petites entreprises industrielles et artisanales et la défense de la propriété paysanne contre les trusts.
A l’étape actuelle du développement de la société, nous avons la conviction que les nationalisations - le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés - constituent un progrès dans la voie du socialisme. Les nationalisations portent atteinte à la toute-puissance des oligarchies financières, elles limitent les possibilités légales de l’exploitation de l’homme par l’homme, elles placent entre les mains d’un gouvernement démocratique des moyens appréciables pour l’œuvre de redressement économique et social du pays.
Il est évident que le Parti communiste, dans son activité gouvernementale, et dans le cadre du système parlementaire qu’il a contribué à rétablir, s’en tiendra strictement au programme démocratique qui lui a valu la confiance des masses populaires.
Les progrès de la démocratie à travers le monde, en dépit de rares exceptions qui confirment la règle, permettent d’envisager pour la marche au socialisme d’autres chemins que celui suivi par les communistes russes. De toute façon, le chemin est nécessairement différent pour chaque pays. Nous avons toujours pensé et déclaré que le peuple de France, riche d’une glorieuse tradition, trouverait lui-même sa voie vers plus de démocratie, de progrès et de justice sociale. Cependant, l’histoire montre qu’il n’y a pas de progrès sans lutte. Il n’y a pas de route toute tracée sur laquelle les hommes puissent avancer sans effort. Il leur a toujours fallu surmonter bien des obstacles. C’est le sens même de la vie.
L’union des forces ouvrières et républicaines est le sûr fondement de la démocratie. Le Parti ouvrier français que nous proposons de constituer par la fusion des partis communiste et socialiste, serait le guide de notre démocratie nouvelle et populaire. Il ouvrirait largement ses rangs aux travailleurs catholiques auxquels nous avons tendu bien avant la guerre une main fraternelle que beaucoup ont saisie. Nombreux sont d’ailleurs les Français qui partagent notre conception de la laïcité : pas de guerre à la religion, neutralité absolue de l’enseignement au regard de la religion.
Les Français communistes désirent vivement que le caractère national et démocratique de toute leur activité soit compris en Grande-Bretagne. Il n’en peut résulter que des effets heureux dans les rapports entre nos deux pays, pour le plus grand bien de notre cause commune, la cause de tous les peuples, la cause de la liberté et de la paix.