« L‘éducation de tous par la liberté républicaine doit être soutenue de l‘éducation de tous par l’Ecole, et par l’Ecole de la Nation et de la Raison, par l’école civile et laïque », proclamait Jaurès en 1901.
Il ajoutait, prenant de revers ceux qui lui reprochaient la communion de sa fille – je le cite - : « Le droit de l’enfant, c’est d’être mis en état, par une éducation rationnelle et libre, de juger peu à peu toutes les croyances et de dominer toutes les impressions premières reçues par lui. »
C’est au nom des droits de l’enfant que Jaurès entend lutter pour une éducation publique universelle et laïque : « La démocratie a le devoir d’éduquer l’enfance ; et l’enfance a le droit d’être éduquée selon les principes mêmes qui assureront plus tard la liberté de l’homme. Il n’appartient à personne, ou particulier, ou famille, ou congrégation, de s’interposer entre ce devoir de la nation et ce droit de l’enfant », disait-il.
« L‘éducation est liée à toute l‘éducation politique et sociale, et il faut qu’elle se renouvelle et s‘élargisse à mesure que s‘élargissent et se renouvellent les problèmes. » ajoutait-il dans un discours prononcé à Castres en 1904.
Ce combat pour la liberté par l’éducation était pour Jaurès inséparable de celui pour la laïcité, intimement lié à la lutte farouche qu’il mena pour instaurer, dans une France minée par la réaction antirépublicaine et cléricale, la séparation des Eglises et de l’Etat. « Vous n’avez pas voulu seulement que l’instruction fût universelle et obligatoire : vous avez voulu aussi qu’elle fût laïque, et vous avez bien fait. » se félicitait-il à la Chambre des députés dès 1893.
La séparation n’a jamais été pour Jaurès une fin en soi, un but ultime qui se suffirait à lui-même. Elle est, au contraire, une condition nécessaire pour que le socialisme épouse la République et la démocratie, pour que la liberté guide les pas de l’humanité.
Jaurès batailla ferme aux côtés d’Aristide Briand, pour que la loi de séparation des Eglises et de l’Etat soit une loi de concorde et non un acte de vindicte ; une loi pour la liberté de conscience et non un nouveau dogme ; pour qu’elle soit une loi qui contraint la puissance publique à la neutralité afin d’assurer la possibilité d’une vie en commun et d’un contrat social.
« Démocratie et laïcité sont deux termes identiques car la démocratie n’est autre chose que l’égalité des droits et fonde en dehors de tout système religieux toutes ses institutions, tout son droit politique et social » disait-il.
Il ne saurait y avoir de liberté sans égalité des droits nous indique-t-il en définitive, dans l’exact sillon des révolutionnaires de 1789 et de leurs héritiers.
La laïcité n’est ainsi pas une tolérance pour Jaurès. Cette tolérance qui est toujours une concession, voire une condescendance.
Elle est un principe d’égalité qui affirme l’égale aptitude des femmes et des hommes à raisonner, qu’ils croient en un dieu ou qu’ils ne croient pas.
Pour préciser sa pensée, Jaurès s’écriait en 1910 : « Nous ne sommes pas le parti de la tolérance, nous n’avons pas de tolérance, mais nous avons à l’égard de toutes les doctrines, le respect de la personnalité humaine et de l’esprit qui s’y développe »
La laïcité qui s’impose par force de loi en 1905 est héritière de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Et ce n’est pas un hasard si la loi de séparation fut votée quelques mois après l’unification des courants socialistes au sein de la Section française de l’internationale ouvrière, en 1904 : Jaurès et ses camarades y voyaient autant l’affermissement des principes socialistes et républicains qu’une condition de l’unité ouvrière.
C’est la raison pour laquelle les contre-révolutionnaires d’hier et d’aujourd’hui - et il n’en manque pas - tentent de flétrir la laïcité pour en faire tantôt une arme contre une religion, tantôt un outil de promotion équitable de chacune d’elles dans la sphère publique. Autant de dangereuses usurpations de la grande œuvre laïque portée par Jaurès et fortifiée par le socialisme naissant.
Voilà, cent treize ans après qu’elle fut mise au fondement de la République, que des représentants d’un parti qui a usurpé le nom de « républicains » veulent inscrire le principe de laïcité dans la devise nationale, tout en exigeant la mention des racines chrétiennes de la France dans la Constitution !
Ils sont les auteurs d’une double escroquerie qui vise à redéfinir et affaiblir la laïcité pour en faire une arme de guerre culturelle contre « certains » croyants, à l’exact opposé de l’esprit de liberté et de pacification dont Jaurès s’était alors fait le porte-voix.
Il se trouve également aujourd’hui un Président de la République pour flétrir l’idéal laïc devant les services pontificaux du Vatican, déclarant lors de son intronisation comme Chanoine de Latran il y a quelques semaines – je le cite : "Nous avons, anthropologiquement, ontologiquement, métaphysiquement, besoin de la religion".
Comme si toute forme de spiritualité ne pouvait se résumer qu’à la religion ou au dogme, comme s’il fallait promouvoir encore et toujours la religion dans la vie sociale et politique après des siècles d’efforts pour la circonscrire à l’extérieur de la délibération citoyenne tout en protégeant sa pratique.
Mais, soyons en conscient, dans le monde de M. Macron, la religion a une fonction politique : celle d’offrir une âme a un monde sans âme et glacial du calcul égoïste qu’il promeut sans relâche, renvoyant au-delà de la vie humaine la possibilité même d’une justice. Ce faisant, M. Macron balafre la République sociale et laïque dont il est censé être le garant, poussant encore plus loin les feux allumés par son prédécesseur Nicolas Sarkozy qui installait curé et instituteur sur un pied d’égalité.
Jaurès, à l’exact opposé de M. Macron qui place la question religieuse comme un fondement de la vie sociale, nous disait, je le cite : « Dans aucun des actes de la vie civile, politique ou sociale, la démocratie ne fait intervenir légalement la question religieuse, elle respecte, elle assure l’entière et nécessaire liberté de toutes les consciences, de toutes les croyances, de tous les cultes ; mais elle ne fait d’aucun dogme la règle et le fondement de la vie sociale. »
104ème anniversaire de l’assassinat de Jean Jaurès.
Café du croissant, 31 Juillet 2018
Extraits du discours de Patrick le Hyaric, directeur de L’Humanité