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Jaurès, sa valise, l’intellectuel et le politique
Par Jacques Barbarin

Bruno Fuligni, diplômé de Sciences Po, travaille depuis 1996 à l ‘Assemblée Nationale. Après avoir participé pendant neuf ans à la rédaction du compte rendu analytique des séances, il dirige la Mission éditoriale de l’Assemblée Nationale. Ce grand amateur d’histoire, d’utopies et d’aventures humaines insolites a, à son actif une dizaine, de publications. Mais il est aussi co-auteur d’une série de documentaires sur les députés d’autrefois, Les aventuriers de la République, et auteur du film La séparation, (réalisation François Hanss) sur les débats parlementaires autour de la loi de séparation des églises et de l’Etat. Avec, excusez du peu, Pierre Arditi, Michael Lonsdale, Claude Rich, Jean Claude Drouot, Jacques Gallo, Pierre Santini...

Jean Claude Drouot retrouvera ce grand connaisseur du monde parlementaire pour La Valise de Jaurès, créée à la fête de l’Huma, le 11 septembre 2009, pour le 150ème anniversaire de la naissance de Jaurès, que le comédien joue et met en scène. La Valise de Jaurès , c’est l’affrontement de deux maîtres de la tribune au Palais Bourbon, Jaurès et Barrès, Jean Claude Drouot jouant avec conviction cette « force qui va » qu’est le premier. Maxence Mailfort dessine, quant à lui, subtilement l’aristocratie d’un Barrès. Il va y avoir, peut-être amitié, mais en tout cas reconnaissance entre les deux.

Jean Claude Drouot. Nous, comédiens, nous faisons des choix, évidemment, ou on fait pour nous le choix de certaines rencontres avec certains personnages, certaines figures de notre patrimoine : ici, la figure de Jaurès… je dirais que c’est inespéré. Avec la puissance de sa réflexion, de sa vision, de la droiture de cette vision, sa générosité, son dévouement absolu, sa fraternité, ce sont des traits humains qui le caractérisent totalement. M’être vu confié la rencontre avec un homme comme lui, avec sa pensée, sa vision, sa conviction, cela remplit de façon inespéré ce que j’attends depuis mes vingt ans quand j’ai décidé de confier mon chemin de vie au théâtre. Je sais que la rencontre avec Jaurès remplit pour moi idéalement la fonction essentielle du théâtre qui est de parler au monde. Le théâtre est une fable et le spectateur est confronté à cette fable, à ce miroir qui le renvoie à ces propres passions, à sa propre vie, au dédale des évènements de sa vie. C’est l’exercice du théâtre : permettre de décoder ou de comprendre mieux, de réfléchir, de prendre des forces au contact d’une histoire qu’on raconte. Avec l’histoire de cet homme, certaines circonstances de sa vie, son engagement …. je ressens au-delà de ça. Jaurès comble en moi des vides : sa vision est tellement universelle, cosmique, qu’il me sollicite dans mon être entier.

Quels ont été les principes d’écriture de La Valise de Jaurès et comment s’explique – non l’amitié – mais sans doute l’admiration pour Jaurès de Barrès ?
J.C.D. La pièce s’est écrite à partir de tous les éléments très scrupuleusement notés, sténo-dactylographiés à l’Assemblée. Tout ce qu’on entend c’est l’expression réelle, orale, et de Barrès et de Jaurès. Certains moments sont saisis dans les carnets de Barrès… Il y a l’affrontement à l’Assemblée, et là, ce n’est pas du tout à fleurets mouchetés – ce sont des vrais affrontements, violents, percutants, et puis il y a l’intimité des parlementaires, la buvette, qui est interdite aux journalistes – je l’ai vu car nous avons tourné à l’assemblée – où ils s’essaient, ils se jaugent, ils éprouvent leurs arguments. Je ne parlerais pas non plus d’estime réciproque entre Jaurès et Barrès pour qu’il y ait estime il faut qu’il y ait accord dans les idées, ou dans la vision, mais on peut apprécier la finesse intellectuelle, la qualité de l’affrontement, chez l’adversaire. Je pense que Barrès- caustique, sceptique, ironique, choses sur lesquelles nous avons travaillé, le coté dédaigneux, hautain, élégant- Barrès, devant le tempérament, la générosité d’un Jaurès, son évidence, il devait – lui le sceptique – admirer cela, complètement sidéré par cette force là.

Il y a un troisième personnage, Amédée Couesnon, dont l’entreprise produit des instruments de musique pour fanfares (l’entreprise existe encore, tapez « couesnon » sur un moteur de recherche). C’est le « député de base » : il a la fibre sociale mais ne peut supporter le mot « socialiste », pour lui Barrès est un réactionnaire, mais il pourrait partager certains de ses points de vues… et surtout grand spécialiste de « couesnonade ».
JC.D Fuligni, très habilement, pour éviter que l’affrontement entre les deux ne soit trop pesant est allé chercher cet Amédée Couesnon qui s’était fait remarqué par son incongruité dans le milieu parlementaire : les « couesnonades », la presse de l’époque en témoigne. Un homme politique très connu, socialiste, que je ne citerais pas, ayant vu le spectacle, a dit : « il n’y a plus que des Couesnon ». Il n’y a plus que des techniciens de la politique. Chez Jaurès, l’envie de servir, de mettre son intelligence au service du pays, de l’éducation, et le sentiment qu’il fallait le faire sur le terrain politique, cette conviction là est apparue très tôt. A la différence de bien d’autres, il n’a jamais eu de poste ministériel. On peut spéculer là de dessus et se dire que s’il n’avait pas été assassiné, il aurait pu être appelé aux destins les plus hauts… J’ai entendu exprimer cela. Pourquoi pas ? Mais ce n’est pas son destin. Et son destin, je pense, c’est d’avoir été au bout de ce combat. Je pense que cette parole, cette conviction, elle étonne et inquiète, même. Ce qu’il exprimait il y a cent ans nous renvoie à nous, maintenant : il n’y a rien de rassis, de faisandé, de vieux, de moisi. C’est vivant, c’est utile, c’est nécessaire. Ce qui est inquiétant, c’est l’ état de notre société aujourd’hui. Au contact de cette vision-là on se dit : « mais alors, nous n’avons pas fait de progrès ? » Et on a même le sentiment peut-être d’être en récession accélérée, et je crois, sur le plan politique qu’on peut dire que c’est le cas.

Les villes qui ont leurs avenues, boulevards, places, écoles Jean Jaurès sont foison. A Nice, où ce spectacle est venu en novembre et où cet entretien a été réalisé, il y a un boulevard du même nom , qui longe le vieux Nice et relie la place Garibaldi à cette d’un autre enfant du pays, Massena. Jaurès était venu à Nice, au début du siècle dernier, pour un discours, justement place Masséna fût conspué et ne pût s’exprimer, ce qui vaudra de la part de Jaurès cette réflexion amère : les niçois sont des valets en quête de prébendes. Aux grands hommes la patrie reconnaissante ?


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