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L’illettrisme ne met-il pas en cause certains dispositifs pédagogiques ?
Par Janine Reichstadt, professeur de philosophie.

"Moins on sait lire, moins on lit"

Dans la tribune libre de l’Humanité du 29 janvier 2011, Thierry Le Paon et Nasser Mansouri-Guilani nous alertent sérieusement sur le fléau de l’illettrisme au travail, au coût social et humain particulièrement élevé. De l’intérêt et de l’enjeu majeurs de leur tribune, je souhaite retenir ici un de ses aspects qui me paraît essentiel, et pour lequel je propose quelques éléments de réflexion.

Ils posent très justement le problème de la cause majeure de cet illettrisme dans « la non-acquisition (ou l’acquisition fragile) de la maîtrise de la langue écrite à l’école », ce qui renvoie à la question des dispositifs pédagogiques encore largement pratiqués, impulsés depuis les années 1970. Au nom d’une condamnation de la syllabique réduite à un b-a ba déclaré mécaniste et stupide, et détournant les élèves du sens, on a forgé des dispositifs s’appuyant sur la devinette à partir d’hypothèses, de recherches par le contexte, les images, pour essayer d’identifier les mots. On a également accompagné ces démarches d’une part importante de reconnaissance de mots mémorisés globalement. Des élèves en viennent alors à « lire » « copain » pour « ami », « bateau » pour « bâtiment », « parapluie » pour « disparaît », « tordre » pour « tarder » et à déclarer qu’ils ne savent pas lire ailleurs que dans le livre où de fait ils ont appris des phrases par cœur.

Jamais but en soi, la maîtrise d’un déchiffrage habile et précis est la voie d’accès incontournable à la lecture et donc à la compréhension de tout texte. S’approprier cette maîtrise du déchiffrage passe donc forcément par un apprentissage qui part des lettres, des graphèmes, des syllabes, pour pouvoir lire effectivement les mots, les phrases et les textes que l’on a sous les yeux, et qui très vite peuvent être ambitieux sur le plan culturel. Condition de lectures sûres et intelligentes, cette démarche est la seule source possible du désir de lire.

Buter sur les mots, ne pas être parfaitement à l’aise dans le déchiffrage décourage la lecture qui devient un pensum et l’illettrisme guette par manque de la pratique nécessaire pour conforter les compétences de lecture courante. Le cercle vicieux a alors toutes les chances de s’installer : moins on sait lire moins on lit, et moins on lit, moins on sait lire. A contrario, apprendre à bien lire ouvre le désir de lire. Savoir lire et lire renforce mutuellement leurs effets et rendent impossible la venue de l’illettrisme.

Lorsque Thierry Le Paon et Nasser Mansouri-Guilani formulent des propositions autour de cinq axes dans lesquels se situent les préoccupations de la CGT, ils y inscrivent la volonté de s’assurer de la qualité des formations. Cette proposition est assurément une proposition essentielle pour que tous les dispositifs qu’il est nécessaire de mettre en œuvre pour combattre le fléau puissent conduire à une franche réussite.

Quel que soit l’âge des apprentis ou « ré-apprentis » lecteurs, l’apprentissage du déchiffrage s’appuyant sur une progression rigoureusement pensée et suivie s’impose, tout comme s’impose le souci de donner à lire des textes susceptibles d’alimenter le désir de lecture [1].

Tribune parue dans L’Humanité du 8 février 2011.

Janine Reichstadt est professeur de philosophie.

Notes :

[1Sur ces questions de l’apprentissage de la lecture, on pourra consulter le site : www.leslettresbleues.fr qui présente un nouveau manuel, et l’expérimentation qui en a été faite dans douze classes, le plus souvent classées ZEP.


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