
Par décret du 25 août 1939, la presse communiste est interdite en France. Cela fait suite à de nombreux décrets lois sur la propagande étrangère, entre autres et au report des élections, adopté en mars et concrétisé par le décret de juillet. Or ces textes loin de s’attaquer au déferlement agressif de textes nazis, serviront à conduire la guerre intérieure contre le Parti communiste.
L’argument utilisé fut la signature du pacte germano-soviétique dont on sait maintenant qu’il a été l’aboutissement d’une manipulation de Chamberlain et de Daladier. Il n’y a plus qu’en France où cette contrevérité d’une trahison soviétique continue d’exister [1]. Les archives sont là et démontrent l’organisation de fausses négociations à Moscou, avec une délégation franco-britannique conduite par des seconds couteaux dépourvus de mandat.
Néanmoins avec un acharnement d’une mauvaise foi effroyable, des prétendus historiens continuent sans relâche de déverser des contrevérités sur les plateaux d’une télévision aux ordres, quand elle n’est pas issue de l’ordre noir, dans des « documentaires » ineptes pour farcir de mensonges le crâne des spectateurs.
L’histoire est un champ de bataille idéologique, comme rarement lorsque l’on constate autant de manipulations constantes, soutenues par les pouvoirs publics. Cela va de la réhabilitation de la ci-devant Marie-Antoinette à celle de collaborateurs pétainistes, en passant par des encensements d’un Thiers (prénommé Adolf, pardon Adolphe, c’était presque prémonitoire) qui outre liquider dans une mer de sang la Commune de Paris n’aura rien fait d’autre que pactiser avec l’ennemi, vendre la France à Bismarck, rétablir un soi-disant ordre moral d’une république qui se vautre dans la compromission et dans les pires abus.
Et voilà que ces jours-ci Guillaume Tabard, le rédacteur en chef du Figaro, ressort l’histoire, réelle, de la tentative de reparution de l’Humanité en juillet 1940 dans une émission de télévision [2]. Rappelons que le PCF a été interdit le 26 septembre 1939, toujours par Daladier. Que depuis ses militants sont emprisonnés, pourchassés et que la direction du Parti est clandestine, ce qui, vous en conviendrez, ne facilite pas la réflexion collective et les bonnes prises de décisions, qui plus est dans les jours qui suivent le chaos de la débâcle [3]. Alors puisque les autorités d’occupation décident d’autoriser la presse française à reparaître, profitons-en ! Oui, c’est une erreur. Mais ce n’est pas une infamie de tenter de reparaître alors que d’autres titres se coucheront devant l’occupant et véhiculeront (déjà) les mensonges nazis et de Vichy. Parce que la presse collaborationniste est une réalité. Cette presse qui va se faire aussi l’étendard de la politique anti juive décrétée par Pétain anticipant les ordres de Berlin, une presse qui raillera la résistance, qui insultera les victimes de la répression. Oui cette presse a existé et il n’y a pas lieu d’en être fier. Mais ce sont justement les vestiges de cette littérature de kiosque qui dénoncent la tentative malheureuse de Duclos, poursuivi et harcelé par la police française et par les occupants !
Le journal de Guillaume Tabard, Le Figaro, lui est bien paru jusqu’en novembre 1942. Certes son cas est complexe. Allons-nous le mettre dans le même panier que d’autres ? Certainement pas. Rappelons néanmoins que devant l’invasion allemande, il s’exilera en à Bordeaux avec le gouvernement, puis ira à Clermont-Ferrand pour atterrir in fine à Lyon. Pétain le finance, pour sa reparution, de plusieurs millions de francs. Le Figaro s’évertue à garder une ligne d’apparence mesurée. Mais il fait allégeance à Pétain : le 19 décembre 1940, Pierre Brisson rédacteur en chef d’alors, un ancêtre de Tabard d’aujourd’hui, proclamait son soutien au chef qui avait débarrassé la France de ses politiciens, en consacrant la totalité de la quatrième page du journal à « L’œuvre politique économique et sociale du maréchal Pétain » :
Le 17 juin 1940, le Maréchal Pétain prenait le pouvoir. Nous avons jugé utile de dresser dans ce tableau la nomenclature des réformes accomplies depuis six mois sous son inspiration. Elles sont profondes. Certaines d’entre elles sont capitales. Toutes s’inspirent du sentiment réaliste des nécessités. Elles attestent une volonté d’assainissement et de relèvement moral dont la vigueur reste digne des épreuves les plus décisives de notre histoire.
Au titre des succès des réformes indiquons la loi du 3 octobre 1940 portant Statut des Juifs. Notons également dans les colonnes économiques de l’époque, le martelage contre « le capitalisme hébraïque ». Le Figaro n’est pas au-dessus de la mêlée, il fait corps avec la doxa fasciste. En novembre 1942 avec l’invasion de la zone sud par l’Allemagne la direction du journal décide la cessation de sa parution. À la différence de l’Humanité qui parait dans la clandestinité, le Figaro se tait. N’oublions pas que dans ces heures noires, seule la presse communiste clandestine réussit à donner une information non censurée à la nation. Que ses militants qui la diffusent le paieront cher, que des familles seront anéanties dans les camps de la mort pour avoir osé glisser sous une porte ou dans une boîte le journal interdit. Voilà le courage, voilà la lutte, voilà l’engagement. Et enfin rappelons que c’est Louis Aragon qui au nom de la liberté de la presse, lui qui, dans la Résistance, avait écrit, animé et diffusé les Lettres française clandestines, défendit le Figaro à la libération pour sa reparution.
Alors monsieur Tabard, vous qui taisez ces vérités, un peu d’honneur monsieur, un peu de dignité, un peu de hauteur, sinon taisez-vous !
9 juillet 2025
Philippe Pivion est l’auteur de La fête est finie, roman historique dont l’action se déroule en 1939, qui vient d’être publié aux éditions Le temps des cerises.
https://lafauteadiderot.net/La-fete-est-finie-L-annee-1939-revisitee
[1] Lire par exemple L’entente Chamberlain Hitler
[2] Guillaume Tabard voulait ainsi riposter à Ian Brossat. Celui-ci avait mis en cause Le figaro Magazine qui dans sa une soulignait que les Français étaient de ceux qui payaient le moins d’impôts dans un dossier à charge contre les retraites. Brossat avait dit : « Les publications de ce type, qui bénéficient d’aides publiques grâce à vos impôts, et qui incitent à la désertion fiscale au moment où l’État cherche des recettes, devraient être purement et simplement interdites ». Cela a suffi pour que Guillaume Tabard rédacteur en chef et éditorialiste du Figaro déclare : « Un communiste prétend interdire un titre de presse quand on se souvient que pendant l’Occupation, le parti communiste avait négocié avec les autorités allemandes la parution de l’Humanité. »
[3] Signalons qu’au même moment tous les partis participent au gouvernement Pétain, même Léon Blum ayant accepté qu’il y ait 2 ministres socialistes.