Le 11 Novembre 2021 le comité central du Parti communiste Chinois, le PCC, lors du 6ème plenum du 19ème congrès a publié une « Résolution sur les réalisations majeures et le bilan historique des cent années de lutte du parti ». En cent ans ce texte est le 3ème texte officiel seulement concernant l’histoire du PCC.
Il succède à celui de 1945 qui consacrait la ligne politique proposée par Mao Zedong à la veille de la victoire de la révolution chinoise, et à celui de 1981 orienté par Deng Tsiao Ping à l’issue de la révolution culturelle qui promouvait l’ère « de la réforme ». Il est utile de s’y intéresser car il est aussi une prospective pour les 100 ans à venir. Il s’agit de la position du principal parti qui se veut communiste dans le monde, et à ce titre tous les communistes sont concernés. Il s’agit aussi du parti qui pilote l’économie, la société, la politique de ce qui sera bientôt la première puissance mondiale, donc en tant que citoyens de pays occidentaux nous sommes aussi impactés par les orientations prises. Ci-dessous quelques observations sur ce texte en tant que communiste et en tant qu’occidental. Les numéros de pages renvoient à la traduction officielle des textes.
La Chine et nous, communistes.
Le texte de 48 pages est un peu en « langue de bois », grandiloquent, avec des répétitions, des généralités, des listes successives de priorités, « la triple représentation », « les quatre consciences », « la quadruple confiance en soi », le « Plan global en 5 axes », « les quatre intégralités » « Les dix grands rapports » « la division en 3 mondes », un nombre divers de « priorité des priorités » (P23 c’est l’agriculture), etc… L’ensemble parait lourd même si le texte n’oublie pas de critiquer « les discours creux » ! Par ailleurs il n’est pas à une contradiction près : « la révolution socialiste… fruit d’un effort titanesque réalisé sans aide extérieure » et plus loin « les salves de la Révolution d’Octobre ont apporté à la Chine le marxisme-léninisme » P3. Si on est loin de « l’analyse concrète d’une situation concrète », on arrive cependant ici et là à distinguer le réel sous les généralités.
Les explications de Xi Jinping
La Résolution est appuyée par une lettre additionnelle, « discours explicatif » de Xi Jinping. On peut penser que Xi a pourtant déjà eu un rôle décisif aussi dans l’écriture de la Résolution. Ce « discours explicatif » additionnel tente de structurer la lecture du texte principal, preuve supplémentaire que ce dernier n’est pas limpide. Cette explication elle-même est longue (9 pages), confuse, générale. Elle contient les mêmes répétitions, ce qui rend l’ensemble un peu bancal. Visiblement Xi Jinping n’est pas encore au niveau de Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao ! Beaucoup moins concret et facile à lire !
La justification de ce texte additionnel est sans doute la volonté de mettre en avant Xi Jinping dans le cadre du renouvellement des 7 membres du comité permanent du PCC qui seront désignés lors du 20ème congrès à l’automne 2022. Le Congrès précédent en 2017 avait remplacé tous les autres membres du comité permanent, à l’exception de Xi Jinping et du premier ministre Li Keqiang. Zhang Gaoli, le 7ème membre, accusé de viol récemment par la joueuse de tennis Peng Shuai avait été débarqué à cette occasion. A noter que depuis Mao il n’y a plus aucune femme au niveau du comité permanent, et une seule (Sun Chunlan) au bureau politique qui comprend 25 personnes. Manifestation que même si « l’égalité homme-femme est proclamée » P6, le caractère encore patriarcal de la société chinoise se reflète aussi dans le PCC.
L’absence d’analyse de classe
Ce qui frappe d’emblée dans cette Résolution « historique » c’est l’absence d’analyse de classe. On ne saura pas comment a évolué au cours de ces 100 ans la structure de la société chinoise. Comment est-elle constituée aujourd’hui ? quelles sont les différentes catégories socio professionnelles ? Leur nombre ? Leurs rapports entre elles ? Seul le peuple existe, le peuple chinois multi ethnique. Tous les termes de l’analyse de classe sont remplacés par des termes génériques comme « peuple », « population », « public » etc… qui font penser à la façon dont les dirigeants des pays capitalistes s’expriment eux aussi dans leurs rapports avec leur « population ». Le texte ne connait ni le terme de « prolétaire », ni celui de « lutte de classe », si ce n’est une seule fois, et c’est pour dire que cette dernière, en tout cas en Chine n’existe plus, P9. On apprend qu’il a été mis « un point final … à l’exploitation des travailleurs » P5. C’est pourquoi « Le parti ne (représente) aucune classe privilégiée » P42.
Donc seul le peuple, « multi ethnique », et indifférencié existe en Chine. Le problème est que tout le monde, partout, fait référence au peuple : les réactionnaires, les sociaux-démocrates, les populistes, les fascistes, etc. Si on ne caractérise pas le peuple, cela ne dit rien du caractère communiste ou non des propositions faites.
La seule indication concrète des objectifs du PCC concernant la société chinoise est P31 : « Nous nous sommes efforcés … en élevant régulièrement la part des personnes à revenus moyens dans l’ensemble de la population, de manière à faire émerger la structure de répartition des revenus en forme de ballon de rugby ». Autrement dit une petite couche de riches, une petite couche de pauvres, et entre eux une grosse classe moyenne. Cela fait écho à la glorification des classes moyennes proclamées et fantasmées par les idéologues et experts du système capitaliste, pour qui il est nécessaire d’exagérer leur importance afin de réduire celle de la classe ouvrière (voir Jacques Lancier « L’irruption des prolétaires » 2021, aux éditions Manifeste !).
En fait chacun sait que dans l’organisation des chaines de production du capitalisme mondial la Chine est « l’atelier du monde ». La composante essentielle de la société chinoise est ouvrière. 25 % des prolétaires dans le monde sont en Chine (15 % en Inde). Par ailleurs les très riches chinois sont connus, de Jack Ma le patron d’Alibaba à Zhang Yiming le patron de TikTok : le nombre de milliardaires en Chine a doublé en 2021, soit 626, plus très éloigné des 724 milliardaires américains. L’existence d’une techno structure dirigeante est aussi connue : fut un temps où les 25 membres du bureau politique étaient tous ingénieurs et cela ne semble pas avoir beaucoup changé aujourd’hui.
La condamnation de Mao
La Résolution commence par l’histoire du mouvement communiste chinois. Ce dernier, de fait, constitue une bonne part de l’histoire du communisme mondial dans la seconde moitié du 20ème siècle. Cette histoire « du Parti est scellée définitivement » nous dit on P11. Un brin présomptueux ! Osons cependant la desceller un peu immédiatement ! Cette histoire est bien sur imprégnée de la vision « sans classe » vue ci-dessus : La Résolution valide la ligne de Mao Zedong jusqu’au « grand bond en avant » de 1958, mais en excluant ce dernier. Mao est accusé de n’avoir pas suivi les directives du 8ème congrès de 1956 qui auraient indiqué : « La contradiction principale en Chine n’est plus l’opposition entre la classe ouvrière et la bourgeoisie, mais le décalage entre l’aspiration populaire au développement rapide de l’économie et de la culture et l’impossibilité de la satisfaire immédiatement. » P7. Au final le rôle de Mao et du PCC n’est positif que dans la lutte contre le féodalisme, l’invasion japonaise, la lutte antifasciste, l’impérialisme, en particulier américain lors de la guerre de Corée. Toutes ces luttes ont exigé une stratégie de Front uni, alliant différentes classes, essentiellement les ouvriers et les paysans, mais aussi la bourgeoisie nationale. « Les erreurs théoriques et pratiques du camarade Mao Zedong en matière de lutte des classes dans la société socialiste » P8, sont stigmatisées, en particulier « le désastre de la révolution culturelle » P9. Autrement dit le rôle de Mao et du PCC n’est positif qu’en tant que menant la lutte de libération nationale. Continuant son parcours historique la Résolution indique que dans les années 90 « L’Union soviétique se désagrège ». Point. Un peu court quand on prétend faire une histoire du PCC dont on sait que les rapports avec l’Union soviétique ont été complexes et conflictuels ! Aucune des raisons d’un effondrement de cette ampleur, de cette défaite majeure du mouvement ouvrier n’est recherchée. C’est pourtant ce que Mao avait pressenti et tenté de contrer avec le « grand bond en avant » et encore plus avec la « révolution culturelle » de 1966.
On comprend et admet que « grand bond en avant » et « révolution culturelle » ont été des échecs. Menées du sommet de l’état, on perçoit leur caractère volontariste. Ces échecs, à l’échelle de la Chine et des périodes historiques concernées ont généré des catastrophes et des milliers de victimes. Mais toute lutte qui n’aboutit pas au succès n’en est pas pour autant condamnable. Cette lutte peut contenir la solution qui sera nécessaire demain. Car le problème que tentait de résoudre Mao dans ces luttes reste entier : comment faire pour que la bourgeoisie ne reprenne pas le pouvoir au sein même de la société socialiste ? Cette reprise de pouvoir par la bourgeoisie comporte aussi ses catastrophes et ses victimes. La question s’est posée avec l’effondrement de l’URSS, elle se pose aujourd’hui et se posera encore longtemps, pas seulement pour la Chine. Même victorieux au final le capitalisme aussi a connu des retours de bâtons face au féodalisme. Il n’y a aucune raison de penser que le passage au socialisme se fasse de façon linéaire, sans à-coups et sans retours en arrière.
La raison essentielle de ces échecs des révolutions socialistes tient au niveau encore faible du développement des forces productives à chacune de ces époques, et de la situation des classes qui en découlait. Plus précisément ces révolutions socialistes « primaires » se sont déroulées avec une classe ouvrière partout très minoritaire, dans un environnement encore avant tout agricole, paysan, féodal. Qu’en était-il de la Chine au moment du grand bond en avant ? lors de la révolution culturelle ? aujourd’hui ? La Résolution n’aborde pas la question. Chen Yun, l’un des 8 « immortels » du PCC, ancien vice-président du parti et économiste, écrivait en 1979 [1] que la Chine était encore à 80% paysanne.
Avec le recul il est probable que la révolution culturelle apparaitra comme une des révolutions socialistes, qui a échoué certes, mais comme avant elle la Commune de Paris ou la Révolution de 1917. Échec dont il faudra aussi tirer les leçons en ne perdant pas de vue qu’elle aura été une tentative de poursuivre la lutte vers une société communiste : résolution de la contradiction travail manuel / intellectuel, élites / base, hommes / femmes etc...
L’approbation de Deng Tsiao Ping
Le diagnostic de Deng, approuvé par la Résolution, a été de constater la nécessité de développer les forces productives capitalistes et pour cela de faire alliance avec la bourgeoisie, non seulement nationale, mais internationale, afin de faire bénéficier la société chinoise des derniers développements des sciences et techniques du capitalisme. Il est vrai que Mao lui-même semble se rendre compte de l’impasse de la révolution culturelle : il écarte « la bande des quatre » et fait revenir Deng en 1976. Il semble n’y avoir eu aucune tentative de la part des travailleurs de défendre « la bande des quatre » qui dirigeait la révolution culturelle, preuve de son isolement et de son aventurisme. « En décembre 1978, le 3e plénum du XIe Comité central du Parti a catégoriquement mis fin à « l’axe de la lutte de classes » nous dit la Résolution P9. Notons que cette idée de développer préalablement les forces productives avant de prétendre pouvoir faire la révolution socialiste était défendue par les Mencheviks contre les Bolcheviks avant 1917 en URSS. Lénine faisait cependant écho à cette difficulté en écrivant que « La transition du capitalisme au socialisme sera d’autant plus difficile que le pays est arriéré » là où Mao écrit à l’inverse « En fait la transition est d’autant moins difficile que l’économie est arriérée » [2]. Avec Deng c’est l’idée du retard des forces productives qui l’emporte et la nécessité de « la réforme ». Lin Chun l’une des économistes qui a préparé les conditions économiques de la réforme de Deng indique en 2015 que la notion « d’étape primaire du socialisme … a pavé la voie au retour graduel de la Chine au capitalisme » (dans « How China… » ouvrage cité). La Résolution n’arrête pas de rappeler que la Chine en est à « l’étape primaire du socialisme » P10, 46 etc.
Ensuite c’est le succès économique que l’on sait, qui a fait de la Chine la seconde puissance mondiale, avant sans doute qu’elle n’en devienne la première. Ce qui est somme toute normal puisque c’est le pays le plus peuplé. La part de la Chine dans le PIB mondial était de 30% en 1820, il était tombé à 5% en 1950 et est remonté à près de 20% aujourd’hui. D’avoir sorti une fraction aussi importante de l’humanité de la pauvreté et des famines est effectivement un fabuleux succès du PCC. Il ne faudrait cependant pas croire que l’économie chinoise d’avant « l’ère de la réforme » de Deng était en échec : Le premier rapport de la banque mondiale sur la Chine en 1983 indique déjà sous la plume de son principal économiste, Adrian Wood : « les 30 à 40 années du développement de la Chine ont été un succès remarquable. »
« Comment la Chine a échappé à la thérapie du choc ? »
Tout en rejoignant l’organisation générale du capitalisme mondial, et l’OMC en 2001, la Chine a su échapper au Big bang, à la « thérapie du choc » des différentes « troïkas » de la finance mondiale, thérapie qui a fait s’écrouler les économies de l’ex URSS et de nombreux pays émergents. Dans l’ouvrage cité, « How China… » Isabella M. Weber étudie en détail auprès des acteurs des réformes économiques de Deng comment la Chine a su « introduire la main invisible (du marché) sous la direction de la main visible (de l’état). » et a fait passer la Chine comme le dit la Résolution P11 « d’un régime d’économie planifiée hautement centralisé à un régime d’économie de marché socialiste plein de dynamisme, et d’un état de fermeture ou semi-fermeture à une ouverture tous azimuts ».
La Résolution se félicite P23 à juste titre que la Chine ait dépassé un « PIB par habitant de 10 000 dollars américains » et ait établi une « société de moyenne aisance » (répété 11 fois dans le texte). Elles se réjouit également que « Le plus grand système de protection sociale du monde a été mis en place, si bien que 1,02 milliard de personnes sont couvertes par l’assurance vieillesse de base et 1,36 milliard de personnes, par l’assurance médicale de base. » P32. Ce pourrait être les effets d’une politique sociale-démocrate, mais finalement donc, sans qu’elles soient explicitement énoncées, des idées communistes de base progressent souterrainement, même en Chine !
La Résolution célèbre aussi « l’esprit d’entreprise et l’innovation » P44. Ça semble être, sans que cela soit dit explicitement, une des leçons tirées de l’effondrement de l’URSS. On peut effectivement s’inspirer des développements positifs du capitalisme qui a prouvé dans son élargissement au monde, comme dans sa confrontation avec la première expérience socialiste durable, l’Union soviétique, qu’il recelait encore des ressources insoupçonnées. Lénine s’inspirait du fordisme, l’organisation capitaliste la plus efficiente de son époque. Promouvoir l’esprit d’entreprise et l’innovation répond à une des lacunes de l’expérience soviétique, il est donc positif que le PCC le mette en avant. Il se trouve là aussi en phase avec les théoriciens capitalistes obligés, face aux échecs, d’écarter les thèses des économistes Hayek ou Friedman et de ressusciter Keynes et Schumpeter, les promoteurs des entrepreneurs créatifs. A noter que Friedman aussi avait été sollicité par les équipes de Deng, mais ses thèses furent heureusement finalement écartées pour la Chine. Promouvoir « l’esprit d’entreprise et l’innovation » c’est bien, mais la résolution ne va pas jusqu’à en tirer pleinement les leçons sur la pleine nécessité pour ce faire, de l’état de droit, des principes démocratiques et des libertés individuelles. Acquis auxquels ont gouté les travailleurs des pays impérialistes comme des fruits, partagés (un peu) de l’accumulation des richesses en occident. Or ces acquis démocratiques sont aujourd’hui remis en cause en occident par la crise capitaliste : monopolisation des médias traditionnels comme des plateformes numériques par une poignée d’oligarques, élections biaisées, montée de « l’illibéralisme » etc. Il devient nécessaire que le communisme prenne le relai de l’approfondissement des libertés, y compris individuelles. De ce point de vue la Chine ne peut être un modèle et ne peut servir d’exemple aux travailleurs du monde entier, en particulier aux travailleurs occidentaux.
Néanmoins un système économico-politique nouveau, un marché dirigé par un parti qui se veut communiste, émerge et semble inspirer de nombreux pays du tiers monde. Il est tout à fait passionnant et utile pour le monde entier d’étudier l’évolution de ce système.
Lorsque la Résolution se félicite d’« Un ordre public préservé, une population qui coule une existence paisible et laborieuse : la stabilité, voilà le miracle social chinois. » P32 n’est-ce pas aussi le genre de miracle espéré par tout capitaliste ?
Pourquoi la techno structure qui dirige la Chine a-t-elle encore besoin de la référence au Marxisme ? L’explication occidentale est que le PCC impose le communisme aux chinois. Ne serait ce pas l’inverse ? Pour que le pouvoir soit légitime aux yeux des travailleurs chinois, ne faut-il pas la référence au communisme ?
Les pays du tiers monde, et en premier lieu l’Inde, seront-ils capables de se sortir de la pauvreté sans un parti communiste ? Pour l’instant, sous les contraintes des structures léonines de l’organisation impérialiste de la production, seuls de petits pays comme Singapour où la Corée du Sud ont réussi à s’en sortir à l’aide des capitaux impérialistes.
« Le grand renouveau de la nation chinoise »
La Résolution nous indique : « La cause du parti et de l’état dans la nouvelle ère est la promotion du grand renouveau de la nation chinoise ». « La Chine se hissera au premier rang du monde en termes de puissance globale ». P45 Ce but est répété en insistant sur le renforcement du parti, de l’état voire même du « grand état » P39.
On comprend que célébrer la nation ait été nécessaire pour lutter contre le fascisme et l’invasion. En France aussi le mouvement communiste s’est allié à la bourgeoisie gaulliste et a brandi le drapeau tricolore face à l’envahisseur nazi. On comprend aussi que la nation ait été nécessaire pour lutter contre l’impérialisme, pour développer un minimum les forces productives, accumuler le capital de base et, bien que pays du tiers monde, finir par se libérer et émerger comme puissance rayonnante. Le capitalisme a eu besoin des nations dans son développement. Les nations ont remplacé les empires qui étaient des expressions du régime féodal. Mais lorsqu’on s’apprête à devenir la première puissance mondiale la situation change. Le nationalisme qui était positif peut, dans un contexte différent, se changer en son contraire. Il peut amener, par exemple lorsqu’il y a un différend avec la Lituanie (sur l’établissement d’une délégation de Taïwan à Vilnius), à traiter officiellement la Lituanie de « petit pays » …
Le fait que le PCC n’a toujours comme but que « le renouveau de la nation chinoise », et « rendre l’état plus puissant », buts déjà atteints, n’apparait pas comme une contribution décisive à la lutte des travailleurs partout ailleurs dans le monde. Il pourrait même faire écho aux dérives nationalistes et identitaires qui pointent dans les pays capitalistes occidentaux. Lorsque la position de classe n’est plus à la base des analyses et de l’engagement les risques de chauvinisme ne sont pas loin.
A ce sujet il y a ce que dit la Résolution et aussi ce qu’elle n’aborde pas. Aucune lutte de classe n’est mentionnée dans le monde. Les gilets jaunes entre autres nous ont pourtant (ré) appris que même dans un pays développé comme la France ça existe ! La résolution n’adresse pas le problème principal aujourd’hui dans le monde : proposer une alternative réaliste aux impasses du capitalisme, que sont les inégalités, la faim, les guerres, les menaces écologiques. Comment faire face aux tentatives des capitalistes de rallier leurs travailleurs aux intérêts soi-disant nationaux ? Comment les empêcher d’entrainer les travailleurs dans des conflits dont ces derniers seraient les premières victimes ? Face à ces risques, seuls le communisme et l’internationalisme semble être à la hauteur. D’autant plus que, ce que ne pointe pas non plus la Résolution, pour la première fois dans l’histoire les prolétaires sont majoritaires dans la population active dans le monde. Ce qui devrait faire se poser la question décisive : comment trouver les conditions de l’unité entre les prolétaires du Sud et du Nord ?
Le Parti et l’Etat
Les outils du « renouveau de la nation chinoise » sont donc selon la résolution, l’état et le parti. Etat qu’il est nécessaire de rendre toujours plus puissant. L’objectif communiste du dépérissement de l’état n’est visiblement pas à l’horizon. Dans cet objectif il est « impératif de diriger le Parti d’une main de fer » P13. Xi Jinping indique dans sa lettre explicative P7 que la consolidation du parti, fort de près de 100 millions de membres est « une nouvelle et grande cause ». Pourquoi cette cause est-elle nouvelle ? Dès la deuxième page la Résolution nous indique : « il est nécessaire … de préserver absolument la position centrale du camarade Xi Jinping au sein du Comité central et du Parti ». Paradoxalement cette insistance, ces appuis répétés à Xi Jinping et à son équipe donnent plus une impression de faiblesse que de force. On y perçoit un manque de sérénité. Ça rappelle la méthode Coué. La Résolution insiste beaucoup sur « l’auto révolution du parti » P45 et la lutte contre la corruption, mentionnée 26 fois. « L’auto révolution » du parti est probablement un lointain écho des préoccupations de régénérescence du parti lors de la révolution culturelle lancée par Mao. La lutte contre la corruption est vraiment indispensable si l’on en croit tous les exemples qui affleurent dans l’actualité chinoise. Le problème est qu’aussi bien « l’auto révolution » du parti que la lutte anticorruption sont présentées comme des mouvements en eux-mêmes. Ils ne sont, contrairement à la révolution culturelle, pas des expressions de l’ensemble de la société chinoise, et encore moins de la lutte de classe puisque qu’elle est censée avoir disparue de la société chinoise. La lutte contre la corruption ne va pas jusqu’à la lutte contre les inégalités ! Elle peut ainsi apparaitre comme un prétexte utilisé par une équipe pour en éliminer une autre. Aussi nécessaire qu’elles soient, « auto révolution » et « lutte contre la corruption » sont amenées à être des luttes toujours à recommencer, hors sol, et au final non victorieuses. Faisant appel à une « morale » P12 non définie, elles ne s’inscrivent pas dans la lutte idéologique pour le communisme qui serait nécessaire pour leur donner consistance et sens.
La théorie révolutionnaire
Sur le plan théorique la Résolution indique comme but : « La sinisation du marxisme ». Curieux objectif ! Le marxisme a constitué la phase initiale de la théorie révolutionnaire au service des prolétaires. La théorie révolutionnaire s’est développée ensuite dans des circonstances très diverses, en relation avec les différentes luttes des prolétaires partout dans le monde. Mao par exemple, en lien avec son expérience de militant, et en faisant lui aussi « l’analyse concrète de la situation concrète » en Chine, a beaucoup apporté à la théorie révolutionnaire. A moins d’appeler marxisme l’ensemble de la théorie révolutionnaire il n’y a aucune raison de le « siniser » ni même d’ailleurs d’y « revenir ». Il faut simplement, partout, continuer à faire les analyses concrètes des situations concrètes au service du peuple travailleur. « Siniser le marxisme » reviendrait à nationaliser l’internationalisme ! Pas tout à fait dans le prolongement de l’injonction de Marx : « Prolétaires de tous les pays unissez-vous ! ».
Si le PCC se félicite d’avoir des relations avec plus de 500 organisations politiques dans le monde, on a compris qu’il ne sera pas un guide pour les communistes. La nation, et l’alliance des nations, son seul horizon, ne peut pas être l’horizon des luttes des travailleurs dans les différentes régions du monde. Cependant, si Xi Jinping ne semble pas être le grand théoricien révolutionnaire pour l’émancipation du prolétariat mondial, il n’en reste pas moins l’important chef d’état de la nation la plus peuplée des pays émergents.
La Chine et nous, occidentaux
A ce titre la Chine joue un rôle positif en particulier d’exemple et d’aide à l’égard des pays du tiers monde, émergents ou non. Lors de la COP26 la Chine a soutenu l’Inde pour faire prendre en compte la nécessité pour les pays émergents de continuer à se développer (une modification du communiqué final à propos de l’utilisation du charbon). Ce que le premier ministre Indien Modi appelle « la justice climatique ». La Chine constitue pratiquement la seule alternative pour les pays soumis au criminel blocus occidental mené par les Etats unis, Corée, Iran, Venezuela, Cuba.
De même la Chine est aujourd’hui presque la seule à prêter de l’argent aux pays africains. Dans le contexte de rivalités accrues avec la Chine, la propagande transforme ce fait, comme beaucoup d’autres, en critique de la Chine. Elle est vue comme empiétant sur une Afrique qui devrait rester la chasse gardée de l’occident et en particulier de la France. De même les discours sur la Chine achetant l’Europe ne résistent pas aux faits : l’année dernière les IDE (Investissements Directs Étrangers) de la Chine dans le monde ont été de 133 milliards de $ (preuve de la politique « agressive de la Chine »). La même année les IDE du monde (européens et américains essentiellement) en Chine sont de 163 milliards de $ (dans ce sens c’est une somme dont a « bénéficié la Chine » !). Les IDE de l’Europe vers le monde sont de près de 200 milliards de $. Et encore la Covid a changé les classements, car en 2019 l’Allemagne à elle seule investissait plus que la Chine dans le monde. Dans ce conflit entre impérialistes et pays émergents il faut résister à la propagande anti chinoise, qui dans une publication comme Le Monde par exemple, est pratiquement quotidienne. La défense des droits de l’homme est utilisée pour justifier d’amputer la Chine de Taïwan, Hong Kong, Macao, le Tibet ou le Sinkiang. Les îles et ilots de mer de Chine devraient trouver une solution dans le cadre des règles internationales. La Résolution insiste sur « la paix et le développement » P13 et la « promesse solennelle est faite au monde entier de ne jamais tendre à l’hégémonie » P7. Lorsqu’il est question de préparation militaire c’est « en mettant l’accent sur l’entraînement en vue de remporter une guerre locale » P12. Cette notion rappelle l’enseignement de Mao de « se battre à l’intérieur des lignes », de façon à prouver son bon droit et à bénéficier du plus grand support populaire possible. C’est d’ailleurs ce qui se passe aujourd’hui où les frictions avec les navires de guerre américains ou français ont lieu en mer de Chine et non en Méditerranée, au large de la Bretagne ou dans les Caraïbes. Malgré le nombre de publications américaines préparant, au-delà de la guerre commerciale, à des conflits ouverts avec la Chine, la réalité du monde capitaliste est que les IDE américains vers la Chine ont cru de plus de 20% en 2021 ! Avec les affaires à faire en Chine, la cupidité l’emporte. « Les capitalistes nous vendront la corde pour les pendre » disait Lénine.
Pas un modèle, mais un partenaire,
Les positions du PCC aujourd’hui exprimées dans la Résolution reflètent la nécessité qu’a ressenti la société chinoise à passer par une phase de capitalisme, « la réforme » de Deng Tsiao Ping, poursuivie par Xi Jinping. Elle correspond à l’évolution d’un pays pauvre du tiers monde, obligé d’en passer par là pour se soustraire aux pressions impérialistes, à la pauvreté féodale, à la nécessité d’accumuler le capital productif et les ressources scientifiques et techniques développées par le capitalisme. Force est de constater le succès ! chapeau ! une grande part de l’humanité est sortie ainsi de la misère et des famines. Il n’y a dans le monde aucun autre succès de cette ampleur. La réalité s’impose.
En même temps la voie capitaliste a apporté en interne son lot d’inégalités, et à l’extérieur des comportements ressemblant aux comportements impérialistes, comme ces entreprises chinoises en Afrique avec cadres chinois expatriés bien payés et personnel africain sous payé.
La résolution semble poursuivre simplement la période passée et n’avoir toujours pour but que la libération nationale. Or le développement du capitalisme, dont la Chine a été un des moteurs puissants ces dernières décennies, a changé la situation, pour la Chine qui devenu un pays puissant peut prendre le travers des grandes puissances, et aussi pour l’ensemble du monde : presque partout les prolétaires sont devenus majoritaires. Chacun peut constater que, contrairement à ce qu’indique la Résolution, la lutte de classe se poursuit partout dans le monde, y compris en Chine. Qu’elle concerne les 99%, constitués des prolétaires et des classes moyennes, face aux 1%. L’horizon des luttes est donc l’union des prolétaires, la révolution socialiste, l’internationalisme, pas l’union illusoire des nationalismes.
La direction du PCC actuelle représente l’alliance de classe, bourgeoisie nationale et travailleurs, autour du renforcement de la nation chinoise. Faisant écho à la crise identitaire qui traverse tous les pays du monde elle nous prouve que nous sommes bien dans le même monde ! Mais elle ne peut pas être un guide vers la révolution socialiste. Il est probable, compte tenu de son histoire, qu’à l’intérieur comme à l’extérieur du PCC des discussions se poursuivent pour adopter une ligne révolutionnaire adaptée à la nouvelle époque. Il faudra continuer à être attentif à la situation en Chine. En attendant la Résolution approuvée le 11 Novembre dernier par la direction actuelle du PCC n’indique pas cette direction.
Si la Chine peut être un modèle pour les pays du tiers monde encore soumis au diktat impérialiste, elle ne peut l’être pour les travailleurs des pays occidentaux. Il n’en reste pas moins que les travailleurs occidentaux doivent considérer la Chine, comme l’ensemble des pays émergents, où se trouvent la grande majorité des travailleurs, comme des partenaires dans la lutte contre le capitalisme. Ceci indépendamment des régimes politiques de ces pays. Ceci vaut aussi pour l’Inde par exemple, pourtant dirigée par un réactionnaire comme Modi.
Jacques Lancier a publié aux éditions Manifeste L’Irruption des prolétaires, paru le 7 septembre 2021