Le Sommet de Lisbonne de l’Alliance atlantique fin 2010 fut l’occasion pour Nicolas Sarkozy de réaffirmer devant ses pairs le retour - à l’exception de la partie nucléaire - de la France, dans les structures militaires intégrées de l’OTAN. Au-delà du coup porté à la souveraineté de la France en lui interdisant de défendre une politique étrangère autonome, c’est aussi la perte d’une posture symbolisant aux yeux du monde entier une originalité incitant à attendre d’elle d’avantage que d’autres pays occidentaux. Préoccupante, cette décision intervient dans une phase nouvelle de l’Alliance privilégiant des actions de caractère offensif. C’est indéniablement une remise en cause de la politique traditionnelle jusque lors suivie par la France. La posture originale adoptée en 1966 n’est plus qu’un lointain souvenir.
Le positionnement de 1966
Le 7 mars 1966 le général De Gaulle écrivait à son homologue américain, Johnson, pour l’informer de la décision de la France de quitter les structures militaires intégrées de l’OTAN [1]. La France, sans se retirer de l’OTAN, désirait recouvrir une pleine indépendance vis-à-vis du commandement militaire exercé par les Etats-Unis. Dans ses propos, on retiendra notamment celui-ci, résumant parfaitement la situation « Je ne veux pas que nous soyons entraînés dans une guerre contraire à nos intérêts ». Ce retrait eut à l’époque un grand retentissement, car pour la première fois depuis la création du système atlantique un pays européen défiait le leadership américain. Comment expliquer ce revirement aujourd’hui ?
A l’examen, les arguments avancés pour cette réintégration, à la hussarde, apparaissent peu crédibles. Il ne s’agirait dit-on que d’un retour purement formel, car la France n’aurait jamais complètement quitté les organes militaires. Une appréciation d’autant plus discutable qu’elle est contredite par Nicolas Sarkozy lui-même, lequel évoque un changement radical, une rupture. Certes depuis 1966 les dirigeants français ont plus ou moins flirté avec la politique otanienne. Toutefois à de multiples occasions ils ont manifesté des réserves, émis des divergences. On a pu notamment le constater lors du discours prononcé à l’ONU, le 14 février 2003, concernant la crise irakienne, par Dominique de Villepin, alors ministre des affaires étrangères. Un autre argument consiste à affirmer que cette réintégration permettra de rééquilibrer la direction de l’OTAN. C’est prétentieux et utopique, car on sait que depuis l’origine les Américains n’envisagent pas de co-direction possible d’une organisation considérée comme un instrument de leur influence. On a pu en juger, en particulier, lors de la demande française d’obtenir le commandement sud, basé à Naples. Les Etats-Unis s’y sont opposés très fermement, car un tel commandement, contrôlant la Méditerranée ne pouvait échoir qu’à un Américain. On ne voit guère pourquoi le retour de la France dans le commandement militaire serait susceptible de modifier une telle attitude. On dit aussi que ce retour permettra de relancer une défense européenne autonome. C’est un leurre, car si la défense européenne est dans les limbes, ce n’est pas dû à l’absence de la France dans le commandement militaire de l’OTAN. Les Américains y sont hostiles, et la quasi-totalité des pays européens n’en sont pas demandeurs. Dans de telles conditions il est difficile d’envisager une autonomie de défense. Les obstacles qui se dressent devant un pilier européen au sein de l’Alliance sont de même nature. Les Européens ne peuvent prétendre, dans une relative autonomie, qu’à des activités périphériques ou marginales pour lesquelles les Américains ne souhaiteraient pas s’investir. Ces arguties sont bien loin d’être convaincantes. Alors, quelles sont les raisons profondes de cette réintégration, mettant en cause la posture de défense indépendante et la souveraineté de la France ?
Une dérive atlantique
Ces raisons sont à rattacher à l’évolution de l’OTAN. A la charnière des années 80-90, la fin du schéma bipolaire aurait dû logiquement sonner le glas de l’OTAN. Il n’en fut rien car sous incitation américaine, l’OTAN a pris des dispositions pour maintenir son existence. Au fil des sommets, laborieusement, une nouvelle OTAN s’est dessinée. Elle a accueilli des nouveaux membres issus de l’ex-Union Soviétique, du Pacte de Varsovie, des Balkans, et noué des partenariats avec d’autres pays du monde. Elle a affirmé une volonté d’intégrer dans l’Alliance toutes les « démocratie », comme, le Japon, La Nouvelle Zélande, la Corée du sud, l’Australie. Elle a ainsi élargi son champ géographique d’intervention et de compétence. Afin de pallier à la disparition de l’ennemi potentiel d’origine, elle s’est inventé des menaces dites nouvelles aux contours très incertains lui permettant une large base de manœuvre pour justifier des interventions tous azimuts dans différentes parties du globe. C’est cette orientation qui a été concrétisée lors du sommet de Lisbonne. Elle s’articule étroitement avec la politique définie par les Etats-Unis dans le nouvel environnement mondial. L’Europe comme telle a disparu de leur écran stratégique et leur regard se porte prioritairement sur d’autres régions du monde, en particulier l’Asie-Pacifique, avec une orientation qui n’est pas inédite. Bill Clinton l’évoquait dans les années 90, en des termes de « modelage » du monde. Cette orientation s’est maintenue quel que soit le locataire de la Maison Blanche. Mais le monde change et cette volonté de maintenir un leadership contesté dans une phase de relatif déclin de puissance, conduit naturellement à privilégier l’ingérence, le recours à la force. Les Etats-Unis ont donc de plus en plus intérêt à rechercher l’appui des alliés, comme l’illustre le cas afghan. Ainsi l’objectif qu’ils assignent à l’OTAN est, en quelque sorte, la légitimation de la militarisation de leur politique étrangère. Partant de ce double constat d’ingérence et de formatage se dessine une mission quasi messianique, confondant, en quelque sorte, Atlantisme et Occidentalisme. C’est à ce concept de « famille occidentale » que faisait allusion Nicolas Sarkozy en 2009. On a pu mesurer déjà la nocivité d’une telle orientation au travers des terribles errances de la puissance américaine, comme, en Irak, en Afghanistan. Qui peut dire aujourd’hui à quoi sera utilisée l’OTAN dans cinq ou dix ans. Des tentations extrêmes sont possibles. Or c’est le moment choisi par Nicolas Sarkozy pour faire le pari risqué de réembarquer la France dans une telle galère.
Les conséquences d’une telle posture
Par ambition politique Nicolas Sarkozy tend à engager la France en première ligne des interventions de l’OTAN, se plaçant ainsi sous les fourches caudines des Etats-Unis. Il pense que ce positionnement lui permettra de tenir un rang privilégié, quitte à boxer au dessus de sa catégorie. Des gages ont déjà été donnés avec l’engagement de 27 000 militaires français en différentes régions du monde, notamment, 4000 en Afghanistan, 4000 en Libye, 1350 au Liban, 900 en Côte d’Ivoire. C’est une démarche qui n’est pas sans conséquences humaines et financières, 70 soldats français ont été tués en Afghanistan. On notera un surcoût d’un milliard d’euros d’ici la fin 2011 pour les opérations extérieures françaises. Ces dépenses sont certes inférieures à celles des Etats-Unis qui pour l’Afghanistan seulement s’élèvent à 450 milliards de dollars. Mais elles sont largement supérieures à celles de nombreux pays européens.
Sans doute les conditions ne sont pas requises pour un retrait de la France de l’OTAN, mais il n’est pas impossible de revenir en arrière de cette réintégration, ce qui a été fait peut se défaire. Le positionnement de 1966 reste encore présent dans les mémoires. Certes nous ne sommes plus dans les mêmes conditions historiques, mais la démarche demeure pleinement valable car elle concerne la souveraineté nationale. L’opinion qui déjà manifeste le souhait de voir se terminer les exercices guerriers doit en être saisie pour une intervention en ce sens.
Une nouvelle orientation de la politique extérieure française s’impose, lui permettant de se dégager d’une conception purement militaire de la sécurité. Car ce n’est pas en prétendant s’inscrire dans les rapports de force qu’elle peut établir une réelle souveraineté nationale et un rayonnement dans le monde.
Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.
Jacques Le Dauphin est directeur de l’Institut de Documentation et de recherche sur la Paix, collaborateur de la revue Recherches Internationales
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