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La Russie, la France, la Sicile
La moisson de Jacques Barbarin en Avignon

La salle n° 6, 20h30, Théâtre de l’Essaïon, 33 rue de la Carreterie Avignon 04 90 25 63 48 jusqu’au 31 juillet.

Dans la solitude des champs de coton, Fabrik’Théâtre, 10, route de Lyon, impasse Favot 04 90 87 81 jusqu’au 31 juillet

Nunzio, Présence Pasteur, 15h30, 13, rue du Pont Trouca, Avignon, 04 32 74 18 54 jusqu’au 31 juillet.

Le choix est uniquement celui chronologique selon la date de visionnement des pièces.

Donc, la Russie avec une adaptation de La salle n°6, l’une des nouvelles les plus étranges et les plus sombres de Tchékhov.

La salle n° 6 est le pavillon des fous d’un hôpital de province. Il y a là cinq hommes. Moïsseïka, le plus ancien, inoffensif, est le seul qui a l’autorisation de sortir en ville. Gromov, qui a eu beaucoup de malheur dans sa jeunesse, de santé fragile, avait trouvé une place d’huissier, mais en proie à des délires de persécution, on avait ordonné son internement.

Le directeur de l’hôpital est le docteur Raguine. En poste depuis plusieurs années, il avait essayé à son arrivée de lutter contre la saleté, le vol des malades par le personnel, la corruption, mais devant l’ampleur de la tâche, son manque d’autorité et sa faible volonté, il a renoncé. Depuis, il n’assure que quelques visites par jour, passe ses journées à lire chez lui, tout en déplorant avec son ami Mikhaïl Avérianytch d’être coincé dans un trou perdu, sans personne d’intelligent à qui parler.

La mise en scène de Gérard Thébaut nous met tout de suite en situation, les rapports de force y sont bien dessinés. La Salle n° 6 est un diagnostic précis, clair et limpide de ce qu’est toute société : c’est surveiller et punir, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Foucault. Il y a bien sûr dans cette nouvelle une préfiguration de ce que sera le goulag, mais aussi un appel désespéré à ne pas baisser les bras, malgré les contingences : c’est cela qui va être fatal à Raguine.

La force de l’écriture de Tchekhov est qu’il présente des archétypes mais, si je puis dire, écrit avec de la chair. L’auteur se nourrit de la littérature russe : ainsi, l’un des aliénés prétend être décoré de l’ordre de Stanislas et vouloir la couronne de Suède, rappelant Le journal d’un fou.

Pour en revenir à la mise en scène, la scénographie, simplifiée, axe immédiatement sur les relations entre personnages, fait exister leurs relations, leurs conflits, ne les alourdit pas par un naturalisme de mauvais aloi. Un tel lieu de cauchemar ne peut qu’engendrer une scène de cauchemar… Je ne vous dis que ça…

La traduction est de Golchmann & Jaubert (1898), l’adaptation et la mise en scène sont de Gérard Thébault, avec Jean Claude Villette, Xavier Legat (charismatique Gromov), Gérard Thébault, Benoît Chazal et Michel Pallota (inquiétant Nikita, infirmier garde-chiourme)

Après avoir vu le spectacle dont je vais vous parler, je me suis dit : Bon. Tu peux repartir. Jamais tu ne verras un spectacle aussi intense. Et de spectacles, j’en vois. Une moyenne de cent par année. Mais là… Pour vous dire, en sortant, j’avais les jambes qui flageolaient et le teint livide. C’est une pièce qui demande une grande exigence et les comédiens l’ont eue, voire au-delà.

Il s’agit de Dans la solitude des champs de coton, Bernard Marie Koltès. Cette œuvre met en scène un dealer et un client, dans une situation de deal. Le dealer sait que le client désire - est dépendant de - quelque chose qu’il (le dealer) peut lui offrir. Il est cependant dépendant lui aussi du désir du client.

D’où l’analyse de Koltès sur les rapports commerciaux et le marché en général. Plus encore, le rapport humain en général est réduit à un marché entre deux protagonistes. L’auteur multiplie les couples d’opposition (dealer/client, homme/animal, mâle/femelle, blanc/noir…). À l’intérieur de ces couples, un seul rapport est possible : le deal. Le deal se fait alors matrice, tendeur de toute l’action de la pièce. Il sous-entend alors rapports de séduction, d’intimidation, de confrontations sourdes.

Mais tout cela, ce sont des mots : sur scène, c’était des corps, de la chair, de la voix. Corps, chair, voix, et rien d’autre : c’est là le décor. Suffit-il d’autre chose ? Oui. Les remarquables lumières de Jean – Gabriel Valot, autant d’instillations, la partition sonore de Jean-Christoff Camps, on est loin de la musique de scène.

Les échanges de la parole sont tendus comme un arc prêt à se rompre, on voit la vibration, on en est irradié. On ose même plus parler de la notion de « jeu » d’acteur, ce n’est pas un jeu, mais une nécessité. Cette nécessité monte en intensité, suivant, ou plutôt vivant le texte comme une partition. Ce classicisme de la déraison de vivre qu’est la langue de Koltès, les acteurs en font leur pain.

Les acteurs : Frédéric de Goldfiem, acteur rare. Son élégance à vivre la scène me fait douter qu’il puisse faire autre chose si le théâtre n’existait pas. Par bonheur, nous n’en sommes pas encore là.

Dans la partition de dealer, c’est Christophe Laparra. C’est lui le « proposant », et il est toujours dans la captation de l’attention du client. Les deux signent également la mise en scène.
Je n’ai pas vu La solitude… joué par Chéreau et Pascal Gregory, juste une captation télé. Mais là nous somme à niveau.

Quant à cette œuvre, elle a deux points communs avec la précédente, Dans la solitude… : C’est la même compagnie, le Théâtre de Paille et l’un des acteurs s’y retrouve, Christophe Lappara.

Spiro Scimone est l’un des meilleurs auteurs siciliens d’aujourd’hui. Il a commencé par écrire en dialecte sicilien (Nunzio, Bar) puis, dans ses œuvres plus récentes, il a choisi d’expérimenter une mélodie différente en optant pour l’italien.

Nunzio parle de la Sicile actuelle où plane l’ombre de la mafia, sans que jamais on ne la nomme, à travers l’histoire de deux amis qui partagent un appartement. Nunzio, de santé fragile, attend le retour de Pino, qui s’absente souvent, sans jamais rien lui demander. Où et comment gagne-t-il tant d’argent ? Quel travail fait-il ? Mystère...

Nunzio, est employé dans une usine chimique. Les deux partagent un modeste logement et veillent l’un sur l’autre. Entre deux avions, Pino rentre à la maison où Nunzio traîne en pyjama, sérieusement malade.

L’écriture de Scimone est celle d’un acteur qui entend écrire pour les acteurs : Mon écriture est une écriture d’acteur. D’acteur, parce que je suis un acteur et que l’acteur - l’humain - est l’essence du théâtre. Les mots sont réalistes mais l’écriture, par des répétitivités, des fantaisies, nous arrachent d’un hyperréalisme : nous sommes bien au théâtre, c’est-à-dire à un lieu où la parole nous sort définitivement du quotidiannisme (je sais, c’est un barbarisme, mais pouvez-vous vous attendre à quelque chose d’autre de la part de quelqu’un s’appelant Barbarin ?).

Il y a du Beckett dans ces deux petits personnages là : ils n’attendent pas Godot mais « quelque chose » dans laquelle ils ont désespérément foi et dans cette désespérance ils sont touchants. Chacun veut amener l’autre dans son rêve même si chacun sait, à sa manière, que c’est foutu.

Christophe Laparra, dans son rôle de « dur » essaie de masquer la compassion qu’il a pour son compagnon, Marc Maugin est un Nunzio déjà ailleurs. La scène où, autour d’un plat, ils portent un nombre infini de toasts, est emplie, entre autre par le jeu des acteurs, d’une fraternité que j’ai rarement vue au théâtre.

Ce spectacle a été joué dans des théâtres mais aussi en milieu rural, en appartements et dans des milieux urbains défavorisés, bref, là où le théâtre a du mal à faire entendre sa voix. Nunzio est une œuvre riche, sincère, authentique et riche.

La salle n° 6, 20h30, Théâtre de l’Essaïon, 33 rue de la Carreterie Avignon 04 90 25 63 48 jusqu’au 31 juillet.

Dans la solitude des champs de coton, Fabrik’Théâtre, 10, route de Lyon, impasse Favot 04 90 87 81 jusqu’au 31 juillet

Nunzio, Présence Pasteur, 15h30, 13, rue du Pont Trouca, Avignon, 04 32 74 18 54 jusqu’au 31 juillet.


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