Nous poursuivons la présentation des analyses d’Yves Bannel, qui permettent de mieux comprendre la période incertaine que nous traversons, avec ce livre publié en 2018.
« Parmi les caractéristiques inquiétantes de la situation actuelle, citons le reflux de la notion d’intérêt général et l’absence de plus en plus fréquente de communs indiscutables ; la perte de confiance dans les institutions (politiques, religieuses, sociales), le scepticisme face au sacré sous ses différentes formes : nation, religion et même révolution.
D’où la question : Un tel relativisme peut-il conduire vers de nouvelles formes de totalitarisme, et donc signer la mort programmée de l’idée démocratique ? Car, soyons clairs : l’absence de croyances fortes et eschatologiques semble entraîner, non pas vers un totalitarisme violent, mais comme le craignait Tocqueville, vers un totalitarisme mou (celui du marché), vers une dictature des intérêts immédiats, ou encore vers une destruction des cultures entraînant une uniformisation des esprits, des coutumes, des plaisirs et désirs. »
Yves Bannel cherche d’abord à clarifier le problème posé par la tension entre souveraineté populaire et extension des droits de l’homme, l’une des entrées possibles pour comprendre en quoi et comment la démocratie se voit contestée ou même menacée. Derrière le mot « démocratie », tout comme derrière le mot « peuple », nous mettons des sens fort différents, qui expriment des contradictions majeures comme celle entre soif de liberté et besoin de sécurité. La distance au pouvoir, variable selon les cultures mais aussi les appartenances sociales ou de genre, est aussi un facteur déterminant du sentiment démocratique. « Être démocrates, nous rappelle l’auteur, c’est porter en soi une multitude de contradictions. » Encore faut-il que celles-ci, par le débat, la participation, la rencontre, l’empathie, puissent devenir fécondes or, le débat semble confisqué ou biaisé quand nous ne sommes pas dans un déni du réel.
La crise actuelle est politique, culturelle, identitaire, économique, numérique. De quoi générer peurs, replis, haines, recherches de boucs-émissaire. Nous manquons cruellement d’espaces dans lesquels le sens peut se construire. Nous avons besoin, selon Yves Bannel, de « nouveaux modèles d’arbitrage » aux différents échelons, régionaux, nationaux et européens. « Enfin et surtout, ajoute-t-il, il serait bon que se développent de nouvelles formes d’alliances citoyennes, protéiformes et non hiérarchisées, qui puissent agir sur les agents économiques et politiques par un travail sur l’image, et qui soient habilitées à participer aux débats institutionnels et donc à la refondation sociale en cours. »
Quatre dangers guettent la démocratie : « la pyramide totalitaire composée par les réseaux sociaux, le Big Data et l’I.A. », « la censure et l’auto-censure », la « rencontre avec l’arbitraire » et la multiplication des fausses nouvelles, phénomène indissociable du déficit de formation au traitement de l’information. Reconquérir le temps long de la démocratie devient indispensable dans un monde de l’immédiateté.
Face à un constat sombre, Yves Bannel propose quelques pistes intéressantes pour sortir de l’impasse. Citons l’une d’elles : « Il conviendrait donc, d’une part de repenser la sélection des politiques se présentant aux suffrages de leurs concitoyens, et d’autre part de leur assurer une formation continue, sur le plan pratique et non théorique… » Il lui semble aussi urgent de « reconstruire des citoyens et non de simples consommateurs ».
Une fois de plus, l’actualité des différents ouvrages d’Yves Bannel peut étonner. Sa lucidité et son ouverture d’esprit permettent de poser les bases d’une réflexion en vue de relever les nouveaux défis posés à la démocratie.
La démocratie est-elle mortelle ?,
Yves Bannel. Editions Télètes, 51 rue de la Condamine, 75017 Paris.