Serge Garde, ancien journaliste à l’Humanité et l’Humanité-Dimanche, dirige la collection Les Guides des faits divers, au Cherche-Midi. Il est auteur de plusieurs livres, et a cosigné, avec le magistrat Jean de Maillard, Les Beaux Jours du crime, chez Plon.
Pourquoi publiez-vous cette Lettre ouverte à celles et ceux qui se désespèrent de voir la Gauche galérer sur les questions d’insécurité au moment où Nicolas Sarkozy annonce sa « guerre nationale contre les voyous » ?
Il faut se demander pourquoi la droite investit autant ce sujet et pourquoi sa stratégie fonctionne. Le discours de Sarkozy le confirme, la caste au pouvoir a un besoin vital de criminaliser la pauvreté et les contestations, afin d’occulter l’ordre inégalitaire, perçu comme de plus en plus injuste. Qui t’a fait riche ? Qui t’a fait roi ?
Pourquoi la gauche est-elle accusée d’être laxiste dans ce domaine ?
Elle ne l’est pas particulièrement, mais elle doit s’interroger sur les raisons qui font qu’elle est perçue comme telle. La gauche accumule les maladresses. N’étant jamais offensive sur ce terrain, elle se retrouve sur la défensive dès que la droite instrumentalise un fait divers. La gauche décrypte la manipulation. Bref, elle s’adresse aux neurones, alors que le fait divers frappe aux tripes. Et le piège se referme : les électeurs ont l’impression que la gauche nie l’émotion, donc le crime. Et à chaque fois ça marche, parce que le sentiment d’insécurité se nourrit de fragments de réalités, même s’ils sont déformés par leur médiatisation.
Vous n’êtes pas d’accord avec la gauche, et le PCF en particulier, lorsqu’elle affirme que l’insécurité est d’abord l’insécurité sociale ?
Le constat est juste, mais s’arrêter là, n’est-ce pas une façon de dire que l’insécurité n’est pas une question politique ? Trop de militants continuent de penser que crimes et délits sont des sous-produits du capitalisme. Faisons la révolution et ils disparaîtront. C’est une illusion qui existait déjà chez des socialistes utopiques. Intervenir sur les questions d’insécurité est éminemment politique car il s’agit de s’interroger sur les transgressions et leur échelle de gravité. Pourquoi voler un téléphone portable est-il plus sanctionné que d’exposer des milliers de salarié(e)s aux poussières mortelles de l’amiante ? La gauche va-t-elle enfin articuler la lutte contre les criminalités d’inadaptation et d’exclusion sociales qui pourrissent le quotidien des gens, et les criminalités financières qui, elles, ruinent le pays ? Les premières sont visibles et alimentent le sentiment d’insécurité. Les secondes sont invisibles et indolores. La droite, qui stigmatise les premières, est d’un laxisme éhonté vis-à-vis des criminalités financières qui saignent le pays. Faut-il parler de laxisme ou de complicité ? Seule la gauche est en situation de tenir les deux bouts. Mais elle le fait mal et sans cohérence.
Comment la gauche pourrait-elle être de nouveau à l’offensive ?
En contestant le diagnostic de la droite qui insinue que notre société est saine, mais qu’elle est menacée sur ses marges par les boucs émissaires de l’obsession sécuritaire : les jeunes non conformes aux critères de l’UMP, les étrangers, les clandestins, les Roms ; mais aussi les pauvres, les malades mentaux, les récidivistes… Lorsque la gauche réagit, c’est toujours à partir de ce constat pervers. Un autre diagnostic s’impose. Le cœur des sociétés dites occidentales est corrompu et criminogène. L’économiste US Galbraith qualifie les responsables de la crise financière de « faux-monnayeurs » puisqu’ils ont organisé « une fraude financière massive ».
Pourquoi échappent-ils aux sanctions pénales ?
Il faut intégrer cette dimension juridique dans les luttes sociales et politiques. Sarkozy veut dépénaliser le « droit des affaires ». La gauche va-t-elle se battre pour créer de nouvelles incriminations afin de sanctionner les pratiques financières immorales mais encore légales ? C’est la clef ! Pour intégrer la sphère légale, tout l’argent sale (fraude fiscale, corruption, prostitution, trafics d’armes et de drogues, etc.) passe par les mêmes tuyaux : ceux des banques ! Prétendre lutter contre le crime sans remettre en question le fonctionnement de la finance internationale, c’est mentir ! On laisse faire ? On combat ce système criminogène ?
Vous dénoncez la gravité du niveau de corruption…
La corruption n’est pas seulement financière. Elle gangrène les esprits. C’est le règne du « tous pourris, pourquoi pas moi ? » C’est le deal du donnant donnant : « Je vote pour vous, si vous me renvoyez l’ascenseur. » Ces valeurs, celles du clientélisme, sont d’essence mafieuse. La casse en cours du service public fait tomber un rempart essentiel contre la montée des mafias. Quid des valeurs de la République, de la notion d’intérêt général ?
Lettre ouverte à celles et ceux qui se désespèrent de voir la gauche galérer sur les questions d’insécurité (Éditions du Survenir) : http://survenir.unblog.fr
Entretien réalisé par Mina Kaci publié dans l’Humanité du 16 décembre 2010