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La gauche et les classes populaires en milieu urbain : sur deux énigmes des élections françaises de 2007 et 2008
Par Florent Gougou

Au soir du premier tour de l’élection présidentielle de 2002, le piètre score de Lionel Jospin (16,2 % des suffrages exprimés) n’a pas seulement signifié l’élimination de la meilleure chance de la gauche dans la course à l’Elysée. Sous les yeux stupéfiés des électeurs et de l’ensemble des responsables politiques, il a aussi acté le divorce électoral entre la gauche et les couches populaires. Le processus était à l’oeuvre depuis la fin des années 1970, mais il n’a été consommé qu’avec le « séisme politique du 21 avril 2002 ». Cette prise de conscience a constitué, en soi, un véritable événement politique.

Les grandes évolutions du vote des milieux populaires

Au cours des deux dernières décennies, le vote des couches populaires n’est pas allé pour autant sans nouvelles spécificités. Tour à tour, ont pu être notés une droitisation du vote des nouvelles générations d’ouvriers, dont a particulièrement profité le Front national, un alignement électoral des Français issus de l’immigration (très largement surreprésentés dans les couches populaires) sur le Parti socialiste ou encore une montée spectaculaire de l’abstentionnisme électoral et une certaine dégradation de la qualité de l’inscription sur les listes électorales dans les cités populaires. C’est dans ce contexte que la gauche, et en particulier le PS, s’est lancé dans une opération de reconquête des classes populaires. Retrouver un large soutien parmi les milieux ouvriers et employés semblait indispensable pour pouvoir remporter les élections présidentielles et législatives du printemps 2007.

Un temps, le bon score de Ségolène Royal au soir du premier tour de la présidentielle de 2007 (25,9 % des suffrages exprimés) et le large soutien dont elle a disposé dans les cités populaires ont laissé penser que cette entreprise avait été couronnée de succès. Le bilan était pourtant mitigé : la candidate socialiste a certes progressé chez les ouvriers et les employés par rapport aux résultats de Lionel Jospin en 2002, mais dans des proportions similaires à sa progression dans l’ensemble de l’électorat. Pis, les élections municipales de mars 2008 n’ont pas confirmé, pour le PS, les excellents résultats que Ségolène Royal avait obtenus dans les cités populaires lors de la présidentielle de 2007, alors qu’elles ont confirmé, pour la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), la percée d’Olivier Besancenot dans certaines périphéries industrielles.

Eu milieu populaire urbain, la séquence ouverte par l’élection présidentielle de 2007, dans laquelle s’inscrivent les élections municipales 2008, a ainsi été marquée par deux « énigmes ». Première énigme : l’échec des socialistes face aux maires communistes sortants dans les nombreuses primaires qu’ils avaient provoquées dans les communes populaires de la banlieue parisienne, en dépit des scores fleuves que Ségolène Royal y avait réalisés lors de la présidentielle. Seconde énigme : la percée d’Olivier Besancenot lors de la présidentielle dans certaines périphéries urbaines, percée confirmée par des listes LCR aux municipales. Cet article démontre que ces deux énigmes peuvent être résolues, au moins eu partie, en tenant compte des grandes évolutions du vote des classes populaires et des effets de la différenciation sociologique croissante des milieux populaires des grandes agglomérations.

La percée de la LCR dans les périphéries industrielles

L’élection présidentielle et les élections législatives de 2007 ont constitué un moment de rupture dans la vie politique française. Trois grandes évolutions électorales sont constitutives de ce moment de rupture : l’effondrement du FN, l’autonomisation du centre et la recomposition de l’extrême gauche au profit de la LCR. Le premier tour de la présidentielle de 2007 est marqué par la faiblesse de la gauche (36,4 % des suffrages exprimés) et par une très forte polarisation (les voix de gauche sur la candidature de Ségolène Royal (25,9 % des exprimés). De fait, par rapport au premier tour de l’élection présidentielle de 2002, Olivier Besancenot est le seul candidat de gauche radicale à résister : avec 4,1 % des suffrages. Le leader de la LCR recule certes de 0,2 point sur son score de 2002, mais il gagne près de 300 000 suffrages. Cette bonne tenue lui permet de devancer assez largement sa principale rivale. Ariette Laguiller, qui chute à 1,3 % des voix après deux candidatures à plus de 5 %.
Derrière cette résistance d’Olivier Besancenot se cache une profonde évolution de ses zones de force. La mutation de la géographie électorale du vote Besancenot est déjà très sensible au niveau des départements. En 2002, les quatre départements les plus favorables au candidat de la LCR étaient le Finistère (5,9 %), le Puy-de-Dôme (5.8 %), les Côtes-d’Armor (5,7 %) et l’Ariège (5,6 %). En 2007, ce sont le Pas-de-Calais (6,2 %), la Somme (5,9 %), la Seine-Maritime (5.8 %) et l’Aisne (5,5 %). À des départements de tradition contestataire se sont substitués quatre départements du Nord ouvrier de la France. Or, cette percée de la LCR dans des terres industrielles a été confirmée lors du premier tour des dernières élections municipales, à Clermont-Ferrand (13,8 %), à Saint- Nazaire (12,2 %) ou encore à Sotteville-lès-Rouen (14,8 %). De la sorte, la recomposition de la gauche radicale au profit de la LCR semble puiser ses racines en milieu populaire.

Les explications

Les enquêtes par sondage réalisées à l’occasion des élections présidentielles de 2002 et 2007 ne fournissent pas d’indication décisive pour éclairer la dynamique électorale d’Olivier Besancenot. Elles mettent plutôt en évidence la grande stabilité du vote en faveur du leader de la LCR, du moins dans les couches populaires : selon les données du Panel électoral français, 5,1 % des employés et 6 % des ouvriers ont voté Besancenot en 2002 contre 4,6% des employés et 5,5 % des ouvriers en 2007. Pour autant, la mutation géographique du vote Olivier Besancenot entre 2002 et 2007 est importante. Au niveau cantonal, le coefficient de corrélation entre ses scores au premier tour de la présidentielle de 2002 et au premier tour de la présidentielle de 2007 n’est que de 0,593. À titre de comparaison, le coefficient de corrélation s’élève à 0,754 pour les résultats d’Arlette Laguiller et à 0,956 pour les résultats de Robert Hue et de Marie-George Buffet.

La mutation géographique du vote Besancenot trouve sa source dans l’effondrement d’Arlette Laguiller. En 2002, le candidat de la LCR réalisait ses meilleures performances dans les terres traditionnellement contestataires. En 2007, il obtient tous ses meilleurs scores dans des cantons ouvriers, où il profite de l’effondrement d’Arlette Laguiller. Dans les vingt cantons dans lesquels Olivier Besancenot réalise ses meilleurs scores en 2007, le leader de la LCR était toujours devancé par la candidate Lutte ouvrière (LO) en 2002. Mais au soir du premier tour de la présidentielle de 2007, cette fois-ci, il la devance dans tous. Pour la plupart, ces zones de force d’Olivier Besancenot sont de nouveaux bastions. Seulement cinq sur vingt étaient dans le premier décile des cantons qui lui étaient les plus favorables en 2002. Moins de la moitié étaient dans le premier quartile. Tout se passe ainsi comme si le changement de génération dans les candidats d’extrême gauche correspondait aussi à un passage de témoin ; comme si Olivier Besancenot s’était imposé, entre 2002 et 2007, comme le porte-parole des travailleurs et des travailleuses les plus hostiles au libéralisme économique. Ces nouvelles zones de force d’Olivier Besancenot sont toutes très populaires. Dans la quasi-totalité des vingt cantons considérés, plus de 70 % des actifs sont ouvriers ou employés. Mais surtout, ces cantons appartiennent à de grands bassins industriels, organisés autour de l’industrie lourde, de la pétrochimie. En bref, d’activités ouvrières traditionnelles. Ainsi, dans ces vingt cantons, les ouvriers sont toujours moins nombreux que les employés [1], alors que ce n’est plus le cas sur l’ensemble de la France. Mieux, dans ces zones, les employés eux aussi travaillent plus souvent dans le secteur secondaire que dans le tertiaire. Caractéristiques sociologiques donc, mais aussi peut-être caractéristiques politiques. En confrontant la carte du vote Besancenot au premier tour de l’élection présidentielle de 2007 à la carte historique de l’implantation du Parti communiste, Michel Bussi et Jérôme Fourquet avancent l’hypothèse d’une captation de l’héritage communiste par la LCR. Toutefois, cette carte est aussi, on l’a vu plus haut, celle des bastions d’Arlette Laguiller. En fait, dans ces endroits-là, la candidate LO avait déjà pris en partie le relais du PC lors de la présidentielle de 1995, avec les premiers signes d’épuisement d’un paradigme néolibéral. De la sorte, en 2007, le leader de la LCR a vraisemblablement séduit un électorat ouvrier de gauche qui s’était déjà radicalisé au milieu des années 1990. Il lui reste encore du travail pour capter tout l’héritage communiste. Certes, Olivier Besancenot a déjà sensiblement progressé par rapport aux candidats communistes : en 2002, il ne devançait Robert Hue que dans deux des vingt cantons considérés ; en 2007, il devance Marie-George Buffet dans quatorze de ces vingt cantons. Mais il s’agit toujours là de bastions communistes (sans doute les derniers). Seize de ces vingt cantons sont dans le premier décile des cantons les plus favorables à la candidate communiste (dans trois de ces cantons, la secrétaire nationale du PC obtient même plus de 10 % des exprimés !).

Cette dernière observation est capitale pour comprendre les scores des listes LCR lors des dernières municipales dans les périphéries industrielles des grandes agglomérations. Ici, la comparaison des résultats du premier tour des municipales dans deux villes de la banlieue de Rouen, Saint-Étienne-du-Rouvray et Sotteville-lès-Rouen, est riche d’enseignements. Dans ces deux villes, Olivier Besancenot a obtenu un peu plus de 7 % des voix au premier tour de la présidentielle de 2007. En revanche, lors des municipales de 2008, la LCR rassemble 14,6 % des suffrages à Sotteville-lès-Rouen contre 8,8 % à Saint-Étienne-du-Rouvray, alors qu’elle affronte dans les deux cas une liste d’union de la gauche... et souffre même de la concurrence d’une liste LO (4,6% des voix) à Sotteville-lès-Rouen. Une seule différence entre les deux villes, mais une différence décisive : à Sotteville-lès-Rouen, la liste d’union de la gauche est conduite par un socialiste, alors qu’à Saint-Etienne-du-Rouvray, elle est conduite par un communiste. De la présidentielle de 2007 aux municipales rie 2008, la LCR s’est imposée comme le premier parti de la gauche radicale au prix d’une évolution de la sociologie de son électorat. Avec sa poussée dans les banlieues ouvrières, Olivier Besancenot semble disposer d’une base électorale plus solide que la jeunesse déçue par Lionel Jospin qui avait nourri sa candidature en 2002. Mais en même temps, ses perspectives de progression semblent plus limitées : les dépouilles du PC ne seront sans doute pas suffisantes pour menacer durablement la gauche de gouvernement et s’imposer commue une alternative crédible au PS.

La progression socialiste et la résistance communiste dans les « quartiers populaires »

L’énigme

En dépit des efforts déployés pendant la campagne pour l’élection présidentielle de 20007, Ségolène Royal a échoué dans son entreprise de reconquête de l’électorat populaire. Au premier tour de scrutin, selon les données du panel électoral français, seulement 24 % des employés et 25% des ouvriers ont voté en sa faveur, soit un peu moins que l’ensemble des Français. Certes, elle a très largement redressé la barre par rapport aux résultats obtenus par Lionel Jospin dans les couches populaires en 2002 (12 % du vote des employés, 13 % du vote des ouvriers), mais dans des proportions similaires à sa progression d’ensemble sur le score de l’ancien Premier ministre. Toutefois, la candidate socialiste améliore de manière spectaculaire les scores obtenus par Lionel Jospin dans les quartiers populaires. Parmi les vingt cantons dans lesquels Ségolène Royal progresse le plus sensiblement sur Lionel Jospin figurent treize cantons de banlieue populaire (surtout parisienne), les sept autres étant localisés dans les Deux-Sèvres et dans le Territoire de Belfort. De la sorte, les plus forts mouvements électoraux en faveur de Ségolène Royal renvoient soit à une dynamique sociologique (l’attraction exercée par le PS sur les Français d’origine étrangère, largement sureprésentés dans les banlieues populaires des grandes agglomérations), soit à une dynamique personnelle (les Deux-Sèvres sont le fief de la candidate socialiste ; le Territoire de Belfort celui de Jean-Pierre Chevènement, candidat en 2002, rallié à Ségolène Royal en 2007). Un aspect fondamental différencie néanmoins ces deux types de dynamiques. En banlieue populaire, la participation électorale est en très forte augmentation par rapport à 2002 (souvent plus de 20 points), alors qu’elle suit, peu ou prou, le niveau national dans les Deux-Sèvres et dans le Territoire de Belfort.
Comme les banlieues ouvrières traditionnelles qui ont nourri la dynamique électorale d’Olivier Besancenot, les quartiers populaires dans lesquels Ségolène Royal a obtenu ses meilleurs scores lors de la dernière présidentielle sont situés dans les périphéries des grandes agglomérations. Mais ils n’ont plus les mêmes caractéristiques sociologiques. Ici, la majeure partie de la population active est certes employée ou ouvrière, mais petit à petit, l’équilibre entre des deux composantes s’est modifié en faveur des employés, au point que ces derniers sont aujourd’hui plus nombreux que les ouvriers. Mieux, de la même façon que les employés des banlieues ouvrières travaillent plus souvent dans le secteur industriel que dans le tertiaire, les ouvriers des quartiers populaires travaillent plus souvent dans le secteur tertiaire que dans le secteur industriel. Par ailleurs, ces banlieues populaires comptent toutes une proportion très forte de Français issus de l’immigration (jusqu’à 40% de la population de plus de 15ans), alors que ce n’est pas souvent le cas des banlieues ouvrières. Au final, le département de Seine-Saint-Denis s’impose comme l’archétype des évolutions sociologiques qu’a vécu ce type de milieux populaires urbains de la « classe ouvrière aux jeunes de cité, de la banlieue rouge au " 9-3 ".

D’ailleurs, la Seine-Saint-Denis a été le théâtre d’affrontements intenses entre le PS et le PC au cours des dernières échéances électora1es. Après les scores fleuves que Ségolène Royal a réalisés dans le 9-3 lors des deux tours de la présidentielle de 2007, les primaires à gauche se sont multipliées dans les derniers bastions communistes. Ce mouvement est très sensible lors des municipales. En 2001, le PS n’avait provoqué que quatre primaires dans les trente-huit mairies de plus de 30 000 habitants tenues par le PC en France. Une seule avait eu lieu en Seine- Saint-Denis, à Pantin. En 2008, en revanche, le PS a provoqué six primaires dans les vingt-sept mairies de plus de 30000 habitants tenues par le PC, dont cinq en Seine-Saint-Denis (Aubervilliers, Bagnolet, La Courneuve, Saint-Denis, Tremblay-en-France la sixième primaire a lieu à Vitry-sur-Seine, dans le 94 ). Cette mutation de la géographie des primaires provoquées par les socialistes dans les mairies communistes ne peut pas être comprise indépendamment des résultats de l’élection présidentielle et de la forte poussée de Ségolène Royal en banlieue populaire Mais elle est également liée à une suite de victoires socialistes face à des sortants communistes dans le 9-3 : prise de Pantin aux élections municipales de 2001, des cantons d’Aubervilliers-Est et de La Courneuve en 2004, de la troisième circonscription (Aubervilliers) aux législatives de 2007.

Les résultats des élections municipales de 2oo8 n’en sont que plus énigmatiques. Dans les villes de plus de 30 000 habitants, les primaires PC/PS sont toutes remportées par les listes PC sans exception, même si les maires communistes expriment le même regret : le scrutin ne suscite pas une forte mobilisation électorale. Quoi qu’il en soit, une explication est généralement admise par les observateurs : les maires communistes gagnent leurs primaires face aux socialistes parce qu’ils tiennent leurs villes.

Les explications

Dans ces six villes, l’impact de l’implantation locale et de la personnalité des maires communistes semble bien réel. Le cas de Tremblay-en-France est sans doute le plus évident. En 2008, les électeurs de la ville étaient appelés à renouveler le conseil municipal, mais aussi le conseiller général du canton (dont les frontières sont exactement les mêmes que celles de la ville). Au premier tour des municipales, la liste communiste conduite par le maire sortant François Asensi est reconduite avec plus de 70% des voix, contre 8,6 % à la liste socialiste. En revanche, au premier tour de la cantonale, le candidat communiste, Pierre Laporte, pourtant conseiller général sortant, ne recueille que 43.9 % des voix contre I 7,6 %à son rival socialiste. La comparaison des résultats des élections législatives de 2007 à Aubervilliers et à La Courneuve va dans le même sens. Les deux villes appartiennent à la même circonscription, la troisième de Seine-Saint-Denis. L’offre politique est donc la même. Par rapport au premier tour de l’élection présidentielle, le vote communiste se redresse dans les deux villes, mais de manière beaucoup plus sensible à La Courneuve : le candidat communiste, Gilles Poux, est en effet maire de La Courneuve. Mais cet impact de la personnalité du candidat ne semble pas suffisant pour expliquer le rééquilibrage du rapport de forces PC/PS en faveur du PC à Aubervilliers aussi, le vote communiste se redresse entre la présidentielle et les législatives. Le cas de Bagnolet confirme cette dernière observation. Lors des législatives de 2007, le député sortant PS, Claude Bartolone, dispose d’une implantation locale plus solide que la candidate du PC. Augusta Epanya, issue de la « société civile » et sans aucun mandat local. Pourtant, cela n’empêche pas le redressement du vote communiste par rapport au premier tour de l’élection présidentielle
Au final, de l’élection présidentielle de 2007 aux municipales de 2oo8, le rééquilibrage du rapport de forces PC/PS en faveur des communistes est un mouvement général, dont l’ampleur seule dépend de la personnalité et de l’ancrage local des candidats. Evidemment, on ne peut écarter l’hypothèse selon laquelle les électeurs de gauche n’ont aucune réticence à voter tantôt communiste, tantôt socialiste, dans des scrutins de nature différente. Mais la similitude des évolutions électorales à l’oeuvre dans les six communes de banlieue populaire étudiées invite à envisager d’autres explications. Une problématique plus générale s’impose ici, celle du décalage entre les résultats de la présidentielle et les résultats des élections législatives ou locales. Confronté à cette question dans son analyse des résultats des élections de 2007 dans la région Nord-Pas-de-Calais. où la gauche se redresse aux législatives alors qu’elle paraissait menacée au regard des résultats de la présidentielle, Bernard Dolez défend l’idée selon laquelle la gauche profite de la qualité et l’ancienneté de son implantation, ainsi que du scrutin de circonscription, pour maintenir ses positions législatives.

De manière plus systématique, les travaux de Philip Converse permettent d’énoncer deux règles pour comparer les résultats de deux élections de nature différente : ( 1) plus la participation diminue, plus les forces politiques se renforcent dans leurs fiefs, plus les électeurs aux attaches partisanes les plus fortes et les électeurs les plus politisés, proportionnellement plus nombreux dans l’électorat de la force politique dominante, se mobilisent plus que les électeurs aux attaches partisanes les plus faibles, proportionnellement plus nombreux dans l’électorat des forces minoritaires ou l’implantation récente ; (2) plus la taille de la circonscription d’élection diminue, c’est-à-dire plus l’organisation du scrutin est locale, plus les forces politiques se renforcent dans leurs fiefs.
La seconde règle, qui renvoie à la question du scrutin de circonscription, peut être appliquée à la séquence électorale constituée par la présidentielle de 2007, les législatives de 2007 et les municipales de 2008 dans nos six communes de banlieue populaire. Et à première vue, elle paraît suffisante pour expliquer le redressement progressif du Parti communiste. En revanche, elle est insuffisante pour la séquence précédente, qui s’étend de la présidentielle de 2002 aux cantonales de 2004 : à Aubervilliers et à La Courneuve des deux villes déjà concernées par des primaires aux cantonales de 2004, l’écart entre le vote socialiste et le vote communiste reste stable entre les deux échéances électorales, à l’avantage des socialistes. Or, la première règle qui renvoie aux variations de participation électorale, s’applique, elle aussi, à ces deux séquences. Dans la séquence 2002-2004, la participation varie peu, ce qui explique que le rapport de forces PC/PS reste relativement stable. En revanche, lors de la séquence 2007-2008, la participation connaît des fluctuations très importantes, ce qui pourrait expliquer la nette modification du rapport de forces PC/ PS. C’est ici que la transformation sociologique du 9-3 et les grandes évolutions du vote des quartiers populaires prennent toute leur importance. En 2007, la participation a dépassé les 80 % dans les deux communes. L’immense majorité des électeurs a donc voté, y compris la partie dont les attaches partisanes sont les plus faibles : les jeunes de cité, les Français d’origine étrangère, autant d’électeurs intermittents du vote, mais alignés sur le Parti socialiste. En 2008, en revanche, dans une conjoncture moins mobilisatrice, ces électeurs se sont plus volontiers abstenus que les vieilles générations d’ouvriers, qui ont été socialisées par le Parti communiste et lui restent fidèles.

Au final, la percée de Ségolène Royal dans les banlieues populaires lors de l’élection présidentielle de 2007 doit bel et bien être associée à la très forte mobilisation électorale dans les quartiers les plus populaires des grandes agglomérations. A contrario, la faiblesse de la participation aux municipales de 2008 a pénalisé les listes socialistes dans les primaires qui les opposaient aux communistes. De la sorte, les maires communistes, qui ont regretté la faiblesse de la participation aux municipales, ont plutôt été favorisés par la démobilisation électorale, même s’ils ont également pu profiter de leur implantation locale. Quoi qu’il en soit, la résistance du Parti communiste aux assauts socialistes ne semble être qu’un moment de répit : la transformation sociologique des quartiers populaires des grandes agglomérations, avec la montée de populations d’origine immigrée, favorise largement le Parti socialiste.

En conclusion : la diversité des milieux populaires

Bien que l’imaginaire des milieux populaires renvoie le plus souvent aux quartiers les plus populaires des grandes agglomérations, les milieux populaires ne constituent pas un bloc monolithique. A l’opposition traditionnelle entre milieux populaires urbains et milieux populaires ruraux (milieux ruraux où vivent aujourd’hui la majorité des ouvriers français) s’ajoute aujourd’hui une différenciation croissante des milieux populaires urbains entre des périphéries industrielles et des banlieues tertiarisées à très forte proportion d’immigrés, dont les effets électoraux ont été particulièrement importants lors de la présidentielle de 2007. Pour autant, il n’est pas évident que les milieux populaires soient plus hétérogènes aujourd’hui qu’à la fin du XIXe siècle Un long travail de mobilisation et d’unification des milieux ouvriers a dû être réalisé par les partis socialistes avant de parvenir à constituer et à unifier la classe ouvrière. Et cette entreprise idéologique incite plutôt à penser que les milieux populaires étaient déjà, à cette époque, extrêmement hétérogènes.

La reconquête en trompe-l’oeil des classes populaires par le Parti socialiste
Dans ce cadre, l’entreprise de reconquête des classes populaires lancée par le Parti socialiste à la suite du 21 avril 2002 ne s’est pas réellement concrétisée. Si reconquête il y a eu, elle n’a concerné que les cités populaires des grandes agglomérations urbaines et ne s’est pas prolongée au-delà des deux tours de l’élection présidentielle de 2007. Le succès de Ségolène Royal dans ces banlieues populaires s’ancre dans deux grandes dynamiques : (1) l’alignement électoral des Français d’origine étrangère sur le PS, qui traduit une forme d’ethnicisation des comportements électoraux et repose sur la conviction que le PS est le meilleur défenseur des immigrés ; (2) la très forte participation électorale qui a marqué les deux tours de l’élection présidentielle de 2007. La seconde dynamique était évidemment nécessaire pour que la première puisse s’exprimer pleinement.

Or, le sursaut de la participation électorale dans les cités populaires semble moins dû à la personnalité ou à la campagne de Ségolène Royal, même si le discours de la candidate du PS a pu avoir un certain écho en milieu populaire, qu’à la candidature extrêmement polarisante de Nicolas Sarkozy. C’est d’abord l’ancien ministre de l’intérieur qui a poussé les habitants des banlieues populaires des grandes agglomérations à se rendre aux urnes, par sa politique en matière de sécurité et d’immigration mais aussi par sa stigmatisation constante des cités, de la promesse de débarrasser la dalle d’Argenteuil de la "racaille", de la volonté de nettoyer la cité des 4 000 à La Courneuve "au Kärcher".

Texte paru dans la Revue socialiste du 1er juin 2009

Notes :

[1Remarque de La faute à Diderot : il s’agit sans doute d’une erreur de rédaction, au vu du contexte l’auteur a sans doute voulu dire « plus nombreux »


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