L’art de la rétrospective est difficile. Celle qui se tient à Saint-Germain en Laye en divers endroits au printemps 2017 le prouve. Comment faire voisiner des époques différentes, car qu’on le veuille ou non, il y a toujours des moments différents, voire opposés, dans l’œuvre d’un peintre ? Et ce ne sont pas les passages réunis dans le catalogue qui viendront prouver le contraire : tous ont été écrits à un moment ou un autre, ils mettent en lumière tel ou tel aspect particulier du travail de Kijno qui produit par séries. Et le visiteur se trouve confronté au temps qui s’est écoulé, à la diversité des œuvres dont certaines lui sont inconnues car sorties pour l’occasion de l’atelier que le peintre a laissé derrière lui fin 2012. Le visiteur néophyte est alors surpris devant les formes clairement identifiables. D’autant plus que Kijno a utilisé aussi bien le pinceau (ou la brosse), la vaporisation, la peinture à l’huile ou glycérophtalique, le froissage… Ces précautions étant posées, à présent il est nécessaire de passer à ce qui est montré au Manège Royal de Saint-Germain en Laye.
Il faut le proclamer d’emblée, malgré une œuvre forte de plusieurs milliers de travaux, le choix opéré par Renaud Faroux, le commissaire de l’exposition (aidé par Malou Kijno, bien évidemment) est révélateur. Aucun des chefs d’œuvre n’est absent : Le Théâtre de Neruda, les Bouddhas du colombier de Vascœuil, Le Chemin de Croix… et sont présentes les deux Balises pour Angela Davis, grâce à l’obligeance de Malou Kijno et du musée du Touquet…
L’opposition figuration / abstraction est même représentée dans cette rétrospective avec quelques œuvres sauvées de l’autodafé de 1955 (que décrit si bien Raoul-Jean Moulin à la page 38 de sa monumentale monographie, Kijno, parue aux éditions du Cercle d’art en 1994). Heureusement ont échappé aux flammes, quelques toiles ici données à voir comme Brasero (de 1948) ou comme Quatuor (de 1947) qui permettent de comprendre la vanité de cette opposition et l’évolution de Ladislas Kijno. Bernard Vasseur note [1] : "C’est ce qui fait que son œuvre est rebelle aux modes et à l’air du temps. C’est ce qui fait qu’il contourne le grand dilemme plastique des peintres de ces années-là (faut-il être abstrait ou figuratif ?)".
À l’Espace Vera -tout proche du Manège Royal- sont regroupées des œuvres de Kijno inspirées des poètes. Outre les incontournables, Brocéliande d’Aragon, Le Parti-pris des choses de Ponge et Le Mémorial de l’Île Noire de Pablo Neruda, le visiteur peut découvrir bien d’autres choses moins connues parce que très rarement données à voir d’une façon ou d’une autre (expositions ou reproductions). On peut ainsi admirer des œuvres mythiques comme Les Îles de Jean Grenier, L’Homo Hellenicus de Nikos Kazantzàkis, L’Art d’aimer d’Ovide (dont on avait pu voir un fragment lors de l’Hommage à Ladislas Kijno au musée du Touquet - Paris Plage durant l’été 2015) et mille autres trésors… Quant à la médiathèque, elle présente des estampes (lithographies, gravures et sérigraphies) dans une exposition intitulée "La bibliothèque idéale de Kijno" qui donne ainsi la preuve que "Il faut mettre Gauguin dans vos assiettes et Rimbaud dans vos verres !" n’est pas un simple mot car la générosité du peintre était sans limites : il voulait mettre l’art à la portée de tous…
Il faut donc remercier toutes celles et tous ceux qui ont permis de voir l’œuvre de Lad dans sa prodigieuse diversité. Et se hâter de voir cette rétrospective, sinon il ne restera plus qu’à parcourir le catalogue "La Grande Utopie de Kijno"...
Informations
- Le Manège Royal (la Grande Utopie de Kijno) est ouvert du 18 mars au 14 mai 2017 (du Mer au Dim de 14 à 18 h, gratuit).
- L’Espace Vera (Kijno et la Poésie) est ouvert du 18 mars au 22 avril 2017 (du Mer au Sam de 14 à 19 h, gratuit).
- La Médiathèque, (les estampes de Kijno) est ouverte du 4 au 29 avril 2017 (Ma et Ve de 13 à 19 h, Mer et Sam de 10 à 18 h, gratuit).
- Conférence, journée du 22 avril (avec table ronde), concert de Robert Combas et des Sans pattes, Exposition hommage à Kijno avec le collectif 9ème Concept ; etc.. Renseignements au 01 30 87 20 81 (Thimothé Poulain) ou au 06 11 58 08 81 (Renaud Faroux).
Sous la direction de Renaud Faroux, La Grande Utopie de Kijno. Éditions Somogy, 254 pages, 35 €. (Nombreuses illustrations). Dans les bonnes librairies.
[1] Bernard Vasseur, catalogue La Grande Utopie de Kijno, Somogy éditeur, 2017, page 188