Un inédit de Thierry Renard au moment où paraît le tome II de ses Œuvres Poétiques chez le même éditeur… La préface est signée par Michel Kneubühler qui fait le point avec brio. Kneubühler montre bien que Thierry Renard « continue de chanter l’amour, la femme, le Sud et la poésie » (p11). Mais c’est pour aussitôt ajouter que « le voici désespérant » qu’il manque de mots pour chanter. Mais Thierry Renard, en parfait homme du Sud, est amoureux et ne manque pas de mots pour le dire. Et c’est vrai qu’il est avant tout un « agitateur poétique » en une époque qui en manque singulièrement. Il y a bien d’autres choses que dit cette préface. Mais voilà qui nous amène à l’autre point que je veux aborder. Ici, avec « La nuit est injuste », on est loin des maigres plaquettes thématiques auxquelles nous ont habitués les poètes. Jamais la notion de recueil n’a pris tout son sens que dans cette juxtaposition, cette succession de poèmes.
Cela commence très fort avec une prose qui relate un voyage aux USA. Non qu’il ait viré sa cuti, (pour parler familièrement) comme de nombreux écrivains ! Et il n’a rien renié : « Le communisme authentique, celui que l’on a longtemps appelé de nos vœux, ne viendra pas tout seul, ne viendra pas demain. Les conditions ne sont pas toutes réunies. » (p 22). Dire recueil, c’est dire mélange de vers et de prose, c’est dire aborder divers sujets… Il y a comme un écho de la guerre mais ce n’est pas tout ; au-delà des mots il y a la solitude, l’idéologie, le social, le sens de la vie, l’amour, l’Histoire, le terrorisme, la politique. Etc… Mais l’expression est toujours personnelle, toujours reconnaissable.
Des tranches de vie, quoi… Chaque poème commence par quelque mots mis en exergue dûs à des auteurs différents dont le poème est le commentaire : on remarquera Pier Paolo Pasolini. Le fil rouge de ces poèmes, c’est la personnalité de Thierry Renard, il écrit (p 95) : « je ne suis pas ce bouffon / moins con que l’on pense / plus attentif et / plus réfléchi surtout » car le poète se dit dans sa nudité même, dans son essence.
« J’ai quelque chose à vous dire » (sous-titré « Oser ») est dédié à Patrick Lapin que La Passe du vent vient d’éditer. Non, je ne me trompe pas : il est bien indiqué sur la couverture le titre « J’ai quelque chose à vous raconter » … Où j’apprends que les sujets littéraires de Thierry Renard sont les mêmes que les miens mais je ne suis pas surpris ! Jean Jaurès a beau être devenu une marionnette agitée par les socialistes, je le lis encore et toujours… Avec Fin d’année (p 134), les choses prennent l’allure d’un bilan ; est-ce la date qui impose cela ? Force est de constater en lisant ce dernier poème, que Thierry Renard fait le point sur sa vie : « On ne rompt pas facilement / avec les communistes / même quand ils sont médiocres » (p 137) avoue-t-il. Cela ne va pas sans mystère ; ainsi avec Le crayon de Mathieu Bénézet (p 143) : pourquoi cette citation d’Alain Bashung rapprochée de la référence à Mathieu Bénézet ? Et pourtant, j’ai écouté le premier et lu le second ! Mais ces vers « Des destins des chagrins / Pour rendre le monde / Un peu meilleur » (p 146) rachète ce qui précède ! Tout comme l’exergue de l’immense Léo Ferré, le chanteur que je préfère ! (p 148). Mais là où je préfère Thierry Renard, c’est dans l’exploration de son passé : De l’autre côté (p 155) et, plus précisément dans ces vers « je suis de l’humanité entière / je suis de la planète terre / et de la terre des hommes » (p 155) où l’homme « porte en lui / l’humanité ». J’aime encore la sincérité de ce vers : « mais mes faiblesses sont abondantes »…
« Plein Sud » est sous-titré « De l’écriture, du soleil et de la mer » : un art poétique mâtiné du goût de l’Histoire (Thierry Renard est d’origine italienne par sa mère). Un poème comme Jour de pluie (p 199) est un véritable art poétique où l’on apprend que que Thierry est « un homme pressé », autrement dit que le récit n’est pas son fort. Mais Thierry Renard a choisi la voie du poème : aussi pages 203-207 trouve-t-on juxtaposées notations sur la mer à Peschi et d’autres sur Oradour/Glane et son équivalent italien, sur Boko Haram ou Daech : la vie avec ses drames et ses joies mélangés … Cela tourne parfois au règlement de comptes : « marre marre marre / de votre rire moqueur / et bien élevé // Je ne vous supporte plus du tout / plus du tout » (p 213). « Plein Sud », s’il est une évocation de vacances à la mer en Italie n’est pas exempt de pensées bien senties sur le devenir de l’humanité, ce qui contribue à en faire un véritable journal. Mais les bonnes choses ont une fin ; il y a le retour en France, les poèmes sont alors traversés de la maladie de la mère, des séances de masturbation, du poème qui reste à écrire (et qui transformera le monde), de la vie …
Ce volume inédit est une mine de renseignements sur Thierry Renard tant il se confie. Ce dernier apparaît bien comme un « agitateur poétique » dans tous les sens de l’expression. Son art poétique tient aussi du journal intime. Mais il écrit en poète des vers qui touchent à la vie citoyenne de l’homme : c’est en cela qu’il touche le lecteur.
Thierry Renard : La nuit est injuste. La Rumeur libre, 256 pages, 20 euros. En librairie ou sur le site de l’éditeur (www.larumeurlibre.fr), onglet commander, puis ajouter au panier quand il s’agit de Thierry Renard et de son recueil.
Ce tome II des Œuvres poétiques couvre la période 1980-2016 ; difficile d’emblée de parler des différents poèmes rassemblés dans ce volume car c’est une extrême liberté qui y règne : brefs comme dans Je me baigne nu alors que dès le deuxième recueil ils s’allongent occasionnellement, l’érotisme y domine (« Nos sexes cohabitent / sur la paille sèche », p 34). Mais dans La lune machin parue en 1989 chez Verso cela se généralise, le poème long fait son apparition (p 62) et le confirme. Cependant, c’est Dans la braise de tes yeux (parue en 1990 chez Pleine Plume) que le poème long prend sa vitesse de croisière avec détails du quotidien … Changement important !
Dans la braise de tes yeux, Thierry Renard semble avoir trouvé son ton, son rythme : poésie érotique, voyage en train « au retour / nous avons fait l’amour / dans les toilettes du wagon » (p 98). L’érotisme devient solaire : « les plus belles fesses du monde / ce soir sont / dans mes mains » (p 106). Dans la seconde suite, il s’agit de pavés de prose plus classiques (je ne retrouve pas le charme des poèmes de la première partie de la plaquette) : ça manque d’épaisseur charnelle, même si je lis le goût du Sud dans certaines de ces proses. Il a même anticipé ce vers lu dans La Nuit est injuste : « Pour rendre le monde / un peu meilleur » ; je lis Dans la braise de tes yeux : « … pour que demain ne ressemble plus à hier, qu’il soit meilleur » (p 120). Oui, Thierry Renard est bien un « citoyen du monde » (p 123).
Dans Pour L.B., Thierry Renard découvre le goût qu’il pour les exergues qu’il semble considérer comme un point de départ à l’écriture de ses poèmes. Dans Le temps le dira, je me rends compte de l’influence qu’eut Aragon sur lui, (via les poèmes chantés par Léo Ferré) : n’écrit-il pas « C’était un temps assez peu raisonnable » (p 141) quand Aragon note dans un vers « C’était un temps déraisonnable » (Bierstube Magie Allemande) [1]… Dans le poème dont il l’auteur, au sein de Rimbaud m’a dit, Thierry Renard parle (ou plutôt dialogue) avec Arthur Rimbaud, via les livres de ce dernier, car Rimbaud est décédé en 1899 alors que Thierry Renard est né en 1963 ; mais à travers ce dialogue, Thierry se dit…
« Plus vivants que jamais » rend hommage à Guy Debord et à Albert Camus : « c’est à travers Camus que j’ai pris conscience du rôle crucial de la résistance et de la révolte » ( p 199). Dans La traversée du jour, « Ce qui m’a nourri… // Ce sont les poètes et la poésie » avoue Thierry Renard page 242, qui va droit au but, il ne change pas d’avis sur la question centrale malgré ses errements, ses changements, ses doutes… (il est vrai que j’ai lu La nuit est injuste avant le tome II de ses Œuvres poétiques complètes : « Ecrire disais-tu c’est orage et / c’est colère… » (p 254). Je m’aperçois à lire les fragments placés en exergue que j’ai lu les mêmes auteurs que Thierry Renard : est-ce un reflet du temps, un effet du hasard ? Je ne sais ! Page 260, il écrit : « La vie est un aller simple /…/ mais c’est un miracle la vie » ; Thierry Renard est lucide mais optimiste, il est conscient que le poème mûrit moins vite mais il rit et sourit plus souvent qu’avant… J’aime le dernier poème de La traversée du jour, pour son pessimisme relatif… Les poussières du vent se lèvent tôt est un journal de voyage, vers et notes mêlés.
A propos de Canicule et Vendetta, j’écrivais dans Recours au Poème (en avril 2015) : « Thierry Renard renouvelle le journal de voyage, le journal tout court. Il transfigure ce qui pourrait n’être que plate accumulation de journées, que sèche énumération de dates ; dans Canicule et Vendetta où il dit son amour de la Corse, il mêle bribes descriptives, souvenirs, anecdotes, lectures. Et réflexions sur la vie qui viennent remettre à leur juste place des passages informatifs qu’on croirait sortis d’un guide de voyage. Et ce sans transition, d’un paragraphe l’autre, d’une phrase l’autre : c’est ce « simultanéisme » qui fait l’intérêt de ce texte. » Et bien d’autres choses (on me pardonnera cette auto-citation !). En ce qui concerne Les nuits de mon italienne je relève ces trois vers « au fond ce sont les petites / méditerranéennes que je préfère / elles seules me font mourir ». Je suis très sensible à cet « érotisme solaire ». Et ce souvenir lumineux, qui fait mal, qui déchire … Oui, les mots peuvent faire mal …
Une fois n’est pas coutume : je me contenterai de recopier la quatrième de couverture. Yvon Le Men a écrit à propos du tome I des Œuvres poétiques de Thierry Renard : « On dirait une longue phrase mélancolique et drôle ». Charles Juliet, à propos de La Traversée des jours remarque : « Les poèmes qui forment ces recueils sont sans apprêt. Ils ont une fraîcheur, une spontanéité qui surprend, qui séduit ». Il ajoute « Les poèmes de Thierry ont une fluidité et une ampleur qui nous mettent dans un indéniable bien-être ». Voilà qui devait être dit.
Thierry RENARD : Œuvres poétiques, tome II. La Rumeur libre éditions, 384 pages, 21 euros. En librairie ou sur le site de l’éditeur (www.larumeurlibre.fr), onglet commander, puis ajouter au panier quand il s’agit de ce tome II.
[1] In Le roman inachevé