Ce livre, nous dit Alain Joubert dans sa préface, « va vous tenir longtemps au cœur même d’un monde en perpétuel renouvellement ». Il insiste sur le caractère automatique de la poésie d’Hervé Delabarre, marquée par le surréalisme et sa proximité avec André Breton, poésie qui évoque aussi un Benjamin Péret ou un Jean Arp.
Mais qu’est-ce, finalement, que l’écriture automatique ? Alain Joubert précise :
« L’écriture automatique est d’abord une preuve, pas une œuvre. Les textes ainsi produits sont le résultat d’une expérience intérieure qui s’aventure jusqu’à mettre au grand jour ce que l’être recèle de plus secret pour lui-même, ce qui se dissimule dans les plis de son inconscient. Cette preuve désigne la source de la poésie, et assigne au langage – à l’écriture – une exigence à s’incarner ; ainsi l’œuvre peut-elle ensuite apparaître.
Mais y-a-t-il une voie automatique, ou bien faut-il plutôt parler de voix automatique ? Ne serait-ce pas le bruit d’un mot, analogiquement proche de celui d’un autre, qui provoquerait un télescopage en forme d’image, plus riche que la somme des deux termes qui la composent ? Précisons cependant que le seul « son » ne suffit pas au poète, tant il est vrai que le rythme intérieur ne lui fait pas « entendre » des bings, des bangs, des zooms ou des zowies, mais bel et bien des mots qui sont chacun porteurs d’un son, des mots-sons en quelque sorte. Et s’il est vrai que le poète « entend » quelque chose en amont du langage en formation, ce sont des mots qu’il entend, pas des bruits ».
La poésie d’Hervé Delabarre recèle une dimension auditive singulière mais elle fait aussi émerger du non-conscient des forces crues et inattendues, parfois ludiques, parfois implacables.
Le premier poème de ce recueil s’intitule Le sourire noir et dès les premiers vers, un style s’impose, mais non restreint au langage, il s’agit d’un style de l’Être.
A la marge du sourire
La menace
Comme une détresse
Imprécation
A peine murmurée
De la blessure à la bouche
De la vénération à la terreur
Dans la ravine
Où les tourments sont soulignés du doigt
Le scalpel désigne à la blessure
Les crins noirs de l’abécédaire
Franchie l’orée des bas
Et des étoffes noctambules
L’ongle
Incise une nuit capitonnée
…
Ou encore avec Autre chose :
Les mots sont détournés de leur sens,
reste à savoir s’ils en ont un vraiment.
Le rasoir ne dort que d’un œil,
les draps en feu carillonnent,
un arbre foudroyé vous salue,
et la barbe elle-même se met à pleurer.
Quoi de plus beau qu’un cure-dent
sinon le cul de Proserpine
ou bien, pour faire bander les rimes,
celui de Messaline.
Quant à l’amour,
C’est à désespérer vraiment,
il n’est plus qu’un chemin de croix
qui monte vers un lointain Golgotha
…
Hervé Delabarre, ce sont aussi des contes et des chants, des contes cruels, à l’érotisme astringent et des chants hantés par le jeu des sonorités.
Il est là
Gominé dans ta glu
Englué dans ta glose
D’impudique immolée
D’immodérée sacrée
Et fosse profanée
Car c’est ainsi
Tu l’oses
Que viennent les images !
Voici un livre pour « affronter les intempéries du baiser ».
La nuit succombe suivi de Carène de Hervé Delabarre, Les Hommes sans Epaules Editions.
Les Hommes sans Epaules, 8 rue Charles Moiroud, 95440 Ecouen, France.