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La pensée économique de Lumumba
Par Albert Kisonga

Avec une admirable lucidité, Patrice Lumumba avait perçu les obstacles qui, dans notre culture, étaient susceptibles d’entraver la pleine appropriation par les Congolais de la culture du développement économique. Ainsi, s’adressant à Bukavu à ses partenaires du Cerea [1] quelques mois avant la proclamation de l’indépendance en 1960, il avait souligné que, laissés à eux-mêmes, les Congolais auraient beaucoup de peine à gérer un pays moderne. « C’est avec les Blancs de bonne volonté, ceux qui nous respectent et aiment notre pays souvent autant que nous-mêmes, que nous allions construire le Congo ». Actualisée, l’idée de Lumumba doit être comprise comme l’obligation, pour les Congolais, de faire appel à l’expérience des étrangers vivant avec eux pour combler leurs lacunes afin de mieux gérer leur pays.

La confiance de Patrice Lumumba dans la capacité des Congolais à mener avec succès une politique de développement économique se fondait sur une compréhension objective des éléments de la situation du pays : malgré sa cohorte de morts, de brimades, d’humiliations, de spoliations et de souffrances de toutes sortes, la colonisation avait eu également pour conséquence d’unifier le Congo et ainsi de permettre la naissance au sein de ses habitants d’un puissant sentiment d’appartenance à un même pays. En effet, les Congolais se percevaient désormais plus à travers leur nouvelle nation que par les liens à leurs tribus d’origine.

La réussite n’était possible qu’en intégrant résolument la culture de développement et, en plus, en organisant la participation dans la gestion de notre pays des personnes d’origine étrangère engagées avec nous dans le combat pour la liberté et la dignité des Congolais. En tout état de cause, la conviction profonde de Lumumba était que c’est par le travail que notre peuple devait « montrer au monde ce dont l’homme noir est capable en ayant recouvert sa liberté ».

Lumumba croyait que les Congolais devaient travailler plus durement que sous la colonisation ; un travail libre, volontariste, conscient, entièrement destiné au développement de l’économie de notre pays et à la satisfaction des besoins de sa population. « Etant donné que nous travaillons 8 heures par jour sous la colonie, nous devrons travailler 10-12 heures pour le Congo indépendant ».

En plus, Lumumba avait des idées biens arrêtées en matière de développement. Ancien fonctionnaire de la Poste, il avait gardé une bonne impression des performances de l’administration coloniale, réputée être la meilleure du continent. Ses exactions mises à part, c’était une administration, forgée par des agents dévoués, au contact des réalités du terrain. Quoi qu’une bonne partie d’entre eux ait été formés dans l’esprit du mépris du Noir, il y eut ceux qui firent preuve de sympathie envers les Congolais, si pas de solidarité, en prenant des risques pour leur carrière. Lumumba attira l’attention de ses camarades sur le fait que c’est sans bulldozer ni autres machines que furent bâtis routes et ponts par les ouvriers congolais sous la direction de ces agents coloniaux ; que missionnaires, maints agents de l’administration et des entreprises mangèrent la même nourriture que la population et vécurent en brousse sans confort. Le leader congolais continua son explication en disant que dans le Congo indépendant, il faudrait privilégier les expériences qui avaient déjà été testées avec succès, étant donné que nous n’avions ni les moyens ni le temps de chercher à inventer d’hypothétiques modèles propres au Congo. Le seul changement, à ses yeux, devait être celui du travail : travailler davantage, dans la posture d’une adhésion libre et patriotique, dans le but d’améliorer la productivité, et donc de bâtir un pays prospère.

Plus d’un demi-siècle après, il sied de s’émerveiller sur la pensée visionnaire de Patrice Lumumba. C’est un homme qui avait compris très vite que s’engager sur la voie de l’invention des modèles propres aux Congolais impliquait des coûteuses recherches, alors que les moyens financiers étaient limités et que, de toute façon, il faudrait un temps long pour espérer parvenir à des résultats significatifs. Habitant de Stanleyville, Patrice Lumumba connaissait bien le centre des recherches agronomiques de Yangambi. Avec sa boulimie de savoir, il s’était beaucoup informé tant auprès du personnel congolais que des expatriés belges qui acceptaient de satisfaire sa curiosité.

Interrogé sur l’expression « kulipa manjanja » (payer l’impôt en swahili de Stanleyville) utilisée lors de son meeting à Bagira [2], Lumumba s’était longuement appesanti sur la question de l’impôt. « Sans impôt, il n’y a pas d’Etat » fit-il observer. Il fit part de sa détermination à mener une vaste et longue campagne de mobilisation pour amener le citoyen congolais à intérioriser la nécessité d’accomplir ses obligations fiscales. Sans impôt, l’Etat ne peut acquérir les moyens de développer l’économie nationale et de répondre aux besoins d’une population aspirant au progrès matériel. « Si l’Etat recueille suffisamment d’impôts, il pourra construire des écoles, des universités, des hôpitaux, des routes et des ponts, des chemins de fer, des aéroports et des usines pour transformer nos matières premières », dit-il.

A une époque où les questions concrètes de gestion du pays, particulièrement sur le plan économique, semblaient ne pas beaucoup intéresser les politiciens congolais, on ne peut que s’émerveiller sur la précocité et la justesse de la pensée de Patrice Lumumba.

A ce jour, l’indépendance pour laquelle sont morts Patrice Lumumba et maints de patriotes congolais a tourné au cauchemar pour le peuple congolais. Certes, l’interventionnisme des forces néo-colonialistes et impérialistes a très largement contribué à dessiner l’orientation désastreuse prise par notre pays depuis un demi-siècle. Chaque fois que le peuple congolais a voulu se débarrasser des dirigeants corrompus et au service des forces d’exploitation, une puissante coalition des forces étrangères s’est mise en mouvement pour l’en empêcher. Cependant, il faut aussi reconnaître, au fil du temps, la pleine responsabilité des élites congolaises dans la détérioration continue de la situation de leur pays. Ces élites, surtout lorsqu’elles accèdent au pouvoir, deviennent pires que les mercenaires. Elles participent au pillage, sans précédent, de leur propre pays et à l’aggravation de la misère de leur peuple. Actuellement, ces élites indignes ont atteint un degré de technicité élevé dans la perpétration du crime de pillage de leur pays et ont significativement accru leur rôle de collaborateurs au service des compagnies minières internationales peu scrupuleuses et autres groupes financiers maffieux.

Cette situation ne s’explique pas seulement par l’attirance des élites pour l’enrichissement rapide et le pouvoir, mais aussi, sinon surtout, par l’absence d’une pensée, d’une idéologie susceptible d’aiguiser le sens de responsabilité et d’engagement en faveur du combat pour la dignité et le bien-être matériel de notre peuple.

Sous ce rapport, les idées de Patrice Lumumba paraissent non seulement d’une brûlante actualité mais aussi d’une justesse historique. La pensée de Lumumba a le mérite inestimable d’intégrer dans sa vision la dimension historique et sociologique caractérisée par le fait que des personnes d’origine étrangère soient devenues des membres actifs, à part entière, de la société congolaise, de cœur, de fait et même de droit, quoi que la législation instaurée par le pouvoir dictatorial de Mobutu ait freiné de quatre fers pour empêcher l’acquisition de la nationalité congolaise par les étrangers. Le pouvoir était apeuré par leur éventuelle implication dans la gestion de la chose publique, ce qui aurait eu pour conséquence de perturber son rôle de prédation.

C’est pourquoi il est nécessaire que, nous lumumbistes, survivants des luttes pour l’indépendance et contre le néocolonialisme, auxquels se joignent les jeunes patriotes et autres amis du Congo, notre rôle soit non seulement de ramener à la lumière de l’histoire la pensée de Patrice Lumumba mais d’édifier, sur la base de cette pensée juste et clairvoyante, une véritable idéologie susceptible d’aider les Congolais à appréhender les enjeux de l’édification et de la gestion de leur pays sous le prisme de l’intérêt général et d’un patriotisme constant et lucide.

Notre responsabilité nous oblige à revisiter les fondamentaux de la pensée de Lumumba et de l’enrichir des acquits de notre propre expérience. En l’occurrence, la prise de conscience des mutations intervenues dans le monde et donc la nécessité de nous servir de l’expérience des autres pour éclairer notre itinéraire.

En effet, il faut partir de la réalité établie que notre pays est une création coloniale, donc non endogène, ce qui engendre, dès le départ, une contradiction entre notre état d’évolution naturelle et le fait que nous soyons devenus, par un accident de l’histoire, propriétaires d’un Etat moderne. C’est un fait de l’histoire qui est la marque de beaucoup d’autres pays. En termes d’évolution, la mutation du statut des tribus parfois antagonistes en peuple congolais ainsi que la naissance de notre pays sur un espace bien délimité constitue un saut historique de plusieurs milliers d’années. La colonisation n’a duré, pour les plus optimistes, que 80 ans, soit trois générations, si on prend 25 ans pour une génération. Patrice Lumumba avait eu le mérite de comprendre que ce n’est pas en trois générations que nous pouvions acquérir les armes culturelles permettant de gérer un pays moderne, vaste, riche et objet de toutes les convoitises. Il est dommage qu’il n’ait pas vécu suffisamment longtemps pour pouvoir mieux construire et formuler sa pensée.

Cependant, son engagement dans la lutte contre le colonialisme et pour l’indépendance fut total, ce qui, à première vue, paraît contradictoire. En réalité, il avait une pleine confiance dans son peuple qui, sous la direction d’une élite patriote, aurait été capable de combler les lacunes de la formation par la nature de son engagement au service de son pays. Lumumba avait compris, peut être sous l’éclairage de son camarade Kwame N’Krumah, qu’il fallait « chercher le royaume politique d’abord, le reste vous sera donné par surcroît ».

A la lumière des mutations intervenues dans le monde depuis 50 ans, on constate que si le Congo apparaît comme un des exemples-type de ce qui s’appelle aujourd’hui un « Etat failli » il sied de reconnaître également que c’est quasiment toute l’Afrique noire ( plus Haïti) qui va mal, alors qu’en Asie et en Amérique latine le progrès économique est incontestable. Or, il semble se dégager que ces pays, surtout en Asie, sont des pays ayant fait depuis mille ans au moins leur révolution technologique primaire : l’invention ou l’adoption de la roue, la charrue, la traction animale, le gouvernail, la boussole, etc.

Cette situation contraste évidemment avec celle de la plupart des pays d’Afrique noire et Haïti dans lesquels les instruments de production demeurent la houe et la machette, les déplacements et le transport des charges se faisant à dos d’homme. Or, il semble évident que les instruments de production ont une influence décisive sur la pensée humaine, sur le rapport à la gouvernance, à la vision du monde.

Sans une révolution au niveau des outils de production, il sera difficile à l’Afrique noire en général et au Congo en particulier de s’approprier réellement la culture de développement. Le reste n’est qu’un saupoudrage destiné à entretenir l’illusion, sinon à permettre la continuation des systèmes de pillage qui ont vu certains dirigeants s’enrichir énormément alors que l’appauvrissement de leurs peuples ne fait que s’accroître.

C’est à partir du moment où les Congolais seraient capables de produire des biens en quantité, d’être à l’abri de la faim par leurs propres efforts qu’ils pourront produire des élites ayant une conscience historique, par conséquent susceptibles de se lier au sort de leur peuple au lieu de concourir au pillage de leur propre pays. La conscience historique est ce sentiment qui pérennise dans l’être humain une perception objective de l’espace et du temps : on est constamment appelé à voir ce que font les autres, à se comparer à eux et, naturellement, incités à copier leurs réussites. C’est l’absence de cette conscience historique qui fait que nos dirigeants n’éprouvent aucune honte lorsqu’ils observent des milliers de nos compatriotes qui se noient dans les océans pour tenter d’échapper à la misère et à la tyrannie ; des dirigeants qui n’hésitent pas à massacrer leurs concitoyens et s’indignent lorsqu’à l’extérieur on leur demande des comptes. La souveraineté serait la justification de la prédation et de la tyrannie. Rappelons-nous que Marx avait dit que la honte est un sentiment révolutionnaire.

Etant donné que nous sommes condamnés à brûler les étapes dans notre évolution, nous devons tenter d’aller directement vers le machinisme en enjambant le stade de la traction animale. La solution serait la mécanisation massive de l’agriculture non pas au moyen des machines-outils sophistiqués mais avec des motoculteurs. Le programme devrait comprendre, en même temps, la construction d’écoles professionnelles pour la formation des mécaniciens, des tourneurs, des tôliers, des motoristes, d’agronomes, des vétérinaires, des maçons, des charpentiers etc. et l’érection des fours artisanaux pour produire, dans le même environnement, les pièces détachées progressivement, des plus simples aux plus élaborées, jusqu’à ce que l’ensemble de l’outil, dans un délai de 20 ans tout au plus, puisse être entièrement produit sur place. Ce n’est que de cette manière que peut se forger une culture de développement, en d’autres termes, une mutation des mentalités.

Pendant le « Bond en Avant » dans les années 50, les Chinois avaient implanté des fours artisanaux dans les villages. Bien avant eux, c’est grâce aux métaux fondus dans des petits fours installés partout en Angleterre que les Anglais purent opérer leur révolution industrielle.

L’emballement pour « l’enrichissement sans cause », coûte que coûte, cessera d’avoir l’attirance morbide qu’elle exerce actuellement sur les élites africaines. Après tout, les dirigeants occidentaux ne sont pas pauvres. Le système capitaliste permet aux décideurs de bénéficier de confortables commissions. Cela veut dire que nos dirigeants pourraient s’enrichir un peu plus proprement, en travaillant plus pour l’intérêt général.

Aussi, on peut affirmer que par la révolution de l’outil de production, le Congolais peut faire un saut historique significatif et « entrer réellement dans l’histoire ». On comprend donc que seules des élites ayant une conscience historique sont capables de gérer leurs sociétés au mieux de ses intérêts. Par une gestion sérieuse à l’intérieur, ces élites peuvent se créer une bonne réputation à l’extérieur puisqu’elles pourront faire preuve d’esprit de responsabilité dans la gestion du patrimoine public ; qu’elles se montreraient respectueuses de leurs engagements.

En effet, l’un des reproches adressés aux dirigeants africains, congolais en particulier, est de signer des contrats dont ils oublient les obligations. Conséquences : nos pays brillent par l’incapacité à honorer leurs dettes. La première raison pouvant expliquer cette situation est le manque de sérieux dans la négociation des contrats : les plénipotentiaires ne sont pas les éléments les plus capables mais des parents ou des amis, qui ne sont intéressés que par l’importance des commissions à empocher.

Dans une situation comme dans l’autre, les intérêts du pays passent au second plan. Par conséquent, la mauvaise réputation qu’ont nos pays à l’étranger n’a rien d’étonnant. Nos dirigeants n’ont aucune crédibilité, même dans le chef de ceux qui sont censés être leurs partenaires dans les affaires. La preuve est que, à une époque où on délocalise massivement pour minorer les frais de production, peu d’entreprises occidentales choisissent de s’installer en Afrique noire, alors même que la situation géographique du continent permet des coûts de transport moins élevés et que la main d’œuvre y est également moins chère qu’en Asie.

Le discours des élites africaines tendant à incriminer uniquement l’interventionnisme extérieur pour expliquer les contre-performances des pays du continent est devenu manifestement contre-productif dans la mesure où il ne colle plus à la réalité.

En effet, l’analyse de l’évolution des relations internationales permet de constater que l’idée selon laquelle ce que Samir Amin a nommé « le centre » s’oppose au développement de « la périphérie » est devenue obsolète. En réalité, on observe que le capitalisme moderne s’affranchit de certaines sensibilités passées de type raciste. Le capitalisme moderne a besoin des marchés capables d’acheter les produits de ses industries. Plus un pays du Sud émerge sur le plan économique, plus les grandes entreprises occidentales montrent un empressement à établir avec lui un partenariat.

C’est donc la vision des choses que beaucoup conservent en Afrique, basée sur la victimisation, qui doit changer. D’autres régions du monde ont eu la même relation historique que l’Afrique avec l’Occident. Elles sont passées à autre chose. L’Afrique doit se décider à réfléchir autrement.

Il se pourrait que la discussion sur l’adaptation à la démocratie occidentale mérite une considération plus objective dans la mesure où les élections, dans des pays marqués par l’importance de la tribu, ont eu pour résultat de fragiliser l’unité nationale comme on l’a vu dans certains pays. En revanche, le despotisme d’un individu paraît produire des résultats encore plus catastrophiques.

Si on considère un modèle comme celui de la Chine, on se trouve en présence de la dictature d’un parti, c.à.d. d’un groupe d’hommes par ailleurs aux origines géographiques diverses unis d’abord par leurs idées. Ce modèle pourrait peut-être mieux convenir à la situation africaine, mais faut-il encore que le rapport au pouvoir puisse changer !

L’absence d’investissements a été longtemps le tendon d’Achille des économies africaines. Les financements des institutions de Bretton Woods ne furent pas toujours conçus dans une véritable optique d’aide au développement. Souvent, ces financements n’ont fait qu’aggraver le problème d’endettement. La Chine a complètement changé la donne dans ce domaine. Elle a les moyens et la volonté d’investir en Afrique. Evidemment, le résultat final de la coopération avec la Chine (et l’Inde) dépendra de la manière dont les Africains négocient avec leurs partenaires. Il y a encore quelques années, les investissements de Pékin bénéficiaient de la garantie de l’Etat chinois. Actuellement, les entrepreneurs chinois sont devenus des opérateurs capitalistes comme les autres, soumis également aux lois du marché. C’est pourquoi il sied de négocier intelligemment avec eux, en privilégiant les intérêts du pays plus que les commissions à empocher.

Le facteur temps apparaît comme le principal ennemi contre lequel nous sommes condamnés de lutter. Alors qu’ailleurs des pays qui étaient dans les mêmes conditions que les nôtres arrivent à se tirer d’affaires, la situation du continent noir, et du Congo en particulier, trouvera de moins en moins de compréhension dans le monde. Aussi, pour accélérer les changements au Congo, on devrait coupler certaines décisions symboliques suivantes à la politique de la révolution de l’outil de production :
-Obliger d’effectuer les transactions à l’aide des unités de mesure (kilo, litre, mètre) et interdire la pratique du tas.
-Borner toutes les voies de communication afin d’habituer la population à évaluer les distances plus correctement ;
-Rendre obligatoire l’installation d’une horloge parlante sur le fronton de tous les édifices publics jusqu’aux plus modestes pour favoriser une culture de la meilleure gestion du temps. Inventer les modalités permettant l’application de la même décision dans les villages ;
-Prendre des mesures drastiques de santé publique et d’hygiène devant interdire des pratiques telles que manger à même le sol, la production et la consommation des alcools frelatés, devenue un véritable fléau à l’intérieur du pays.

En résumé, le lumumbisme doit être compris, sur le plan économique, comme une idéologie qui a pour base :
-La promotion d’une économie centrée sur l’investissement humain, donc le travail en tant que facteur qui valorise l’individu, permet son épanouissement et mérite d’être bien rémunéré ;
-Le travail comme valeur cardinale autour de laquelle doit être bâtie la société congolaise ; travailler étant une obligation et en même temps un droit de tout un chacun ;
-La construction d’une économie mixte Etat/privé dans laquelle l’Etat joue un rôle d’encadrement indispensable. L’Etat doit concevoir des mécanismes pour encourager le civisme fiscal et être en mesure de récolter l’impôt aussi bien des individus que des entreprises pour se donner les moyens d’assumer ses missions dites régaliennes ;
-La passation des marchés et, d’une façon générale, la gestion de l’économie doit se faire en priorité dans l’intérêt général. La recherche de l’enrichissement personnel par les mandataires publics doit être considéré comme crime économique imprescriptible ;
-D’une façon générale, la corruption la concussion, la prévarication et le détournement des deniers publics par les mandataires de l’Etat doivent devenir des crimes imprescriptibles ;
-La promotion d’une politique d’industrialisation par la transformation locale des matières premières nationales sans laquelle il sera impossible au peuple congolais de s’approprier la culture du développement ;
-La fixation des objectifs industriels clairs et définis, tels que la production au bout d’un délai défini des vélos, des motocyclettes, motoculteurs, des camionnettes, des engins de navigation fluviale et lacustre afin de favoriser un effet d’entraînement susceptible de provoquer une mutation structurelle de la société congolaise ;
-Promouvoir une agriculture de développement destinée à l’autosuffisance alimentaire dans un premier temps, puis s’orienter vers l’exportation des surplus ; étendre et diversifier l’élevage du gros bétail ; favoriser le croisement des races locales de buffles et des zébus d’origine étrangère afin de créer un produit d’exportation de qualité au label congolais ; développer la production du lait, dont la consommation par la population congolaise doit être généralisée ;
-Développer la pisciculture afin d’accroître la production des produits aquatiques ; s’adonner à l’élevage du crocodile en raison de sa viande d’excellente qualité et dont la peau est prisée en maroquinerie ;
-Une politique de gestion responsable des fleuves, rivières et lacs qui consiste à protéger des espèces menacées ; à interdire la pèche pendant une période donnée pour favoriser la reproduction des poissons ; la sélection de certaines espèces pour l’exportation ;
-Une politique de reboisement intensif pour lutter contre les érosions particulièrement au Kasaï oriental, aux Kivus et en Ituri ;
L’interdiction de l’exportation du bois brut au profit de la transformation locale en produits finis pour le marché local et l’exportation ; l’organisation des expositions permanentes à l’étranger des produits de l’industrie congolaise du meuble ;
-Promouvoir une politique de grands travaux impliquant une nombreuse main d’œuvre non qualifiée par exemple pour la construction des barrages ou des voies secondaires de communication, moyen par excellence pour accroître la confiance de la population en ses capacités de création ;
-Instaurer chaque année une foire des inventions où sont exposées les créations des Congolais, lesquelles s’évanouissent souvent dans la nature, faute de soutien ;
-Favoriser une politique d’intégration nationale via l’intensification des échanges interrégionaux ; armer, dans ce but, des petites embarcations devant naviguer sur les nombreux lacs et cours d’eau du Congo ; créer des écluses ou des canaux pour prolonger la navigation ; mieux sécuriser la navigation par pirogue, le moyen de transport le plus usité, en concevant et en rendant obligatoire des bouées de sauvetage appropriées ;
-Créer dans chacune des provinces des écoles agricoles spéciales qui auront pour but de former des jeunes spécialement destinés à exploiter de nombreuses terres agricoles laissées à l’abandon. A cet égard, partir de l’expérience du défunt Service national ayant consisté à regrouper un certain nombre de jeunes de différentes origines destinés à créer et à exploiter des fermes sur différents sites du territoire national ;
-L’interdiction faite aux mandataires publics de faire des affaires ;
-Dans le domaine de l’entreprenariat, tous les marchés publics d’une valeur égale ou inférieure à 2 millions d’Euros doivent être attribuées aux entreprises congolaises ; en deçà de 5 millions d’Euros, les entreprises autorisées à concourir doivent avoir des associés congolais tant au niveau du capital que du management.
Dans tous les cas, l’attribution des marchés doit se faire suivant les règles habituelles d’adjudication, et de manière transparente.
-Le développement de l’industrie du tourisme ayant pour ossature l’exploitation des sources d’eaux thermales à l’Est du pays, la réhabilitation des parcs nationaux, en particulier la Rwindi et Garamba, la reconstitution des réserves de chasse, la création d’un circuit touristique intégré avec les pays d’Afrique orientale.

Gilly, le 6/12/2010

Albert KISONGA a été, a 17 ans, membre du cabinet du Ministre de l’Information du gouvernement Lumumba. Par la suite, il fut notamment directeur du journal Demain le Congo, avant d’être ambassadeur du Congo en Belgique de 2000 à 2003. Il est l’auteur de 45 ans d’histoire congolaise, l’expérience d’un lumumbiste et d’Africains, nous devons changer (éditions L’Harmattan).

Notes :

[1Centre de regroupement africain

[2Une commune de la ville de Bukavu


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