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La révolution informationnelle, une critique
par Jean-Claude Delaunay

Je souhaite montrer que la notion de « révolution informationnelle » présente deux inconvénients majeurs relativement à l’interprétation de la société contemporaine.

1) Elle conduit à la connaître de façon technicienne. Elle ne rend pas compte du procès de travail contemporain et de son évolution relativement à celui de la société industrielle.

2) Elle biaise cette connaissance et conduit, par exemple, à mettre de côté des pans entiers du salariat. . En raison de ces effets, ma conclusion est que cette notion, prise comme centre explicatif de la société contemporaine, est politiquement inadaptée.

Et pourtant, elle dispose d’une assiette politique et scientifique importante dans le milieu communiste français. Le Parti communiste français en fait usage. Elle joue un rôle interprétatif de premier plan dans le texte dit de la Base commune. Cette notion est également diffusée par des publications, comme la revue Economie et Politique. Enfin, elle est défendue en France par plusieurs auteurs.

La présente note est divisée en trois parties. 1) Les principaux éléments semblant justifier l’usage de la notion de révolution informationnelle. 2) La critique de cette notion. 3) Une conclusion

I LES ELEMENTS SEMBLANT JUSTIFIER LA THESE DE LA REVOLUTION INFORMATIONNELLE

A mon avis, l’expression « révolution informationnelle » semble « aller de soi » pour trois raisons.

1) Elle désigne intuitivement, dans l’esprit de la masse des gens (et sans doute aussi de ceux qui la défendent), les ordinateurs personnels, les appareils TV, les téléphones mobiles, ainsi que les applications de la technologie informatique aux activités les plus diverses. Elle désigne aussi les changements associés à l’usage de cette technologie (vitesse, fiabilité et étendue de la communication, ampleur, rapidité et facilités du traitement de données).

2) Une deuxième raison pour laquelle la notion de « révolution informationnelle » semble aller de soi est que les entreprises, aujourd’hui, sont de plus en plus organisées autour de leur système d’information. Les illustrations sont nombreuses : informations pour les salariés (intranet), veilles technologiques, informations pour les clients, fichiers de clientèle, etc. On ne conçoit pas qu’une grande entreprise visant à mondialiser ses activités puisse se projeter dans l’espace sans penser d’abord à son système d’information. Les entreprises déjà mondialisées ont dû mettre au point des systèmes d’information très puissants, tant en ce qui concerne leurs informations productives que leurs informations financières. Par contrecoup, toutes les entreprises, les administrations, les collectivités sont concernées et pas seulement les multinationales. L’information apparaît comme une donnée structurante. Elle est, comme on dit, stratégique.

3) Une troisième raison, qui complète la précédente, tient à l’existence de réseaux d’entreprises, de groupes, d’individus. La réussite de la connexion entre ces diverses entités repose sur des systèmes d’information et de communication modernes.

Quel est donc, à partir des trois observations que je viens d’indiquer, la rationalisation théorique conduisant à l’idée de révolution informationnelle. En essayant d’imaginer comment raisonnent ceux qui partagent cette approche, la démarche qu’ils suivent est, selon moi, la suivante.
Jusqu’à ce jour, les époques sociales auraient été différenciées par des technologies. On parle, à juste titre, de l’âge de la pierre, de l’âge du bronze pour caractériser globalement des époques très anciennes. De même, quand on observe la société industrielle, on sait le rôle primordial qu’y a joué la machine-outil industrielle.

Dans ces conditions, pour décrire notre époque, il paraît légitime de désigner l’ordinateur comme le levier de la révolution sociale en cours. Les trois grands points que j’ai indiqués vont en ce sens. Pour passer maintenant de l’âge de l’ordinateur à la « révolution informationnelle » voici comment on peut raisonner.

L’information étant la matière première de l’ordinateur, mais pouvant être de bonne ou de mauvaise qualité d’une part, pouvant être gratuite ou payante d’autre part, la théorie permettrait de comprendre que :

1) l’information doive être de « bonne qualité ». Pour des communistes, les dimensions démocratique et culturelle sont des caractéristiques de bonne qualité.

2) l’information doive être gratuite ou quasi gratuite (ce qui serait possible eu égard à sa reproductibilité quasiment infinie) pour réduire les frais induits, dans le cadre du système capitaliste, par cette révolution.

3) les ordinateurs doivent être suffisamment nombreux et accessibles (formation) pour que tout le monde puisse bénéficier de cette révolution,
Intervenir sur ces trois points supposerait d’agir centralement contre le système capitaliste. Finalement, la conclusion à laquelle j’aboutis au terme de cette première partie semble contredire mon intention critique initiale puisque la notion de « révolution informationnelle » stimulerait tout à la fois le combat politique, le combat économique et le combat culturel. Comment puis-je prétendre que cette théorie est inadaptée ?

II CRITIQUE DE LA THEORIE DE LA REVOLUTION INFORMATIONNELLE

La théorie de la révolution informationnelle est, selon moi, le résultat d’une illusion d’optique. Elle découle de ce que ses partisans accordent à une fraction du travail mort, conformément à la tradition marxiste du Manifeste, même s’ils s’en défendent, un rôle déterminant dans la structuration du travail vivant.

Je vais présenter tout d’abord ce que j’appelle « la problématique du travail mort ». Je présenterai ensuite « la problématique du travail vivant ».

A) La problématique du travail mort

a) Présentation

La question que se posent les partisans de la théorie de la révolution informationnelle est la suivante : quel est la fraction du travail mort qui, étant à l’œuvre dans la société contemporaine, en bouleverse le fonctionnement ? Ils se posent la question du travail mort parce que, pour eux, ce sont les instruments qui sont déterminants des rapports sociaux, et donc du travail vivant : autrefois la pierre, le bronze, le moulin, la machine-outil. Aujourd’hui quel instrument ?

Aujourd’hui ce travail mort particulier, révolutionnaire, est l’ordinateur dont la caractéristique principale, disent-ils, est d’effectuer certaines opérations du cerveau humain. Ayant ainsi apporté un premier élément de réponse à la question de savoir quel est le travail mort en train de bouleverser la société contemporaine, les partisans de la « révolution informationnelle » en ajoutent un second, à savoir l’information. Celle-ci est un résultat. Elle résulte de ce que l’ordinateur remplace certaines fonctions du cerveau humain. Elle est donc encore du travail mort.

Au total, le travail mort révolutionnaire de la société actuelle serait un travail à deux composantes : les ordinateurs et l’information, la deuxième composante étant plus importante que la première puisqu’elle représente l’aboutissement des opérations réalisées grâce à l’ordinateur.

Bien sûr, ce travail mort à deux composantes mettrait en branle du travail vivant. Mais ce dernier serait celui de tout le monde. A la différence de la machine outil industrielle mettant en branle les ouvriers, le travail vivant mis en œuvre par les ordinateurs et l’information serait celui de tous les salariés (et au-delà), travaillant avec ces instruments particuliers. Cela dit, pour révolutionner la société, ce qui est proposé à ces salariés (et à l’ensemble de la population) n’est pas tant d’intervenir sur leurs procès de travail et de production proprement dits, mais de le faire en amont et en aval de l’information utilisée. En amont pour veiller à la qualité démocratique et culturelle de l’information entrant dans les processus de production, pour former la main-d’œuvre à son usage productif. En aval pour partager l’information et en assurer ainsi la gratuité.

En raison de l’importance du partage pour réduire les coûts de fonctionnement de la société, et dégager des ressources nouvelles, les informations les plus susceptibles d’être partagées, à savoir les résultats des recherches fondamentales, sont valorisées par cette théorie. On observe d’ailleurs un glissement quasi permanent, chez certains auteurs, entre l’information et les résultats de la recherche.

Au total ma compréhension de cette théorie est la suivante. Pour les partisans de la révolution informationnelle, le travail mort, central et moteur de la société nouvelle serait l’ordinateur ainsi que l’information, son produit « naturel ». Le travail vivant devant être mobilisé pour la lutte révolutionnaire serait celui de l’ensemble des salariés, en raison de la très grande généralité de l’information. Mais cette mobilisation se ferait à la périphérie des procès de travail et de production : pour former la main-d’œuvre, pour veiller à la qualité de l’information, pour la rendre gratuite. Les résultats dont le partage serait le plus productif de gains pour la société seraient ceux de la recherche.

b) Interrogations induites par cette théorie.

*L’information n’est-elle pas une notion fourre-tout, très imprécise tant au plan scientifique que politique ? Puisque tout est information, tout travail est informationnel. Mais l’information est-elle « une bonne entrée » auprès de l’ensemble des travailleurs ? N’existe-t-il pas des travaux plus informationnels que d’autres ?

*Avec cette théorie, ne perd-on pas le contact avec les procès de travail concrets ? Puisque tout est information, les principaux problèmes qui se posent dans la société ne seraient-ils pas surtout de nature culturelle ou éducative ?

*Les notions mises en avant par les théoriciens de cette révolution supposée ne relèvent-elles pas de la consommation (partager, mutualiser) et non de la production ? Ce qui rejoint notre interrogation précédente. Dans ce cas, l’action révolutionnaire consisterait à intervenir sur des processus de consommation et non de production ?

*La théorie de la « révolution informationnelle » n’est-elle pas naturellement porteuse d’une approche mondialiste de la lutte anticapitaliste (l’information ne connaîtrait pas de frontières) ? Mais qu’en est-il, dans ce cas, des réalités nationales ou régionales ? Comment intégrer ces niveaux politiques fondamentaux dans la « révolution informationnelle » ?

J’ai toujours pensé que la théorie de la « révolution informationnelle » était « pleine de trous » . D’où les interrogations mentionnées ci-dessus. En même temps, je partage l’idée selon laquelle les ordinateurs et l’information sont de première importance dans la société contemporaine, et je n’ai pas attendu de lire des écrits sur la « révolution informationnelle » pour m’en convaincre. Comment concilier ces deux convictions, apparemment incompatibles ?

B) La problématique du travail vivant

a) Présentation

Pour les tenants de la « révolution informationnelle », le cœur de la révolution en cours est du travail mort (fonctionnant dans certains rapports sociaux). Il me semble, au contraire, que les changements actuels les plus fondamentaux, dans les sociétés développées, se trouvent dans le travail vivant (fonctionnant dans certains rapports sociaux).

Or le fait de dire que l’ordinateur assure certaines fonctions du cerveau n’est pas de nature à introduire le travail vivant dans l’interprétation des phénomènes considérés. Après tout, la machine outil industrielle assure elle aussi certaines fonctions du cerveau. On peut considérer qu’il s’agit de fonctions très élémentaires, en comparaison de celles prises en charge par les ordinateurs, par les machines à commande numérique ou par les robots. On peut estimer, selon moi à juste titre, qu’il existe des différences qualitatives entre ces différents matériels. Il reste que, dans tous les cas, ils matérialisent du travail mort.

Le rôle du travail vivant dans le processus de la « révolution informationnelle » est donc ailleurs. Il tient à ce que, selon moi, l’information en soi n’existe pas. Ce point est fondamental. Il n’existe pas d’information qui ne soit produite par du travail vivant et qui ne nécessite en permanence du travail vivant pour être utilisée et reproduite. Travail humain vivant permanent et information ne sont pas dissociables. Sinon, l’information dont on dispose est une information morte, à la manière de celle fournie par les robots téléphoniques indiquant à la personne qui téléphone d’appuyer sur la touche 1 ou 2 ou 3, etc.

Cela change tout. Si on estime que l’information occupe une place centrale dans les changements en cours, mais qu’elle n’a de sens qu’en tant qu’information constamment travaillée par du travail vivant, ce qui importe plus encore que les informations sont les activités qui produisent, stockent, transfèrent et transforment l’information. Or ces activités qui produisent, stockent, transfèrent et transforment l’information ont un nom, ce sont des activités de service. Tous les services ne sont pas informationnels. Il existe des services plutôt matériels, au sens classique du terme. Cependant, les services modernes se développent de plus en plus comme services à haut niveau de technologie et connaissances. Ce sont les activités de services qui utilisent le plus d’ordinateurs et d’informatique. L’information est leur résultat le plus fréquent ainsi que leur matière première.

Ce qui est révolutionnaire, dans la société contemporaine développée, ce ne sont pas tant les ordinateurs et l’information. C’est le fait que le travail vivant est en permanence indispensable au fonctionnement réellement productif du travail mort que sont les ordinateurs et l’information déjà obtenue. L’ordinateur n’est pas seulement un instrument permettant de contrôler, exploiter, dominer le travail vivant, à la manière d’une machine-outil contrôlant le travail de production matérielle et contribuant ainsi à son exploitation. C’est un instrument nécessitant que le travail vivant soit en lui en permanence pour exister en permanence comme instrument d’exploitation du travail vivant.

b) Conséquences théoriques et politiques

C’est à partir de ce raisonnement que Quynh Delaunay et moi-même avons été conduits dans Lire le Capitalisme contemporain, Essai sur la société du 21è siècle, Le Temps des Cerises, (après d’autres travaux) à mettre en discussion la théorie de « la révolution informationnelle » et à défendre la théorie selon laquelle les sociétés développées étaient entrées dans l’ère des services. Certes, des services de haut niveau technologique et parfois de haut niveau de connaissance, mais des services quand même.

Il est apparu beaucoup plus simple, en suivant la voie des services, de reconstruire le mouvement ayant conduit à cette révolution et de percevoir les énormes problèmes rencontrés aujourd’hui par le capitalisme, qu’en suivant celle de la « révolution informationnelle ». Cette dernière fait marcher la réalité sur la tête. Nous avons cherché à remettre sur pieds notre conception de la réalité, l’ordinateur devenant alors la conséquence du développement des services en général.

Cela nous a permis de mieux réfléchir à ce que pourrait être, selon notre point de vue, l’action devant être menée au plan politique pour contribuer à transformer la société en profondeur.

Car le niveau informationnel des services est différent d’une activité à l’autre. La qualification informationnelle des gardiens de nuit et des nettoyeurs de bureaux n’est pas la même que celle des agents de banque ou du Trésor. Mais puisque nous privilégions l’aspect « service » l’avantage de notre approche est le suivant : il est possible, de s’adresser de la même manière à tous ces travailleurs, quel que soit le niveau informationnel de leurs compétences, en leur posant une question normale quand on a en tête que l’on est en présence de services : A quoi servez vous ? Pouvez-vous rendre service en effectuant votre métier comme on vous enjoint de le faire, avec les moyens à votre disposition ?

Supposons que l’on s’adresse aux salariés d’un ensemble hospitalier. Va-t-on s’adresser à eux au nom de la « révolution informationnelle » ? Il est possible que certaines catégories du personnel y soient sensibles. Il reste que l’approche la plus générale, et donc la plus unificatrice de leurs luttes, consistera à demander à tous, fût-ce avec des différences : « A quoi sert votre hôpital ? A quoi servez-vous dans cet hôpital ?A quoi sert la mission de la santé aujourd’hui ? Est-elle satisfaite dans le contexte actuel ? »

Sans faire ici un exposé sur les services modernes, on peut en indiquer quelques caractéristiques fondamentales :

1) Les services modernes sont le produit du degré de richesse et de complexité atteints dans les sociétés développées.

2) Une activité de service est en général une activité prioritairement relationnelle. Il y a, évidemment, du contenu technique dans une activité de service. Mais cette activité se déploie toujours dans un cadre relationnel. Analyser un service suppose donc de mettre au clair les acteurs de la relation considérée.

3) Une activité de service met en rapport direct producteurs des prestations et utilisateurs des prestations (consommateurs). Le problème directement soulevé dans un service est donc celui de l’usage. Qui cela sert-il directement ? A quoi cela sert-il directement ? Telles sont quelques questions venant naturellement à l’esprit lorsqu’on interroge une activité de service.

Derrière cette discussion se profile le problème théorique relatif au rôle respectif des rapports sociaux et des forces productives matérielles. La position que je défends est la suivante : ce sont les rapports sociaux (et donc en premier lieu les procès de travail concrets) qui engendrent le besoin des techniques nécessaires. Ce ne sont pas les techniques qui produisent la nécessité de tels ou tels rapports sociaux.

Dans le cadre du capitalisme industriel, ce sont les rapports capitalistes de travail industriel qui ont engendré le besoin de la machine-outil. Ce n’est pas la machine-outil qui a engendré les rapports sociaux (et notamment les rapports de travail) propres au capitalisme industriel, même si, à un moment donné, travail exploité et machine-outil industrielle ne font plus qu’un. Le premier chapitre du grand livre d’Adam Smith, sur la Richesse des Nations, ne porte pas sur le capital (c’est-à-dire, pour Smith, sur les équipements de la production matérielle) mais sur la division du travail. Il en est de même aujourd’hui, toutes proportions gardées, dans la société nouvelle en émergence.

Pour s’adresser scientifiquement, politiquement ou syndicalement à la société contemporaine, il convient, me semble-t-il, de prendre le point de vue des services et du travail de service, et non de suivre celui de l’ordinateur et de l’information. Le premier point de vue contient le second (l’approche par les services contient l’approche par l’information et lui donne toute sa portée). La relation inverse n’est pas vraie.

Pour terminer cette partie je vais indiquer quelques orientations concernant les services, selon moi non moins révolutionnaires que telle ou telle recommandation issue de la théorie de la « révolution informationnelle ».

1) Le développement de l’industrie va de pair avec celui des services. Lorsque le mouvement populaire revendique, à juste titre, le développement de l’industrie en France, sa revendication doit être associée, me semble-t-il, à celle des services correspondants, comme par exemple la recherche (mais pas seulement).

2) Chaque formation sociale doit trouver la bonne proportion entre industries et services en fonction notamment de son histoire, de son rythme et de ses exigences de développement.

3) Chaque formation sociale doit trouver la bonne proportion, interne au développement de ses services, entre les différentes catégories de services qui les composent, entre la part publique et privée de ces services, certains devant être absolument gérés de manière publique.

Il est pour moi tout à fait clair que la technologie informatique et les préoccupations relatives à l’information accompagnent ces orientations. Les services modernes, sans doute faut-il le répéter, sont des activités à haut niveau de connaissances et de technologies...

III CONCLUSIONS

Dans cette partie figurent deux sortes de remarques. La première a trait aux biais selon moi engendrés par la théorie de la « révolution informationnelle » relativement à l’action politique. La deuxième est une proposition pour avancer théoriquement et politiquement à propos du présent débat.

a) Les biais. Selon moi, la théorie de la « révolution informationnelle », sous son apparente évidence, présente des biais considérables.

1) Elle ne pousse pas à étudier les procès de travail réels et à mener l’action à ce niveau. Elle centre l’attention sur des aspects situés en amont et en aval.

2) Elle ne fournit pas une entrée correcte de lutte pour des secteurs ou des segments du salariat moins engagés que d’autres dans « l’informationnel ».

3) Elle repose sur une approche si générale de l’information (tout est information) qu’elle est imprécise tant en ce qui concerne l’information que les procès de travail réels supposés produire l’information. Les résultats de la recherche, par exemple, sont assimilés à de l’information. Et qu’est-ce que la recherche elle-même ?

4) Elle s’intéresse surtout aux services marchands puisque selon cette théorie, la révolution viendra en grande partie de ce que les informations autrefois payantes seront désormais gratuites. Mais que faire avec l’Etat et les agents de la fonction publique, ces grands oubliés de la réflexion communiste contemporaine ?

5) Elle apporte un appui, selon moi déplacé et inopportun, aux idéologies mondialistes du grand capital. Puisque l’information n’a pas de frontières, cela signifie que les idéologies mondialistes sont justes en tant qu’idéologies mondiales. Ce serait l’information qui transformerait l’espace social et non les rapports sociaux capitalistes de production, de financement et d’échange.

6) Elle nourrit l’idée selon laquelle des gains considérables de productivité seraient réalisables par diffusion gratuite de l’information. La théorie dit de la Sécurité Emploi Formation est fille de la théorie de la « révolution informationnelle ». Leur destin est étroitement lié. Mais si cette dernière s’effondre, l’autre en pâtit.

7) Elle repose sur l’idée traditionnelle selon laquelle ce sont les forces productives matérielles qui déterminent les rapports sociaux, tout en entrant en contradiction avec les rapports sociaux anciens, toujours actifs. La réalité me semble différente. Les ordinateurs et l’information capitalisés fonctionnent à l’intérieur des rapports capitalistes. C’est d’accord. La révolution contemporaine tient à ce que le travail vivant est situé au cœur du fonctionnement du capital et non à l’extérieur de ce fonctionnement. Une base de données de clientèle, par exemple, doit être enrichie en permanence, sinon elle ne vaut rien. Mais ce sont les travailleurs exploités dans leur travail de contact avec la clientèle qui ont la mission d’enrichir la base de données à partir de laquelle ils sont exploités.

b) Proposition pour « avancer » au plan théorique et politique.

Je vais m’efforcer de me situer uniquement au plan du fonctionnement de la théorie.

1) Aujourd’hui comme hier, les interprétations théoriques du capitalisme par des marxistes au plan le plus fondamental peuvent être très différentes, ou différentes, les unes des autres. Or chacun peut être convaincu d’avoir raison. Comment régler ces différences et ces oppositions au bénéfice de l’ensemble de l’organisation à laquelle nous appartenons ?

2) Le moyen de réglage de cette difficulté, le plus important à ce jour, est le débat public. De ce point de vue, le PCF a profondément changé et amélioré ses méthodes de travail théorique. On peut être « contre » ou « pour » sans être banni de l’organisation ou encensé par elle ; En tant que chercheur communiste, j’apprécie évidemment beaucoup cette liberté. Elle est à la base de la créativité théorique.

3) Cependant, dans le fonctionnement concret du PCF, j’ai cru remarquer deux phénomènes.

Le premier tient à ce que cette organisation peut très bien s’en référer à un corpus théorique et agir autrement que ce que commanderait ce corpus. L’exemple le plus récent de cette dichotomie est donné selon moi par l’analyse de la crise financière. Voici une activité de service. Sa crise a été naturellement analysée selon l’approche service et non selon l’approche « révolution informationnelle », même si l’on trouve des allusions à cette théorie. Mais il s’agit alors de manifestations individuelles. Tout se passe comme si le PCF avait une « culture d’entreprise » le conduisant à mener un combat de masse sans nécessairement suivre une théorie qu’il a pourtant choisie comme référence.

La seconde remarque tient à qu’une théorie peut très bien être choisie au plan central du PCF sans que les militants y comprennent quelque chose ou y adhérent ou soient satisfaits par elle. Je me suis souvent trouvé en présence de militants que la théorie de la révolution informationnelle laissait dubitatifs (même chose pour la théorie dite de la sécurité emploi formation), mais sans que cela leur pose trop de problèmes. Ce qui rejoint sans doute la remarque précédente. Une théorie aura donc été retenue, à un moment donné, en fonction d’on ne sait quelle logique. Mais bof ! Il y a toujours suffisamment de grain concret à moudre.

Pourtant la théorie est importante. Si les communistes du PCF sont en mesure de se battre efficacement contre les classes dominantes, sans doute est-ce pour la double raison de leur ancrage de masse dans les luttes et de leur compétence théorique.

Bien que celle-ci soit restée en friche au cours des dernières décennies, cette compétence existe. Il faut la solliciter et la développer. Tout en considérant, par exemple, que l’analyse de la société contemporaine en termes de services ou en termes de révolution informationnelle ne doive pas faire l’objet de réunions générales nombreuses de la part des militants, pourquoi ne pas les solliciter sur ce point, eu égard à ses effets directs sur l’action politique ? Les partisans de la théorie de la révolution informationnelle estiment sans doute que je n’ai rien compris à rien, à supposer d’ailleurs qu’ils aient lu l’ouvrage que Quynh Delaunay et moi-même avons écrit à ce sujet, leur théorie étant examinée et critiquée de manière approfondie.

Moi, de mon côté, je vais penser qu’il s’agit d’une bande de communistes arrogants et prétentieux, absolument inaptes au débat. Je vais même m’interroger sur leur aptitude au combat politique révolutionnaire.
Et après ? Ces oppositions, même agrémentées de noms d’oiseaux, ne mènent à rien.

D’une certaine manière, je serais favorable à ce que les deux thèses figurent dans les actes du prochain Congrès du PCF. Ce compromis formel serait, à mon avis, productif politiquement. Ce document pourrait très bien énoncer d’une part, que la réalité de l’activité sociale est de plus en plus constituée de travailleurs des services, publics et privés, que ces travailleurs sont exploité eus aussi et que, avec un procès particulier de travail, ils font partie du salariat moderne, aux côtés d’autres catégories salariales dont les ouvriers, et d’autre part énoncer que la révolution informationnelle est à l’œuvre.

Au plan théorique pur, un tel compromis peut être considéré comme affreux. Mais au plan théorico-politique il serait, à mon avis, très stimulant. Il inviterait les militants communistes à expérimenter concrètement la signification politique de ces deux conceptions. En leur disant : « Que vous vous battiez pour la gratuité de l’information ou que vous battiez avec et pour les travailleurs des services, vous vous battez pour un monde moderne et certainement meilleur ».

Texte publié sur le site www.communisme21.fr


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