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La richesse révolutionnaire
Par Remi Boyer

« L’illettré du futur ne sera pas celui qui ne sait pas lire. Ce sera celui qui ne sait pas comment apprendre. »

Alvin Toffler

Alvin Toffler est un penseur. Il n’appartient pas à cette petite caste d’intellectuels médiatiques qui produisent un livre par an pour vivre et parcourir les plateaux télés invités par des journalistes complices de leurs leurres, de leurs raccourcis, de leurs mensonges et de leurs petites manipulations.

Le dernier livre d’Alvin Toffler et Heidi Toffler, sa compagne, est le fruit de vingt ans de travail et de réflexion.

Nous nous souviendrons que la plupart des conclusions rationnelles comme des intuitions d’Alvin Toffler, publiées dans Future Shock en 1970 [1], se sont avérées justes.

Alvin Toffler est sociologue et futurologue. Mais sa prospective, tout comme celle de son épouse fait appel à l’ensemble des disciplines qui appréhendent l’humain et ses expressions.

En 1970, Alvin Toffler annonce ce que Paul Virilio appelle l’accident de vitesse, il est d’ailleurs intéressant de faire une lecture conjointe des travaux de ces deux chercheurs. Il note la difficulté de la construction de l’identité du sujet et de sa singularisation en raison des changements rapides et successifs auxquels l’individu est confronté. Il précise les conséquences de la brièveté des choses, l’évolution scientifique qui conduit l’humain vers un nouveau rapport, intime, à la machine voir vers une fusion avec celle-ci, thème qu’interroge aujourd’hui avec persistance les mangas japonais, l’élargissement des choix culturels et individuels qui le conduit à parler d’un nouveau paradigme dans tous les domaines de l’activité humaine mais aussi dans le processus d’individuation, induit par la révolution de l’information. On pense au principe de Gregory Bateson : « De rien, il ne sort rien sans information. ».

En 1980, Heidi et Alvin Toffler publient The Third Wave [2], poursuivant le travail entrepris dans Future Shock. L’ouvrage est plus classique et annonce un troisième type de société, poussé par une troisième vague de changement génératif, une société post-industrielle, informationnelle et hautement technologique. Il prolonge sa vision établie dans Le Choc du futur, d’une société non plus bâtie autour d’une hiérarchie de pouvoir mais d’une « ad’hocratie » construite sur le tissage des compétences et des expertises, modèle passionnant qui n’a jusqu’à ce jour été qu’approché de manière lointaine ou marginale dans les faits.

En 2006, Heidi et Alvin Toffler publient de nouveau un livre essentiel, Revolutionary Wealth, traduit en français sous le titre La richesse révolutionnaire, paru en 2007 chez Plon.

C’est le fruit d’un long processus d’observations et d’analyses des fondements et des comportements de notre société, de ses mouvements, de ses mutations présentes et futures. Nous entrons de manière assez brutale dans un monde autre et, d’une certaine manière, l’humanité qui vient, celle que nous engendrons aujourd’hui, sera fort différente de nous.

Le développement générique de la richesse financière sur la planète, et de ses abus, ont conduit les décideurs a ne prendre en compte que la dimension économique de l’activité humaine et sa monétarisation, ce que l’Inde traditionnelle désigne comme le règne de la caste des commerçants. En ignorant les activités non monétaires, ils ont omis une part essentielle de la richesse produite par les êtres humains, les connaissances. Les activités qui ne se transforment pas en monnaies comptables sont multiples, créatrices, insaisissables et particulièrement révolutionnaires nous disent Heidi et Alvin Toffler.

A la puissance des Etats et des entreprises, ils veulent ajouter une troisième puissance, en construction, celle des ONG, des réseaux éphémères de compétences organisés pour une opération précise (nous retrouvons là, presque quarante années plus tard, l’ad’hocratie du Choc du futur) qui apparaîtront et disparaîtront avec les grandes problématiques, les grands défis, que les sciences et technologies vont faire surgir : les droits des clones, les néo-terrorismes, les religio-économies, la révolution énergétique, les enjeux écologiques, etc.

Face à cette mutation, à ce saut sociétal, les gouvernements s’avèrent pauvres, intellectuellement et stratégiquement, peu visionnaires, peu créatifs. L’actualité de la crise est une démonstration éclatante de leurs faiblesses. C’est donc du terrain, et notamment du terrain virtuel, grand agitateur d’intelligences et de connaissances, que peuvent apparaître de nouvelles lignes révolutionnaires au milieu des nouvelles tectoniques géopolotiques. Heidi et Alvin Toffler proposent le concept d’économie « prosommatrice » caractérisée par cette activité ni rémunérée ni quantifiée, non altruiste cependant, mais génératrice de tous les changements.

La richesse révolutionnaire se traduit aujourd’hui par un magma peu lisible, envahissant, angoissant parfois, dans lequel les solutions pour une autre humanité, qui « briserait le noyau de la pauvreté » ne sont qu’esquissées. Heidi et Alvin Toffler avertissent : « Ce qui a bien marché, ne marchera pas. ». L’humanité qui vient, serait donc une humanité d’inventeurs, de poètes, et notamment de poètes technologiques, ou ne serait pas ?

Heidi et Alvin Toffler ne tombent pas dans l’exaltation d’un « évangile du changement ». Si Le Choc du futur était résolument optimiste, ce n’est pas le cas de La richesse révolutionnaire. Dans un monde hypercomplexe où le concept de permanence est périmé, aucune de nos institutions, publiques ou privées, n’est adaptée. Le risque d’une identification fanatique rassurante pour l’individu est maximal. L’hyperchoix, que les auteurs considèrent comme une liberté stressante, conduit à une surcharge souvent insupportable.

Dans ce chaos, Heidi et Alvin Toffler distinguent tout de même l’action humanitaire privée comme une faible lumière annonçant peut-être d’autres lumières, l’émergence d’une société construite sur un droit non pas économique et commercial mais humain.

Heidi et Alvin Toffler pensent que dans cette agitation et cette contraction temporelle il est vital d’apprendre à dire « non ». Ils ne vont pas jusqu’à « l’art de ne rien faire » d’Agustinho da Silva, mais font de la capacité à dire « non » une clé pour conserver ou donner un sens à l’expérience.

Notes :

[1Edition française : Le Choc du futur, Denoël, Paris, 1974

[2Edition française : La troisième vague, Denoël, Paris, 1980


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