Certains politologues évoquent l’idée d’une « post-démocratie » dont la Grèce serait aujourd’hui l’un des laboratoires. Formellement consultés, les peuples n’ont désormais de choix qu’entre des options balisées au préalable par les grands acteurs financiers internationaux et leurs délégués locaux.
Tous les économistes en conviennent, qu’ils soient de droite, de gauche, libéraux ou non : les 130 milliards d’aide européenne accordés à la Grèce et les 100 milliards de dettes abandonnés par les créanciers privés ne suffiront pas à sortir le pays de l’ornière où il se trouve aujourd’hui.
Les conditions d’une crise sociale majeure sont en revanche parfaitement assurées par l’implacable plan d’austérité voté le 12 février par le parlement grec sous la pression de la « troïka » (Banque centrale européenne, Fond monétaire international et Union européenne) : coupes claires dans les pensions, réduction de 22 % du salaire minimum (35 % pour les moins de 25 ans !), suppression de milliers d’emplois publics, baisse de 40 % des traitements des fonctionnaires…
Déjà épuisés par le régime sec imposé depuis près d’un an, les Grecs sont sommés de se mettre à genoux, de baisser la tête, et si possible de remercier leurs nouveaux maîtres de tant de mansuétude. Comme s’ils avaient fauté.
Car c’est bien là l’idée générale qui s’impose dans les propos de nombreux responsables européens et dans la presse internationale, apparemment fascinée par la révolte populaire et ses cocktails Molotov. Les Grecs ont vécu au-dessus de leurs moyens, il leur faut maintenant payer leur insouciance. La morale est sauve. On se croirait dans une fable d’Ésope.
Le fait que les moralistes d’aujourd’hui soient les mêmes qui, hier, poussaient à l’emprunt sur les marchés internationaux au nom de la stimulation de la « croissance » ne semble pas troubler grand monde.
L’extension phénoménale du pouvoir de la finance – banques, fonds spéculatifs, institutions financières internationales, élites globalisées – a décidément transformé notre monde, non seulement d’un point de vue économique, mais aussi d’un point de vue humain.
Certains politologues évoquent l’idée d’une « post-démocratie » dont la Grèce serait aujourd’hui l’un des laboratoires. Formellement consultés, les peuples n’ont désormais de choix qu’entre des options balisées au préalable par les grands acteurs financiers internationaux et leurs délégués locaux. Protestent-ils, qu’on leur oppose illico la morale du nouveau siècle, celle de l’impuissance consentie et de la soumission à la Grande Machine. Quelle est loin l’Europe des fondateurs…
Editorial de Témoignage Chrétien du 15 février 2012