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Le Bateau-usine de Kobayashi, une oeuvre majeure de la littérature mondiale
Par François Eychart

Cette lutte de classe qui toujours dérange…

Occulté en France pendant quatre-vingt ans, Le Bateau-usine de Kobayashi Takiji, qui connaît un immense succès au Japon, est une œuvre majeure de la littérature mondiale.

Dès qu’on l’a entre les mains on se demande pourquoi il a fallu tant de temps pour que ce roman soit traduit en français. Pourtant il existe des spécialistes de la civilisation japonaise et on a peine à imaginer qu’ils n’aient jamais signalé l’œuvre de Kobayashi Takiji. A moins qu’une censure cachée n’ait habilement rejeté dans les oubliettes un livre qui dérange... Il faut donc saluer l’initiative des Editions Yago qui nous permettent de prendre connaissance de l’œuvre principale de Kobayashi Takiji qui date, précisons-le, de 1929.

Les années 20 sont une période fertile pour les écrivains japonais qui se sont placés dans la mouvance révolutionnaire. Malgré une violente répression du communisme présenté comme liquidateur de la grandeur japonaise, malgré des conflits internes sectaires, ils sont actifs et influents et se prononcent souvent pour un art prolétarien. Un des plus talentueux parmi eux est justement Kobayashi Takiji. Ce qu’on sait de sa vie montre la violence qu’il dut affronter, comme militant politique et comme qu’écrivain. Son cas fut réglé en 1933 : arrêté par la police, il fut torturé à mort. Son meurtre était la réponse au défi qu’il lançait au régime de Hiro-Hito.

Le Bateau-usine part de la condition misérable d’un prolétariat maritime démuni, sans grandes traditions d’entraide, souvent chassé d’autres secteurs par le chômage. Mais son sujet véritable est moins cette situation que les moyens d’en sortir. Payés une misère, battus, frappés d’amendes à la moindre défaillance, parqués dans le remugle de lieux ignobles, exposés au risque de finir noyés, les membres de l’équipage ont tout intérêt à la révolte. Malgré les lâchetés, les craintes de toutes sortes, en particulier celle de se lancer dans un mouvement dont ils ne savent pas ce qu’il donnera à terme, on sent monter ce désir de révolte. Ces hommes ne peuvent rien espérer de personne si ce n’est d’eux-mêmes. Le capitaine du bateau, qui est censé disposer en mer des pleins pouvoirs, ne leur vient jamais en aide. Par lâcheté et par intérêt, il s’est placé du côté du propriétaire et de l’intendant qui le représente. Celui-ci joue avec adresse de la crainte qui est naturelle à des hommes qui ont tous quelque chose à perdre. Finalement s’ils se lancent dans l’action c’est parce que les conditions de travail mettent leur vie en danger.

Un autre ressort de l’asservissement de l’équipage est le nationalisme. La zone de pêche jouxte l’île de Sakhaline, possédée par l’URSS. Sous la protection d’un destroyer, le bateau viole les eaux territoriales soviétiques pour en piller les richesses maritimes. L’intendant fait appel à la haine du Russe – opportunément rouge – pour faire croire à tous qu’ils travaillent pour la puissance du Japon et qu’ils ont en charge un véritable devoir patriotique.

Le Bateau-usine réunit tous les éléments de la naissance d’un conflit de classe qui n’est pas sans rappeler l’atmosphère du Cuirassé Potemkine. Pour s’imposer la révolte doit se frayer en chacun un chemin si difficile que quand elle l’emporte, les hommes en sont transformés. Ils ont vaincu une peur si profonde, si bien ramifiée que plus jamais on ne pourra les y enfermer. Seule l’union permet d’agir et d’affronter une situation à ce point inhumaine. Elle transforme ces loqueteux en combattants des grandes causes. Les révoltés du Bateau-usine ne sont-ils pas les samouraïs d’un nouveau Japon ? Vision impie. L’auteur devait mourir pour avoir transformé les prolétaires en héros et imaginé un Japon au service du peuple. Son exécution fut un signal à tous les impudents qui pensaient pouvoir mettre en pièce le système impérial.

Le Bateau-usine est un grand livre. On attend que l’éditeur nous donne les autres romans de Kobayashi Takiji puisqu’il dispose en la personne d’Evelyne Lesigne-Audoly d’une traductrice de qualité.

Kobayashi Takiji, Le Bateau-usine, Editions Yago, 145 pages, 18 euros


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