Entrer dans une école d’aujourd’hui, c’est d’abord rencontrer, plus souvent, des femmes que des hommes. Et ce, d’autant plus dans les premiers niveaux de formation où les femmes supportent l’essentiel des efforts de la massification de l’école, y compris à l’université où elles assurent une part non négligeable de l’accueil des étudiants de premier cycle.
On pourrait donc penser que la question de la parité est mieux réglée chez les enseignants que dans d’autres secteurs professionnels.
Pas du tout. Les travaux sur le sujet dont Le Genre à l’école des enseignantes, embûches de la mixité et leviers de la parité est l’objet démontrent que la mixité est loin d’être acquise et que les enseignants, dans leur pratique sont de bien timides promoteurs de cette mixité lorsqu’ils ne renforcent pas les stéréotypes sexués auprès des élèves. Et si, dans le long terme les femmes ont investi l’école dans un mouvement d’émancipation de la condition féminine, on peut se demander si cette féminisation a été un atout maitre pour l’essor de la parité.
Pour l’auteure, la sociologue Sophie Devineau [1], rien n’autorise à conclure trop vite, les choses doivent être nuancées et appellent à s’y arrêter.
Son travail , étayé de nombreux entretiens, cherche à traduire la promesse émancipatrice de l’école qui se heurte en permanence à une inertie conservatrice de rôle sociaux de sexe bien réels. Elle aborde, en les distinguant, ce qui relève d’un état sexiste des choses de ce qui s’inscrit dans le temps long des parcours biographiques, des engagements ou encore de l’héritage des avancées conquises dans le passé.
C’est ainsi qu’outre l’intérêt d’une étude approfondie pour penser les différentes situations de la place de la femme à l’école, on me pardonnera un intérêt particulier pour « les enseignantes dans l’histoire du mouvement ouvrier ». Sophie Devineau y explore dans les 3682 notices biographiques du corpus « Femmes » du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, mouvement social (1997), la longue liste des professions où les femmes s’engagèrent. Parmi toutes ces femmes les enseignantes furent nombreuses. Beaucoup va reposer sur l’activité opiniâtre de ces femmes.
Pour Sophie Devineau « C’est précisément chargée de cet héritage, contrainte de toute part par le sexisme que la fonction féministe de l’école prouve sa force sur la longue durée. Par le rôle crucial qu’elle joue en armant les filles du diplôme, viatique de l’émancipation, l’école reste encore un outil majeur de la parité professionnelle. Et bien que très hétérogène, le monde enseignant constitue un creuset de valeurs humanistes propice à l’égalité des sexes mieux garanti par les cadres statutaires de travail comme par les contenus culturels du métier. Les valeurs de la gauche laïque, constituant une large part de l’identité des enseignants du secteur public /…/ ce groupe professionnel remplit un rôle essentiel /…/ à l’égard des filles qu’elle scolarise et des femmes qu’elle emploie. Compris dans toutes ces contradictions, l’enjeu paritaire se noue autour de la question féministe posée dans l’école ».
On l’aura compris, ce livre répond à de nombreuses attentes citoyennes et pas seulement dans l’école.
Sophie Devineau. Le Genre à l’école des enseignantes. Embûches de la mixité et leviers de la parité. L’Harmattan Série Sociologie du genre. Logiques sociales. Novembre 2012. 313 pages 33 euros.
Christian Langeois est auteur des biographies de Marguerite Buffard-Flavien et d’Henri Krasucki. Cherche midi éditeur.
[1] Maitresse de conférence habilitée à diriger des recherches au département de sociologie de l’université de Rouen.