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Le Marx d’Hannah Arendt
Par Domenico Losurdo

A propos du livre Hannah Arendt contre Marx ?

Arendt versus Marx ? L’auteur pose la question d’emblée, en titre du livre. Le point d’interrogation s’explique par l’évolution de la philosophe. Peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Arendt s’exprime positivement non seulement sur Marx, à qui elle attribue le mérite d’avoir exprimé le meilleur de « la tradition hébraïque » (avec son « zèle fanatique pour la justice » ), mais aussi sur l’URSS de Staline : ce régime-là était différent par « sa manière complètement nouvelle d’affronter et de composer avec les conflits de nationalité, d’organiser des populations différentes sur la base de l’égalitarisme national ». Il s’agit, écrit-elle, d’un modèle « auquel chaque mouvement politique et national devrait prêter attention » (ces deux citations, extraites de The Moral of History et de Zionism Reconsidered, datent respectivement de janvier 1946 et d’octobre 1945).

Plus tard, dans les deux premières parties des Origines du totalitarisme (ouvrage publié aux États-Unis en 1951), Arendt met en accusation, de pair avec le Troisième Reich, l’antisémitisme de la France et l’impérialisme de la Grande-Bretagne. Mais ce n’est que dans la troisième partie, écrite après le déclenchement de la guerre froide, que l’URSS de Staline et l’Allemagne de Hitler sont réunies sous le même substantif de « totalitarisme ». Et désormais la philosophe s’attelle à rechercher les origines du fléau chez Marx. C’est précisément à cette troisième partie que s’intéresse Arno Münster. Un choix assez discutable. Car dès la publication de l’ouvrage, l’historien allemand Golo Mann avait noté dans son compte rendu de la revue Die Neue Zeitung (qui se targuait en sous-titre d’être la Revue américaine en Allemagne) : « Hannah Arendt dédie les deux tiers de son travail à l’antisémitisme et à l’impérialisme et surtout à l’impérialisme de source anglaise. Je n’arrive pas à la suivre. » Autrement dit, les pages dédiées à l’antisémitisme et à l’impérialisme seraient hors sujet, comme l’explication de la genèse du régime hitlérien visant à édifier en Europe orientale un empire colonial fondé sur la domination d’une race pure, blanche et aryenne. Pour « être vraiment dans le thème », il faudrait s’en tenir à la troisième partie. Du point de vue de l’idéologie occidentale de la guerre froide, l’assimilation de l’URSS au Troisième Reich était un impératif catégorique. Impératif qui peut expliquer le succès rencontré par la catégorie de totalitarisme. Il continue aujourd’hui, alors même qu’un des auteurs du Livre noir du communisme, Nicolas Werth (La Terreur et le désarroi, Perrin, 2007), montre que la première « matrice du stalinisme » fut « la période de la Première Guerre mondiale ». Le « totalitarisme » soviétique fut donc en premier lieu la conséquence du statut d’exception occupé par la Russie dès 1914, dans le contexte d’une compétition impérialiste pour l’hégémonie, dont les principaux protagonistes étaient deux pays de l’Occident libéral (la Grande-Bretagne et l’Allemagne). Analyse qui réfute fondamentalement le discours développé dans la troisième partie des Origines du totalitarisme, à l’origine de notre désaccord avec Arno Münster.

Nous le suivons, en revanche, lorsqu’il souligne le « préjugé réel et inexpugnable d’Arendt à l’égard du marxisme ». Richement documenté, l’ouvrage fournit l’occasion, au-delà des intentions de l’auteur, de se libérer une fois pour toutes de la terreur révérencieuse que la gauche nourrit pour Arendt.

Traduction Ixchel Delaporte et Lucien Degoy.

Hannah Arendt contre Marx ? Arno Münster, Éditions Hermann, 2008, 35 euros.


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