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Le communisme est-il mort ?
Par Yvon Quiniou

Alors que la situation politique est en train de s’ouvrir en France à gauche avec la Nupes et vu l’échec du libéralisme à la Macron et que, à gauche, un important congrès du PCF va avoir lieu susceptible de redonner de la crédibilité à l’idée communiste dans le futur, je voudrais dire ici mon agacement insupportable d’intellectuel, et pas seulement de citoyen engagé, devant ce que je lis ou entend régulièrement dans la grande majorité des moyens d’information, écrits ou audio-visuels, à savoir que le communisme serait mort, définitivement, qu’il aurait disparu avec la chute de l’Union soviétique. Je vais rappeler brièvement ce qu’il m’est arrivé d’indiquer sur ce blog, qui est essentiel et important idéologiquement dans la lutte d’idées, laquelle n’a pas cessé magiquement.

L’URSS, avec son empire, a bien disparu, mais ce n’était pas une réalisation du communisme tel que Marx l’a pensé avec rigueur et profondeur.

  • 1 D’abord, sur un simple plan politique, elle n’a correspondu en rien à l’exigence démocratique que le communisme était censé incarner selon lui, à savoir « le mouvement de l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité « (formule du Manifeste) : on a bien lu : « de » cette immense majorité (celle des exploités, directs ou indirects, du capitalisme) et non seulement« dans son intérêt » ! Et si la notion de « dictature du prolétariat » a pu être utilisée, mais rarement, par lui, d’une part elle n’était pas une dictature sur ce prolétariat ou le peuple et la Commune de Paris en aura été la parfaite illustration comme l’a rappelé Engels après le décès de Marx, Commune qui aura été un extraordinaire et unique exemple, à l’échelle de l’histoire, d’une démocratie à tous les niveaux. On aura compris (je ne développe guère) que le régime de Staline (pas de Lénine) en aura été un contre-exemple ou un contresens en acte : une dictature de Staline sur son parti et sur le peuple tout entier, qui a affecté la vie politique et culturelle (y compris la science biologique !), sans compter les victimes de son volontarisme économique dans le cadre du Goulag – cela dit avec aussi des acquis sociaux positifs, mais qui n’excusent pas le reste.
  • 2 Ensuite il faut expliquer cet échec. Il est dû à un contresens théorique qu’ont commis le communistes de ce pays, Lénine en tête, dont peu de spécialistes ont conscience – j’en excepte Raymond Aron, parfait connaisseur et admirateur de Marx –, y compris trop de marxistes officiels et donc de communistes (français) à l’époque. Pour Marx, donc, le communisme n’était réalisable qu’à partir des conditions économiques du capitalisme développé et de sa majorité de travailleurs liés à la grande industrie : c’est là une leçon indépassable de son analyse scientifique et matérialiste de l’histoire et du développement du mode de production capitaliste, comme de son dépassement éventuel. Il l’a indiqué fortement dès L’idéologie allemande où il affirme, par exemple, que le communisme « ne peut venir de la campagne mais seulement de la ville » ; et l’on retrouve la nécessité d’un développement préalable et fort du capitalisme dans d’autres textes théoriques et, en particulier, dans sa correspondance tardive avec une communiste russe, Véra Zassoulitch (1881) qui voulait s’empresser de faire la révolution en Russie sur la base de la structure agricole communale qu’on y trouvait, le Mir, sans passer « sous les fourches caudines du capitalisme ». Il lui répondit avec beaucoup de lucidité et de cohérence qu’une révolution à visée communiste pouvait se déclencher dans son pays, mais qu’elle ne pouvait réussir qu’avec l’aide d’une révolution en Occident qui lui apporterait ses « acquêts » (ou acquis). Et Engels ajouta même que seule une pareille révolution pourrait sauver le Mir russe ! Or cette révolution, n’eut pas lieu ou, plutôt, elle fut écrasée dans le sang en Allemagne en 1918 avec la révolution spartakiste. D’où ce qui s’ensuivit, que j’ai décrit ! Franchement : c’est là une belle leçon de « matérialisme historique » et ceux qui parlent de l’histoire politique, spécialement celle qui s’est réclamée à tort du projet communiste et entendent en parler, n’ont aucun droit intellectuel à le faire s’ils ne connaissent pas le marxisme de Marx ! C’est comme si l’on voulait parler, pour transposer, les processus naturels sans les connaître et les comprendre d’un point de vue scientifique ! La même exigence épistémologique vaut pour les processus historiques et je regrette l’indigence intellectuelle qui règne massivement dans ce domaine.
  • 3 On aura donc compris que, comme je le dis fréquemment, le communisme n’est pas mort car il na jamais vécu ! Son contresens (ou sa caricature) lui a vécu et il a répandu une idée fausse du communisme qui en a abîmé et discrédité l’idée même dans la conscience collective, au point q’elle ce croit plus en sa possibilité objective !
  • Il faut donc revenir à Marx, surtout dans les conditions d’aujourd’hui où tout montre le capitalisme néo-libéral, qui gagne du terrain depuis la chute des pays de l’Est, fait régresser certains pays à un niveau rare tant du point de vue démocratique que social : voir la Hongrie, la Pologne, l’Italie gagnée par une extrême-droite fascisante, et même la Suède où la social-démocratie est en train de s’en aller. San compter la France où les acquis issus du Front populaire et du programme du CNR, dus aux communistes, à la Libération en 1946 ne cessent d’être érodés !
  • 4 Quelle ouverture historico-politique permet alors cette mise au point essentielle ? Il doit être clair en premier, que rien ne nous permet d’affirmer que le communisme, étant donné le degré du développement capitaliste actuel, doit nécessairement arriver. Marx, ici, doit être vigoureusement contredit car son analyse de l’histoire du capitalisme a dérivé dans une nécessitarisme, sinon un finalisme, qui l’a fait penser que la venue du communisme était nécessaire au sens de fatale (dialectique hégélienne renversée oblige !) alors qu’il faut seulement affirmer que celle-ci est non nécessaire de fait, mais seulement nécessairement possible, sous peine de verser dans l’utopie, aussi généreuse soit-elle.
  • 5 Ceci étant admis, le communisme est-il souhaitable et même impératif, disons moralement ou humainement, quelle que soit sa possibilité objective reconnue ? C’est ici que le vrai débat commence avec l’examen de notre situation contemporaine. Il faut oser répondre « oui » au regard de qui se passe actuellement : nous sommes en présence d’une mondialisation capitaliste qui impose sa loi aux Etats-nations sous différentes formes (pauvreté, mercantilisme, aliénation des hommes dans un consumérisme médiocre et inégalement réparti en plus, conflits guerriers, etc.) et qui n’a rien à voir avec un internationalisme à la Jaurès qui supposait l’entente de nations demeurant souveraines politiquement : c’est d’impérialisme capitaliste « supranational » qu’il s’agit ! Mais tout autant, sinon plus, ce même capitalisme est entrain de détruire la planète par son productivisme aveugle et délirant, et la vie en elle par les dégâts écologiques qu’il provoque – je ne développe pas. Nous sommes donc en présence d’une catastrophe anthropologique totalement inédite, signalée fortement par de nombreux intellectuels comme le regretté Lucien Sève, Alain Badiou, Tony Andréani ou d’autres, et dont je fais partie. En ce sens c’est bien un dépassement du capitalisme qu’il va falloir opérer et, du coup, non seulement un changement de société mais un changement de civilisation dans toutes ses normes concrètes de vie : ce n’est pas là seulement un idéal moral obligatoire (idéal moral que Marx a eu tort de nier en tant que tel dans son œuvre de la maturité), mais une nécessité vitale absolue. Tant pis pour ceux qui ne veulent pas entendre ce propos, et ils sont nombreux : il sont complices de cette catastrophe probable à venir, si l’on continue comme cela..
  • 6 Dernier point, plus positif : le monde est en train cependant de changer et la domination américaine en train de s’effriter grâce à la montées en puissance incontestable et souhaitable de la Chine et de son projet qu’elle veut « communiste », qui équilibre le poids dommageable des Etats-Unis, mais aussi grâce à tout ce qu’il se passe dans la « zone rouge » du monde et en Amérique latine. Tout cela nous prouve, une nouvelle fois, que le communisme n’est pas mort et qu’il est bien une possibilité exigible pour notre futur. La propagande anti-communiste dont je suis parti dans ce billet pour la condamner, n’en est que plus insupportable !

Yvon Quiniou est l’auteur avec Nikos Foufas, philosophe grec, du livre La possibilité du communisme (L’Harmattan).


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