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Clémenceau, Mandouze, Tillion, Audin...Le panthéon anticolonialiste du président français
Par Isabelle Mandraud et Thomas Wieder

Pas d’excuses de la France, mais des noms qui excusent les fautes de la France. Des noms pour rappeler que les Français ne furent pas tous complices des crimes de la colonisation. S’il n’est pas le premier président à avoir dénoncé le système colonial, François Hollande restera le premier, sur le sol algérien, à avoir rendu un hommage aussi appuyé à quelques-uns de ses contempteurs les plus illustres. Quatre noms au total, qui rappellent la diversité de l’anticolonialisme français et dont le choix témoigne, de la part du chef de l’Etat, d’un évident souci de se placer au-dessus des clans.

Georges Clémenceau, l’anti-Ferry

L’ancien président du Conseil est le premier de ces "grandes consciences françaises" à avoir été cité par François Hollande lors de son discours aux parlementaires algériens réunis au Palais des nations.

A travers celui qui s’opposa si farouchement à la politique impérialiste de Jules Ferry au début des années 1880, le chef de l’Etat a voulu rappeler que si la République, en France, fut le régime qui étendit le plus loin les frontières de l’empire colonial, toutes les grandes voix républicaines ne partagèrent pas ce credo. Convoquer Clemenceau, qui reste aussi dans la mémoire nationale comme le "premier flic de France" et le "Père la Victoire", est aussi une façon, pour François Hollande, de souligner que l’anticolonialisme peut être la cause des plus grands patriotes.

André Mandouze, le défenseur du "droit à l’insoumission"

Deuxième figure célébrée par le chef de l’Etat : André Mandouze. Dans la vaste salle du Palais des nations d’Alger, la simple mention de ce nom, méconnu en France, a provoqué, jeudi, des applaudissements nourris. Cofondateur de Témoignage chrétien pendant l’Occupation allemande, ce professeur à l’université d’Alger, incarcéré en 1956 à la prison de la Santé pour son soutien actif au Front de libération nationale (FLN), fut l’un des premiers intellectuels à dénoncer la torture en Algérie. Il fut aussi, en 1960, l’un des signataires du "manifeste des 121" en faveur du "droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie". Comme celui de Clemenceau, le choix de Mandouze est habile de la part du chef de l’Etat : il fait le pont entre la lutte antinazie et l’engagement anticolonialiste.

Germaine Tillion, la dénonciatrice de la "chochardisation"

Dans ce panthéon des héros partagés entre la France et l’Algérie, il fallait aussi une femme. Ce fut l’ethnologue Germaine Tillion, "militante inlassable du dialogue entre les hommes et les femmes", comme le dit François Hollande. Là encore, le choix n’est pas anodin. Germaine Tillion, c’est à la fois la Résistance et la guerre d’Algérie, celle qui faillit perdre la vie à Ravensbrück et celle qui, vingt ans après avoir sillonné les Aurès pour sa thèse de doctorat, dénonça la "clochardisation" de la population en Algérie et y encouragea la création des "centres sociaux" pour faire face à la prolifération des bidonvilles.

Maurice Audin, le disparu

S’il cita également François Mauriac, autre intellectuel catholique qui s’illustra par ses écrits contre la torture au moment de la guerre d’Algérie, et, un peu plus tard dans son discours, Albert Camus, mais cette fois sans déclencher le moindre applaudissement des parlementaires algériens, c’est sur une cinquième figure du combat contre la guerre d’Algérie que François Hollande s’est, jeudi, le plus attardé : Maurice Audin.

Pour rendre hommage à cet assistant de mathématiques à l’université d’Alger, arrêté le 11 juin 1957 à l’âge de 25 ans puis torturé à mort, et dont la disparition provoqua une grande mobilisation au sein de l’intelligentsia française, le chef de l’Etat a préféré les gestes aux mots. Quelques minutes de recueillement devant la stèle qui honore sa mémoire, sur la petite place qui porte son nom, au cœur d’Alger.

A travers Maurice Audin, jeune militant communiste, c’est à une autre sous-famille de l’anticolonialisme français que François Hollande a voulu rendre hommage, honorant, après ceux qui croyaient au ciel, l’un de ceux qui n’y croyaient pas. Ce fut aussi, pour le chef de l’Etat, une façon implicite de prendre le contre-pied de celui qui le précéda à l’Elysée.

En juin 2007, un mois après son élection à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy avait en effet reçu une lettre de la veuve de Maurice Audin lui demandant de faire enfin connaître la vérité sur les circonstances exactes de la mort de son mari. La lettre était restée sans réponse et quand, l’année suivante, le président de la République voulut décerner la Légion d’honneur à Michèle Audin, la fille de Maurice, elle aussi mathématicienne reconnue, celle-ci refusa.

A la veille du déplacement de François Hollande en Algérie, Josette Audin a révélé avoir reçu une lettre du chef de l’Etat lui assurant avoir "demandé à Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, de recevoir afin de remettre en mains propres l’ensemble des archives et documents en sa possession relatifs à la disparition de son] mari". Par "devoir de vérité" envers sa famille, mais également "envers tous les citoyens ", soulignait le président français.

Le Monde 21.12.2012 à 11h12 Par Isabelle Mandraud et Thomas Wieder - Alger Envoyés spéciaux

A lire notamment sur le site sur ce sujet :
Le témoignage d’Henri Malberg sur le 17 octobre 1961
Une tribune de Brahim Senouci écrite avant le discours de François Hollande : La reconnaissance pas la repentance
Pour en finir avec la repentance coloniale, une lecture indispensable, à propos d’un livre de Daniel Lefeuvre


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