Sept mois après son élection, la détermination du pape François ne fait plus de doute, et ses adversaires commencent à relever la tête.
Jusqu’au début du mois de septembre on pouvait encore penser que François différait surtout par son style. En soi, ce n’était pas rien tant le catholicisme est un empire des signes, mais on pouvait douter d’une volonté profonde de changement. Depuis quelques semaines, le doute n’est plus permis. François a bien décidé, comme son illustre modèle d’Assise de « rebâtir » l’Église. Est-ce une révolution ? Oui et non. Lorsque le cardinal Ratzinger, quelques jours avant son élection, déclare que : « La barque de Pierre prend l’eau de toutes parts » [1], il prépare bien les esprits à une nécessaire reconstruction – en régime catholique, on hésite toujours à employer le mot « réforme »… Il n’en a pas eu la force et c’est sans doute la raison profonde de sa démission. C’est la feuille de route que les cardinaux ont explicitement confiée à Jorge-Maria Bergoglio. Pour autant, les options de François sont-elles celles des hommes en rouge qui l’on élu ?
Où va François ? En un mot comme en cent, à l’Évangile, tout simplement. L’Évangile et sa puissance subversive ! Souvenons-nous que le premier à prendre l’Évangile au sérieux fut celui qui le proclamait, Jésus de Nazareth, et que sa trajectoire s’acheva sur la croix. C’est un aspect des choses qui n’a pas échappé au pape François. Ses fréquentes allusions à la puissance du mal, à celle du diable sont le signe de cette clairvoyance. Voilà donc l’Évangile qui tout à la fois porte le pape et est porté par lui ! Non pas porté en procession, ou bien rangé dans un catéchisme, non, porté à même la peau par un homme qui s’agenouille aux pieds d’une femme musulmane, qui pleure, parce que les 350 migrants qui viennent de périr au large de Lampedusa sont ses frères et ses sœurs. Voilà qu’un monde indifférent et blasé, celui des médias, découvre que l’Évangile n’est pas un manuel de bonne conduite (voire de maintien sexuel) mais d’abord et avant tout « la Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres ». Sous la houlette de François, l’Église pourrait-elle devenir (redevenir ?) messagère de la Bonne Nouvelle ? Pourrait-elle être une Église pauvre pour les pauvres ? En tout cas, c’est ce qu’il ne cesse de marteler.
Que va-t-il faire ? Il s’est adjoint un groupe de 8 cardinaux, surnommés le G8, dont 7 membres ne viennent pas de la Curie. Leur mission vient d’être pérennisée. On tient là l’embryon de ce gouvernement collégial que tant de catholiques appelaient de leurs vœux. Mais plus précisément, que peut-on attendre ? La barque de Pierre, a fortiori si elle prend l’eau n’est pas facile à manier. Et une partie de l’équipage rechigne à la manœuvre.
À Rome, la Curie ne voit pas vraiment d’un bon œil la réforme qui s’annonce. Comme toute administration, elle se croit aussi efficace qu’indispensable. Depuis des siècles, elle se prend pour le dragon qui défend la princesse – comprenez le pape, l’Église et le dépôt de la foi. Il n’est plus besoin de tendre l’oreille pour entendre les inquiétudes des fonctionnaires relayées par des vaticanistes qui depuis l’arrivée de François ont perdu leurs repères et leurs relais d’information habituels. On s’inquiète de ce pape qui parle à tort et à travers et dont la parole n’est plus « contrôlée ». Du côté des évêques, pour l’instant, le silence est de règle [2]. Habitués à un régime de soupçon et de délation, ils n’ont pas l’habitude d’un pape qui ne leur dicte pas leurs discours. Il faut dire qu’il n’est guère tendre à leur égard : fonctionnaires, mondains, distants… la correction pour être fraternelle n’en est pas moins sévère. Du côté, des courants traditionnels, on n’a plus d’illusion. François ne poursuivra pas le mouvement de restauration engagé depuis près de 35 ans. Pour les Légionnaires du Christ, l’Opus Dei, les nouvelles communautés jusque-là bien en cour, le vent tourne et l’humeur devient chagrine voir agressive. On regrette Benoît XVI et sa « hauteur théologique » quand François prêcherait comme un curé de campagne.
Les couteaux s’aiguisent. C’est pourquoi François a besoin de soutien, non parce qu’il est le pape mais parce qu’il endosse l’Évangile. Nous ne sommes pas papolâtres. François n’est qu’un homme, plein de qualités et de défauts. Il ne réussira pas seul. Plus encore que de confiance et d’approbation, il a besoin que se lève parmi les catholiques une dynamique créative. Si nous croyons qu’il manœuvre la barque dans le bon sens, souquons avec lui.
Christine Pedotti est rédactrice en chef de Témoignage Chrétien