Luc Ferry vient de signer une de ces ignominies dont il est devenu coutumier : « Quand on remplit une mission de service public, on ne porte ni une croix gammée ni « la faucille et le marteau », alors il est impensable de porter un foulard ».
Je ne suis pas adepte du foulard, même si je n’ai pas trouvé dans les écrits de monsieur Ferry de condamnation de celui que portaient les religieuses, y compris dans les hôpitaux publics, mais il semble qu’il faille lui rappeler que s’il est un symbole qui est interdit, et en tous lieux, c’est la croix gammée.
On aura compris que le foulard est ici prétexte à mettre en avant le parallèle cher à certains médias et politiques (Cf. le dernier dossier de Valeurs actuelles, qui porte aux nues « ceux qui ont résisté au communisme », dont McCarthy et Reagan) qui mettent sur le même plan nazisme et communisme. Je ne suis pas nostalgique de Staline, même si je pense que ce qu’il est convenu de baptiser « stalinisme » dépasse, et de loin, la seule responsabilité d’un homme, mais je voudrais rappeler que les erreurs et les crimes imputables au communisme ne sont pas la conséquence de sa mise en pratique mais de la terrible déformation d’une idéologie dont le but était, et reste, la libération de l’homme par l’homme. Le nazisme, au contraire, prônait la force brutale d’une race supérieure sur des êtres inférieurs, voire dégénérés, et affichait dès sa naissance une volonté exterminationiste fondée sur le racisme. Aujourd’hui, pour les Zemmour, les Ferry, les Barbier et même l’ex-chouchou de la gauche, certains communistes y compris, Michel Onfray, l’ennemi c’est toujours le communisme, ce qui devrait nous réjouir puisqu’on ne tire pas sur les ambulances.
Heureuse époque où Gaston Deferre pouvait provoquer en duel des adversaires politiques dont il jugeait qu’ils avaient attenté à son honneur. Car, lorsqu’on entend monsieur Barbier faire l’apologie d’Adolphe Thiers qui aurait « préservé la France du communisme » en noyant la Commune de Paris dans un bain de sang, ou monsieur Ferry insulter nos milliers de camarades torturés et assassinés par la Milice, le PPF et la Gestapo, on est pris d’une violente envie de leur botter le cul.
Jules Ferry dont une imagerie d’Épinal a fait un grand homme, père géniteur de l’école de la République, en oubliant que cette création répondait aux besoins et aux exigences d’un capitalisme qui ne pouvait plus se contenter de serfs et de prolétaires ignorants, est resté aussi dans l’Histoire, même si cet aspect est pudiquement oublié, sous les surnoms de Ferry-Famine (il se bâtit en quelques mois une fortune considérable en affamant les Parisiens pendant le Siège de Paris en 1870) et Ferry-Tonkin, lorsque ministre des colonies il clamait à tous les échos qu’il fallait « dire ouvertement que les races supérieures ont un droit sur les races inférieures ». Aujourd’hui, Luc Ferry, qui revendique un vague cousinage avec lui pourrait bien finir sous le sobriquet de Ferry-la-Honte.
Mais mieux vaut évoquer le dernier livre de l’écrivain Romain Slocombe, le remarquable La Gestapo Sadorski, quatrième tome d’un cycle qui en comptera 6. Depuis L’Affaire Léon Sadorski, le premier, Slocombe brosse une histoire de la collaboration incroyablement fouillée, à la documentation irréprochable, un pendant littéraire en quelque sorte à la série Un Village français, inexactitudes en moins. Dans le présent volume, nous sommes à Paris, en octobre 1943, au moment où l’exécution du colonel SS Ritter met les autorités allemandes sur les dents. Elles vont charger une unité de policiers français gestapistes de traquer et démanteler les réseaux « terroristes » qui multiplient les actions dans toute la capitale. On l’aura deviné, il s’agit des résistants communistes FTP-MOI, Missak Manouchian et plusieurs dizaines de communistes italiens, espagnols, arméniens, polonais, hongrois, roumains, français, dont beaucoup sont juifs. Un tour de force littéraire, une lecture bouleversante, une fresque à lire absolument.
Romain Slocombe a autorisé Rouge Cerise à reproduire une grande partie de la page 564 de son roman. Nous lui sommes reconnaissants de nous permettre ainsi de laver le crachat de Luc Ferry dans le sang de nos camarades qu’il a osé mettre sur le même plan que leurs bourreaux.
Le 21 février 1944, par une journée très froide ou le sol était recouvert de givre - comme en témoignent les trois photographies prises clandestinement depuis les sous-bois - Missak Manouchian, Marcel Rayman, Celestino AlfonsoMatos, Robert Witchitz, Rino Primo Della Negra, Spartaco Fontano, Joseph Boczor [1] et leurs camarades FTP-MOI du groupe de l’Affiche rouge ont été fusillés au mont Valérien.
Transférés en camions bâchés depuis la prison de Fresnes, les vingt-deux condamnés entonnèrent L’lnternationale et seuls les coups donnés par leurs gardiens purent les faire cesser. Menés aux cinq poteaux d’exécution pour être fusillés en six groupes successifs, de 15h 22 à 15h 56, ceux dont les mains n’étaient pas liées échangeaient des saluts communistes en levant le poing. Tous, sans exception, tant que les balles ne les eurent pas contraints à se taire, criaient « Vive le Parti communiste ! vive l’Armée rouge ! vive Lénine ! vive Staline ! » et « Mort à Hitler ! Mort à Pétain [2] ! ».
Article publié sur le site :
http://www.pcf84danielecasanova.fr/2020/10/le-poison-ou-l-antidote-luc-ferry-ou-romain-slocombe.par-roger-martin.html
[1] Dit aussi Boczov, alias « Pierre » et de son vrai nom Ferenz Wolf, né en 1905, cet ancien combattant des Brigades internationales, Juif de Transylvanie, était le chef du 4è détachement FTP-MOI dit des « dérailleurs ».
[2] e récit reprend presque mot pour mot le rapport de l’accusateur public auprès du tribunal militaire spécial, le prince Moritz Franz Max Viktor Rudolf Leopold Egon Maria von Ratibor und Carvey zu Hohenlohe-Schillingfurst (1890-1972), établi à l’intention du général de corps d’armée le baron Hans von Boineburg-Lengsfeld (1889-1980), commandant du Grand Paris, pour l’informer des « circonstances de la mise à exécution des condamnations à mort prononcées lors du jugement des 23 terroristes qui a eu lieu du 18 au 21 février dans la salle de l’hôtel Continental » (le rapport est conservé aux Archives fédérales de la ville de Hanovre).