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Le pressionnisme, ou art du graffiti
Entretien avec Alain Dominique Gallizia

Rien à voir avec l’impressionnisme ou l’expressionnisme même si ce sont tout trois des mouvements artistiques. Celui-ci est beaucoup plus récent, c’est l’art du graffiti. Ce mot vient de la pression de la bombe aérosol et de la rue, c’est un art dit ” sous pression “.

Le Forum Grimaldi, à Monaco, organisait du 21 juillet au 21 août une exposition « L’art du graffiti- 40 ans de pressionisme » [1]. J’en ai vu des expositions, mais il y a toujours un moment où vient peut-être une sorte de lassitude (je vais me faire taper sur les doigts). Mais au Forum Grimaldi - j’y suis allé par trois fois - je n’ai pas la formulation assez forte pour dire ce que j’ai ressenti. D’abord, 500 œuvres. Des murs entiers de tableaux. Pas un ne ressemble à l’autre : dans la couleur, dans le style, dans l’écriture, dans la calligraphie. Tout ce que j’avais comme idées reçues s’envole instantanément.

Cette collection était rassemblée par un passionné, Alain Dominique Gallizia, architecte et collectionneur. Il fait les Beaux-arts pour être architecte, mais devient urbaniste des centres anciens. Son atelier se situe à Boulogne Billancourt. Jacques Barbarin.

Vous avez regroupé toutes les œuvres de cette exposition sous le terme générique de « pressionnisme ». Pour quelle raison ?

Alain Dominique Gallizia. Afin qu’on arrête de rassembler sous le terme de « street art » tout un ensemble de mouvements qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. En tant qu’architecte je me considère comme premier artiste de la rue. Pas d’architecture pas de murs, pas de murs, pas de rue. Il fallait distinguer différents courants et j’ai appelé pressionisme ce qui est l’art du graffiti, c’est à dire la partie la plus édulcorée, la plus artistique de ce mouvement, principalement faite sur toile, telle qu’elle est présentée aujourd’hui à Monaco. On les dénigre tellement qu’on leur refuse le nom de l’outil qu’ils utilisent. Ce n’est pas le tag que j’expose, c’est le graffiti. Pour beaucoup de gens, le graffiti se résume au tag. Le tag, c’est le paraphe de l’artiste, c’est une signature je dirais presque économique, comme lorsqu’on paraphe un document administratif. Moi, ce que je présente, c’est l’enluminure : loin des tâches des cahiers des élèves qui ne savent pas écrire, loin de ces paraphes non esthétiques, c’est donc la version la plus artistique possible du mouvement qui est présentée.

On est en présence d’un véritable mouvement artistique amis, d’autant plus libre que non nommé : ce n’est pas l’école de X, de Y, même si bien sûr il existe parfois des occurrences.

Il y a deux éléments qui ont fait que ce mouvement, qui était à l’origine un mouvement social, soit devenu un mouvement artistique, c’est l’arrivée de la bombe et l’arrivée des premiers artistes de ce mouvement qui sont devenus vite des maîtres. Ils ont fait avancer ce mouvement vers la calligraphie. Ils ont eux-mêmes mis au point, développés des systèmes, des écoles. Leurs élèves – et ils sont nombreux – leur ont très vite donné le terme de maître, la couronne pour les plus grands, pour les rois, et le « one » qui succèdent à leur nom pour les autres.

Il s’agit donc d’un art pictural dont l’instrument de travail est la bombe aérosol et non le pinceau, ce qui être certainement plus difficile.

Je dis toujours que la bombe est l’instrument le plus dur pour peindre. Tous les grands mouvements picturaux de ce siècle et des siècles précédents se sont caractérisés par l’arrivée de nouveaux médiums de peinture : on a vu l’arrivée du pinceau, de la spatule, du couteau, du rouleau, on a vu la gouache, l’aquarelle... et là, aujourd’hui, la bombe. Il faut dire que c’est l’instrument le plus dur à manier au monde. J’ai l’habitude de dire qu’elle est au pinceau ce que le violon est au piano. Avec le piano, la note est faite. Un pinceau de 2cm de large vous fait un trait de 2cm de large. Alors qu’avec la bombe, l’épaisseur du trait, sa consistance, également le fait qu’il soit coulant ou en pointillé, c’est lié au maniement de quatre éléments : la vitesse, la distance au support, l’inclinaison de la bombe et la pression sur la capsule. Ces quatre éléments, il faut les contrôler en même temps et les maitriser pour arriver au rendu voulu. Et pour ça, il faut au moins 4 ou 5 ans.

Cela doit en rebuter bon nombre, je présume.

Beaucoup y renoncent, n’y arrivent pas, en restent au tag, au simple paraphe, n’arrivent pas au degré de l’enluminure qu’est l’art du graffiti, le pressionnisme. Ils restent dans le tag, ou ils s’adonnent au pochoir, qui n’etait pas représenté dans l’exposition de Monaco : il n’appartient pas à ce mouvement, puisque l’un de ses rôles et de faire une distinction entre pochoir, tag et graffiti.

Vous appelez cette exposition « 40 ans de pressionnisme » parce que tout part de ce tag new-yorkais « Taki 183 », en 1971.

En fait c’était un petit peu avant lui que le mouvement avait commencé, mais disons qu’il va devenir public par un article consacré à ce mouvement, un article dans un grand journal, en l’occurrence le New York Times, le 21 juillet 1971, l’interview d’un jeune coursier grec qui signe de son nom, Taki, et de son adresse, 183ème rue, les murs des immeubles dans lesquels il livre son courrier. Il faut noter que 40 ans après, le 21 juillet 2011 le New York Times vient de faire un nouvel article sur Taki 183 pour montrer que lui aussi est conscient que ce quarantième anniversaire est important, un nouvel article qui fait le point sur cet art. Il est représenté dans une exposition rétrospective au MOCA de Los Angeles (Muséum of Contemporary Art) plus de deux ans après notre exposition au Grand Palais.

C’est un art excessivement codifié.

Il y a une codification, parce que c’est un art je dirais chevaleresque où il y a comme toujours des rangs, et il y a des respects. Le respect c’est la base même de cet art. C’est le respect des maîtres, c’est le respect des anciens. C’est un des rares arts où le fait d’avoir commencé plus tôt vous donne un poids supplémentaire. Un peu comme dans l’aristocratie : plus une noblesse est vieille, plus elle est respectable. Et il y a une codification parce que nous sommes dans des joutes artistiques, donc des joutes entre chevaliers. Et les joutes entre chevaliers sont extrêmement codifiées : on n’a pas le droit à n’importe quelle arme… tout est défini et on est là pour se battre de façon gratuite, pour porter haut les couleurs de ses armes et de son nom et c’est bien là la définition de cet art.

Comment s’est constituée cette collection ?

Ce sont les artistes eux-mêmes qui m’ont poussé à faire ça. Je n’avais pas les compétences pour concevoir dés le départ ce que ça allait devenir, imaginer l’avenir et la tournure qu’allait prendre cette collection. Au début, je voulais juste recueillir les œuvres de quelques artistes pour les mettre à l’abri du temps et pouvoir présenter cet art sous forme de toiles et de peintures et pas seulement de photos. J’ai toujours été choqué par le fait que les artistes font des photos de leurs œuvres disparues. A une émission de télé, Poivre d’Arvor avait annoncé : « Et maintenant vous allez voir un film de Jean Luc Godard » et celui-ci avait répondu : « Non, ce n’est pas mon film que vous allez voir, c’est une reproduction de mon film ». Est-ce que ce n’est pas le moment, tant que les artistes de la première génération sont encore vivants, de faire ce panorama général. Et chaque artiste m’a dit : « Cette démarche n’a de sens que si tu as notre maître ». Chaque maître m’a amené à son référent. Et aujourd’hui nous avons la chance d’avoir dans cette exposition 170 des peut-être 200 plus grands artistes au monde. Et cette quête est inachevée : chaque fois on me dit « mais j’arrive d’un pays qui vient de s’ouvrir comme la Russie » - j’ai un peintre russe qui vient d’arriver dans la collection- on me dit « j’arrive de Chine, » -un peintre chinois va rentrer- j’attends un libanais, un israélien… J’espère que cette collection finira comme la collection de référence du denier art pictural de la fin du vingtième siècle.

Un de ces maîtres vous tient particulièrement à cœur, vous lui consacrez un hommage dans cette exposition, c’est Rammellzee [2]

Il est totalement à part, original, polyvalent, sculpteur, peintre photographe, philosophe, il a toutes les cordes à son arc, c’est un peu l’âme et l’esprit du mouvement. Il a inspiré énormément d’artistes, Dondi, Basquiat, il a été présent et il régnait un peu en maître et en despote de cet art, et en même temps il était extrêmement généreux. Il a fait pour moi ses dernières toiles. Dans son dernier mail il me chargeait de me battre pour cette culture et de la faire reconnaitre. Et Rammelzee, malheureusement, est un arbre de la forêt, un des plus gros, que les deux premiers arbres sortis du chapeau par la culture de New-York, qui n’était pas très impartiale dans son jugement, c’est—à-dire Keith Haring et Basquiat, ont masqué. C’est pour ça que j’ai voulu présenter les cinq cents arbres de la forêt et particulièrement Rammellzee.

On s’aperçoit dans votre collection que l’on débarque largement du cadre new-yorkais : on va en Europe, on va en Russie, en Chine, en Allemagne, en Afrique du Sud, même à Monaco, avec des spécificités d’écritures…

On peut dire que c’est un art mondial, et un art mondial créé par des jeunes c’est déjà extraordinaire. Le graffiti ce n’est pas un art qui s’impose comme un pot de fleur dans un nouveau pays mais qui pousse et par ses racines s’enrichit de la culture locale. J’ai voulu monter à que point chaque pays farde sa personnalité, ; son originalité, depuis les tendances des « comics » jusqu’aux formes romantiques italiennes, la 3 D allemande... chaque pays porte une chose à cet art et le nourrit. Cela va permettre à cet art d’être à la fois le plus international et le plus riche des arts picturaux ayant existé dans l’histoire.

Il y a non seulement des approches différentes entre pays mais entre régions d’un même pays.

C’est tellement transparent au niveau de la culture, de la personnalité de chaque artiste qu’on peut savoir de quelle région il vient. Je dirais que c’est comme un vin : un grand œnologue peut immédiatement savoir de quelle région vient ce vin. C’est vous montrer à quel point combien dans quelle terre, dans quelle friche cette nouvelle culture pousse, mais sur des racines. Ce n’est pas une culture pot de fleur qu’on impose et que l’on dépose dans les pays : c’est une culture de racines qui se nourrit de la spécificité de chacune de ses terres, de ses terreaux, et qui donc est très facilement identifiable, repérable géographiquement et culturellement.

Août 2011. Propos recueillis par Jacques Barbarin

La photo du tableau du graffeur Qick est crédité Pierre Guillien, celle de l’expo de Monaco est crédité Patrick Avanturier.

Notes :

[2Rammellzee (1960-2010) qualifie son travail de « futurisme gothique ». Comme graffiteur, il a développé une théorie toute personnelle d’une guerre des lettres de l’alphabet. Son œuvre se décline sous forme de peintures, de sculptures et de performances mais il est aussi musicien, son premier disque, Beat Bop (1982) a eu une influence importante sur de nombreux rappeurs... Rammellzee apparaît dans le film « Stranger than Paradise » de Jim Jarmush (1984)


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