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Les peuples paient la crise
Par François de Closets

"Tout est parti d’un réseau de trafiquants qui, sous les masques respectables du banquier et de la finance, a lancé la plus vaste entreprise de fausse monnaie et de jeux clandestins de l’histoire. Car les créances non recouvrables, subprimes ou autres, ne sont pas autre chose que de la fausse monnaie"

"Les travailleurs n’ont pas à payer une crise dont ils ne sont pas responsables !" D’Athènes à Dublin, la même protestation soulève les peuples contre les plans d’austérité. Jusqu’où peut aller cette révolte ? Qu’adviendra-t-il si les gouvernements ne peuvent faire admettre les mesures draconiennes imposées par les marchés financiers ? Que deviendront les Etats lorsque les politiques inévitables, car imposées de l’extérieur, deviendront inapplicables car refusées de l’intérieur. Nous voici au troisième temps d’une crise qui a commencé dans la finance, s’est propagée à l’économie et gangrène aujourd’hui la politique jusqu’à menacer d’implosion nos systèmes démocratiques.

Nous n’en sommes pas là disent les "professeurs Tant Mieux" : en dépit de toute leur colère, les Islandais, les Grecs, les Irlandais ou les Portugais finiront bien par se résigner. A court terme, sans doute, à long terme, c’est moins sûr. Car il ne s’agit pas d’une passagère crise de trésorerie mais d’une définitive crise de solvabilité. Tous ces pays, ceux-là et bien d’autres, vivent au-dessus de leurs moyens et devront ramener leur niveau de vie au niveau de leur production afin de satisfaire les investisseurs dont ils ne peuvent se passer. Marchés financiers ou pas, c’est le lot commun de tout surendetté.

Les peuples vont donc découvrir que l’austérité ne vise pas à rétablir la prospérité mais à éviter la faillite et que les premières mesures en appellent d’autres, de plus en plus pénibles. Bref qu’ils sont bel et bien ruinés et ne peuvent espérer aucune amélioration à l’échelle d’une décennie. Ils vont aussi découvrir qu’ils ne sont pas seuls dans leur malheur, que l’exception tend à devenir la norme. D’autres grands pays – Grande-Bretagne, Espagne, France, Italie – vont suivre, tout le monde le sait. De l’un à l’autre, une même question, soufflera dans le même sens jusqu’à embraser toute la forêt : "Pourquoi accepterions-nous, ce que les autres refusent ?" La révolte populaire s’alimentera par effet de masse.

Mais l’explosif dévastateur qui risque de tout emporter, c’est le fameux slogan : "Nous n’avons rien fait, nous n’avons pas à payer". Car aucune réponse ne peut être apportée. Si l’on prend les deux crises financières qui se conjuguent, celle des finances publiques et celle des finances privées, il est vrai que les peuples furent largement complices et profiteurs de la première. Ils ont poussé à la dépense publique, ont bénéficié d’avantages sociaux non financés, il leur faut maintenant rembourser. C’est le langage qu’il faudrait tenir aux Français si la classe politique en avait le courage. Mais cela ne tient pas face au désastre de la finance privée qui a précipité la catastrophe.

Légalité

Tout est parti d’un réseau de trafiquants qui, sous les masques respectables du banquier et de la finance, a lancé la plus vaste entreprise de fausse monnaie et de jeux clandestins de l’histoire. Car les créances non recouvrables, subprimes ou autres, ne sont pas autre chose que de la fausse monnaie et leur dissimulation dans les créances saines, la "titrisation", que des manœuvres frauduleuses visant à faire passer pour bonne des coupures contrefaites et les opérations d’arbitrages qu’un casino parasite déconnecté de l’économie réelle. Toutes ces activités ont créé de l’enrichissement sans cause car profitant à très peu au détriment de tous. La démagogie à provoqué la crise financière publique et la rapacité celle de la finance privée. Les dégâts sont effroyables et les peuples sont laissés sur le rivage avec les épaves tandis que les naufrageurs voguent en haute mer sur les yachts de luxe en ayant emporté le magot. Il faudrait certes nuancer ce tableau mais c’est bien la vision qui se dégage pour les populations mises aujourd’hui à contribution.

De précédents scandales financiers comme l’affaire Enron se sont terminés en justice par la condamnation des responsables. Pour le pire qui ait jamais existé nous n’avons rien vu de tel. Seul le mouton noir Madoff croupit dans son cul de basse-fosse, tous les autres jouissant de la protection suprême : la légalité. Les peuples n’ont à se plaindre de rien et les financiers ne sauraient être inquiétés en rien car tout cela est parfaitement légal.

Aucun banquier, aucun spéculateur, n’a donc été mis en cause. Tout au plus se sont-ils fait remonter les bretelles par des parlementaires. Même les agences de notations prospèrent sur le désastre qu’elles ont cautionné. A croire que loi n’a jamais été faite que par et pour les trafiquants, que leur responsabilité autorise toute forme d’enrichissement et exclut toute forme de culpabilité, voire de mise en cause.

Cet abus de légalité prend en otage des peuples qui supporteront tous les maux sans avoir leur mot à dire, c’est la loi de Wall Street qui s’est imposée à Obama comme au reste du monde. Elle constitue aujourd’hui la plus grave menace contre des Etats qui perdent toute légitimité quand ils imposent un ordre unanimement reconnu comme injuste.

François de Closets, journaliste

Publié sur Le Monde.fr le 1er décembre 2010


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