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Mange Monde n°6 (janvier 2014)
Rémi Boyer commente la dernière parution de cette revue

Nous retrouvons Mange Monde et ses traditionnels deux grands entretiens, le premier avec Andrea Iacovella, le second avec Jean-Pierre Siméon.

Andrea Iacovella est le cofondateur, avec son complice Dominique Baillon, des Editions La Rumeur Libre, fondée en 2007. La singularité créatrice de Andrea Iacovella réside peut-être en une double approche poétique et scientifique. A la question Qu’est-ce que l’artiste apporte au scientifique ? Qu’est-ce que le scientifique apporte à l’artiste ? il répond ainsi :

« Il existe une poésie qui est une poésie littéraire, une poésie de la lettre, de la littérature. Il existe aujourd’hui des tas de poésie qui sont issues de toutes les aventures humaines et artistiques du XXème siècle. Quand le poète explore l’activité du regard, l’activité de la voix, de l’oreille, celle des sonorités, les structures de la langue. Tout existe, tout cohabite. On est dans l’artistique et dans le littéraire. Dans ce contexte on assiste à l’émergence d’une poétique des matériaux, que les artistes plasticiens connaissent bien depuis toujours : avec du métal, du bois, du béton, etc. … matériau qui s’étend aujourd’hui au virtuel, par le numérique. »

Et de donner un exemple à Vincent Calvet, qui conduit l’entretien :

« Pour illustrer une différence entre l’écriture telle que tu la pratiques là sur ta feuille et l’écriture numérique : par exemple cet enregistreur que tu tiens dans la main, quelle est la différence entre les deux ? Pour ce qui est de ce papier que tu tiens où tu as préparé les questions, l’écriture, l’encre est solidaire du support. La version analogique de l’écriture que tu as utilisée est celle d’une inscription. L’inscription elle-même est solidaire du support qu’est la feuille. Tu ne peux pas dissocier les deux. Dans ce que tu es en train d’enregistrer ici, qui est un enregistreur digital, le support lui-même est une mémoire, et l’inscription numérique qui est dedans, ne sont plus solidaires l’une de l’autre mais sont indépendants : la nouvelle réside dans le fait que la voix a son propre support d’inscription ! C’est ce qu’on appelle la double inscription. Avec le numérique on entre dans une dimension de la double inscription. Cette double inscription ouvre des horizons insoupçonnés, un effet de démultiplication extraordinaire au niveau du sens. C’est un bouleversement majeur. »

Andrea Iacovella pointe là un trait essentiel de la situation qui est la nôtre aujourd’hui, trait que nous ne pouvons pas appréhender sans exiger de nous-mêmes un changement de paradigme. Il n’est pas anodin qu’il évoque la question du double à travers la double inscription. Ce « double » qui demande toujours à être investi est à la fois une clé et un voile jeté sur le réel.

Jean-Pierre Siméon est enseignant et auteur d’une quinzaine de recueils de poèmes mais aussi de romans, pièces de théâtre et livres pour la jeunesse. Lors de l’entretien, il rend compte d’une approche dynamique et humaniste de la poésie :

« La poésie a toujours eu un soubassement populaire à travers des formes qui ne sont pas désignées comme poétiques. Il y a toujours eu, depuis l’aube des temps, une parole inscrite dans une communauté humaine, une parole qui n’est pas forcément la parole d’une élite mais qui serait plutôt une parole partagée, comme la religion. Et puis il y a toujours eu une interaction entre une poésie populaire, orale, et une poésie savante. »

« Oui, je défends une conception humaniste. Pour moi, la poésie dissone mais consonne à l’humain. Elle dissone car nous sommes dans un monde qui ne consonne pas à l’humain. Elle est une recherche fondamentale dans l’humain. Elle se pose sans cesse la question de l’homme dans ses énigmes, dans sa confrontation au réel. Je le revendique comme un humanisme conquérant et vigoureux. Ce n’est pas un humanisme compatissant, doloriste, ou du type rousseauiste, mais un humanisme qui saisit l’humain dans sa complexité et ses contradictions. Comme le disait Primo Lévi, l’inhumain, c’est Auschwitz dans soi-même. On a tous hélas cette pente-là de la dénégation de l’humain, de l’abjection. On a tous aussi en nous l’inverse de ça : le besoin de complétude, de plénitude et de conciliation. »

Cette lucidité est indispensable pour aborder une quête, qu’elle soit poétique, scientifique ou autre.

Au sommaire, le lecteur trouvera de nombreux poèmes inédits d’auteurs très divers, les illustrations de Mazen Maarouf et un texte très intéressant de Tahar Bekri consacré à la place et à la fonction essentielles, et si difficiles à trouver ou manifester, de la poésie arabe dans le monde musulman d’aujourd’hui.

Mange Monde, Editions Rafael de Surtis, 7 rue Saint Michel, 81170 Cordes sur Ciel, France.

http://www.rafaeldesurtis.fr/


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